RENAUD AZEMA
Le bâtisseur

Chez Vatel Mauritius, à Palma, l’escalier qui mène aux salles de classes a presque une vocation pédagogique. Il a été posé au cœur du campus, très en évidence. En début d’année, il permet au CEO Renaud Azema d’expliquer à ses nouveaux élèves qu’une carrière dans l’hôtellerie se construit par paliers. Que les marches se négocient les unes après les autres. Que pour réussir, il faut de la patience, de la constance et de l’endurance. Chez Vatel, on ne forme pas que de futurs hôteliers. On forme surtout des hommes et des femmes, on leur apprend la vie. Pour Renaud Azema, c’est une mission.

(Texte : Jean-François LECKNING – Photo : Brady GOORAPPA)

SES RACINES

Je suis né à Dijon, de parents fonctionnaires. Mon père était un militaire rigoureux et discipliné, ma mère une enseignante besogneuse. Cadet d’une fratrie de quatre, j’ai été élevé à la dure sur la base de valeurs non-négociables. Après avoir beaucoup bougé, la famille s’est fixée en région parisienne en 1981. Je suis parti quand j’avais 20 ans.

SES ETUDES

Depuis 1990, je suis diplômé de l’Institut de recherche et d’études supérieures du tourisme, filiale de la Sorbonne. Je suis Maître ès tourisme. J’ai fait mon mémoire sur le tourisme d’aventure, ce qui m’a permis de rencontrer des pionniers du domaine, dont mon premier employeur, l’agence de voyage Déserts.

SON PARCOURS

J’ai commencé chez Déserts en 1991, à 25 ans. J’ai été Tour Leader dans le Sahara, mais la Guerre du Golfe a mis prématurément un terme à cette expérience. De retour en France, j’ai été embauché comme responsable commercial chez Thrifty, une agence de location de voitures. J’ai gagné un peu d’argent, suffisamment pour faire le tour du monde en sac-à-dos. Ça a duré neuf mois, entre septembre 1992 et juin 1993. J’ai visité les Etats-Unis, la Polynésie, l’Amérique du Sud, l’Asie du Sud-Est… J’ai ensuite voulu tenter ma chance à La Réunion où j’ai frappé à toutes les portes jusqu’au jour où René Barrieu, le directeur du Comité du Tourisme m’a proposé de mener une étude sur le développement de la pêche au gros. J’ai aussi mis en place Réunion Qualité Tourisme. En 1996, l’école hôtelière de Maurice ouvrait ses portes. J’ai vu la lumière et j’ai postulé. Ils m’ont recruté pour gérer le département Tourisme. Je touchais un salaire mensuel de Rs 12 600, cinq fois moins qu’à La Réunion. J’ai dû piocher dans mes économies pour boucler mes fins de mois. Je me plais à dire que j’ai payé de ma poche pour avoir le droit de travailler ici. En 1998, à 31 ans, j’ai succédé à Marc Marivel comme directeur, recommandé par Sen Ramsamy, de l’AHRIM, qui reconnaissait les bonnes interactions que j’avais eu avec l’industrie. En 2000, je n’ai pas souhaité renouvelé mon contrat. J’ai ouvert Imothep, une entreprise spécialisée dans l’accompagnement et la formation, et je suis ensuite reparti à La Réunion pour quelques années. C’est à mon retour à Maurice que les bases ont été jetées pour l’ouverture de Vatel, qui a vu le jour en mars 2009.

SON ENTREPRISE

On m’a souvent répété que j’avais l’expertise pour monter mon école. Ça m’a donné l’envie de me lancer. C’est ainsi que j’ai pris contact avec le directeur du Développement international de Vatel, qui avait été sollicitée par le gouvernement mauricien pour ouvrir un centre ici. Quand il est venu à Maurice, en mai 2007, nous avons organisé, avec l’aide du BOI, plusieurs rencontres avec les professionnels du tourisme. Il a pu constater de lui-même que la demande était réelle. Il a finalement donné son accord au ministre Duval, mais à la seule condition que je gère le projet. A l’époque, je n’avais pas les moyens d’acheter la franchise et Vatel m’a proposé de payer en plusieurs tranches après m’être acquitté de 5000 euros en droit de réservation. En mars 2009, nous avons débuté nos opérations dans une petite maison de Quatre-Bornes, avec 15 étudiants. Nous sommes partis de rien ! J’avais la volonté, l’expérience et un solide réseau, certes, mais surtout la chance de dépendre d’une industrie dynamique, en extrême demande pour une main d’œuvre qualifiée. J’ai aussi su m’entourer de gens de qualité. La croissance de Vatel a été rapide. En neuf ans, nous sommes passés de 15 à 340 étudiants, dont aujourd’hui un tiers d’étrangers, et de Rs 5m à 72m de chiffre d’affaires. L’école emploie 26 personnes à plein-temps et une cinquantaine de formateurs à temps-partiel. Notre nouveau campus, au Médine Education Village, a été bien réfléchi et se veut une vitrine de l’hôtellerie. J’ai misé sur un environnement inspirant.

SON DÉFI

Poursuivre le développement et l’expansion de Vatel dans la région et en Afrique. Je suis aujourd’hui le seul master-franchisé de l’enseigne. Nous sommes déjà présents au Rwanda, à La Réunion et à Madagascar. On a signé avec l’Afrique du Sud, bientôt avec la Tanzanie. Ensuite, ce sera la Côte d’Ivoire, peut-être le Swaziland, le Lesotho, le Botswana, le Ghana… Mais le défi immédiat c’est Rodrigues. Nous y ouvrons cette année une école de tourisme en partenariat avec l’Assemblée régionale. Elle servira les besoins d’une industrie qui veut miser sur la spécificité et l’authenticité rodriguaise et qui a pour objectif d’atteindre les 100,000 visiteurs en 2020.

SA MÉTHODE

Je fonctionne beaucoup à l’intuition. LIFT, c’est en lisant un bouquin dans l’avion que j’en ai eu l’idée. Je n’ai demandé l’avis de personne, j’ai foncé ! Ça a débouché sur un partenariat avec le groupe Marriott, qui veut à son tour lancer LIFT International by Marriott. Je pars aussi du principe qu’un CEO doit donner l’exemple. C’est le modèle, celui qui incarne des valeurs. “Faites ce que je dis, pas ce que je fais”, très peu pour moi ! Je crois aussi dans la créativité, l’innovation. Il est dangereux de rester figé sur ses acquis.

SES VALEURS

Le travail, seul chemin vers l’émancipation. La passion, puisqu’on ne fait bien que ce qu’on aime. L’engagement, parce que mon travail c’est d’abord ma mission. La rigueur et la discipline, parce qu’on n’y arrive à rien sans.

SA FIERTÉ

Quand je vois réussir mes anciens étudiants. C’est quelque chose qui valorise ma mission. Le dernier c’est Loïc de Robillard, qui vient de prendre la responsabilité d’un cinq étoiles de Constance à Madagascar. Depuis l’ouverture de Vatel, nous avons mis sur le marché 1200 élèves, tous formés aux exigences de l’industrie.

SON REGRET

Les regrets ne sont pas constructifs, il faut les évacuer pour bâtir autre chose. Cela dit, je suis toujours peiné d’avoir parfois à sanctionner des élèves et les laisser sur le bord de la route. J’en arrive à perdre le sommeil. Mais mon vrai regret c’est que l’éducation tertiaire ne soit pas accessible à tous. Certains parents n’ont pas les moyens d’offrir à leurs enfants un passeport pour une vie meilleure. Chez Vatel, il faut compter Rs 200 000 par année d’études. Aussi, j’ai lancé cette année le programme LIFT, à travers lequel nous sponsorisons une classe de 22 ; des élèves que j’ai personnellement évalué sur la base des critères sociaux, mais aussi du potentiel et de l’envie.

SA FORCE

J’ai toujours eu une absolue confiance en moi, je n’ai peur de rien ! Je n’ai jamais douté que Vatel allait marcher. C’était pourtant un pari risqué, j’aurais pu me planter ! Ceux qui réussissent sont ceux qui osent aller plus loin.

SON DÉFAUT

Je pense avoir toujours raison ! (Rires) Ici, ils disent que je suis têtu. Ce à quoi je réponds que si je ne l’avais pas été, ils ne seraient pas là aujourd’hui, parce qu’il n’y aurait pas eu d’école. Vingt fois on m’a dit “Renaud, arrête, tu vas te casser la figure !”

SA DEVISE

“Memento audere sempere.” Souviens-toi de toujours oser. C’est le principal message que j’adresse à mes étudiants, un message qui a m’a guidé tout au long de mon parcours. Si je n’avais pas osé, je n’en serais pas là aujourd’hui. Si on ne prend pas de risque, on n’obtient rien en retour.

SON BRAS DROIT

C’est l’équipe ! Chez Vatel, chaque membre est un maillon essentiel de la chaîne. L’un interagit avec l’autre, ce qui rejaillit sur la performance d’ensemble.

SES PASSIONS

Je n’arrête pas de voyager, de découvrir d’autres cultures. On dit que je prends l’avion comme d’autres prennent l’autobus. En trois ans, j’ai usé deux passeports. Cette année, j’ai voyagé 14 fois déjà. J’ai commencé en Finlande, sur le cercle polaire. Je suis par ailleurs un accro de lecture. Un homme qui lit est un homme sauvé. Ma lecture est très éclectique ; je lis aussi bien des essais, des biographies, des romans et des magazines.