Frankie Tang

Le Bruce Lee des affaires

A 53 ans, Frankie Tang est à la tête d’un projet entrepreneurial qui l’a vu partir de loin, les poches vides. Fondateur et directeur de Polaris Global Services, une société mauricienne de gestion offshore, il s’est vu décerner cette année le Africa’s Most Respected CEO’s Award pour son secteur d’activités. Portrait d’un passionné.

✍ Jean-François LECKNING | 📷 Pallavi RAMASAWMY

La ressemblance n’est peut-être pas frappante, mais il y a un petit air de Bruce Lee dans les traits de Frankie Tang. Suffisamment, en tous cas, pour qu’on l’affuble de cette comparaison où qu’il aille en Afrique, devenu son terrain de chasse préféré.

“Allons dire que je suis le Bruce Lee des affaires”, rigole le directeur de Polaris Global Services, entreprise spécialisée dans l’incorporation de sociétés étrangères à Maurice, et dont 70% de la clientèle provient du continent noir.

S’il n’a pas la carrure imposante du maître incontesté des arts martiaux, il partage avec lui un point commun. Comme le regretté Bruce Lee, qui a été un pont majeur entre l’orient et l’occident, l’entrepreneur mauricien aime relier les points, construire des liens. Son fonds de commerce est peut-être l’offshore, mais ce qui démarque Frankie Tang des autres et lui vaut d’accumuler les distinctions, c’est son sens inné du relationnel, sa faculté à coordonner des projets, à assembler les morceaux du puzzle, à mettre à l’aise ses clients.

“Dans mon métier, il ne suffit pas de maîtriser l’économie et les formules mathématiques. Ça va bien au-delà de ça”, insiste celui qui s’est récemment vu décerner le Africa’s Most Respected CEO’s Award dans la catégorie Offshore Management. “A bien voir, l’offshore est assez ennuyeux. C’est rien de plus que de l’outsourcing administratif. L’essence du métier, ce qui m’anime, c’est le relationnel. Je suis un consultant dans l’âme, un facilitateur. Ce que j’aime c’est le rapport à l’autre, c’est l’humain. L’écouter, le comprendre et surtout le guider.”

On comprend un peu mieux maintenant pourquoi, à la genèse de son projet entrepreneurial, le nom Polaris s’est imposé comme une évidence. Polaris, c’est une étoile polaire, la plus brillante de la constellation du Petit Ourse. Pendant longtemps, elle a servi de guide aux navigateurs et autres aventuriers. Comme Frankie sert aujourd’hui de guide à ses clients étrangers.

Les débuts de Polaris, en 2011, avaient pourtant été modestes. “Quand j’ai commencé, mes poches étaient vides”, se remémore l’ancien élève du collège Royal de Port-Louis. L’entreprise n’avait à l’époque que deux employés et s’était installée dans un local vétuste de China Town. “Dans un marché ultra dominé par des grosses structures, je savais que ça n’allait pas être facile de se frayer un chemin. Le pari était risqué, mais j’étais déterminé à faire le pas ”, se souvient celui qui venait de passer cinq ans comme partenaire chez Nexia dans le domaine de l’accompagnement professionnel, après avoir été consultant chez De Chazal Du Mée et salarié du Board of Investment.

Au départ, il était seulement question d’accompagnement. Mais la période coïncidait avec l’avènement de l’offshore. L’idée de s’implanter à Maurice pour bénéficier d’un certain nombre d’avantages fiscaux et d’une juridiction on va dire peu contraignante avait effectivement commencé à séduire plusieurs entreprises de l’étranger.

Approche personnalisée

De quoi flairer l’aubaine et demander une licence à la Financial Services Commission. “C’était d’autant plus audacieux que je ne connaissais rien de l’offshore. J’étais nul, zéro !”, se permet de rire Frankie Tang maintenant qu’il y a prescription. “Aujourd’hui encore, je n’aurais pas la prétention de passer pour un expert, même si j’ai eu l’occasion, depuis, de faire mes preuves. Mais si j’ai obtenu plusieurs récompenses, ce n’est pas en lien à mes compétences en matière de montages techniques, mais davantage pour mon sens du relationnel”, reconnaît ce passionné et diplômé d’économie.

Douze ans après des débuts timides, le navire Polaris vogue en pleine mer, toutes voiles dehors, à l’assaut de nouveaux marchés à conquérir.

A Madagascar, où Frankie multiplie les déplacements, il a déjà persuadé une centaine de clients de le suivre. Tout est parti d’un essai convaincant de six mois auprès d’un important homme d’affaires qui avait déjà implanté plusieurs sociétés à Maurice. “Je lui ai présenté un plan de restructuration qui, une fois appliqué, lui a permis de réaliser des économies d’échelle. C’était gagné. De là, le bouche-à-oreille a fait le reste”, se félicite le quinquagénaire.

Depuis, Polaris Global Services a étendu ses tentacules sur d’autres territoires, notamment en Afrique du Sud, au Kenya, au Ghana, en Ouganda… Avec plus ou moins de réussite.

A chaque fois, Frankie Tang s’applique à vendre à ses potentiels clients la perspective de bénéficier d’un climat d’investissement favorable à Maurice. “Aujourd’hui, l’argument de l’optimisation fiscale ne peut suffire à lui seul même si, évidemment, ça compte. Mais s’ils finissent par choisir Maurice, c’est le plus souvent en raison de nos infrastructures offshore, du climat des affaires, de notre dimension bilingue, du réservoir élargi des compétences dont nous disposons en comptabilité et en finances… ”

L’accompagnement est le cœur de ce business. Il ne s’agit pas juste de finaliser l’incorporation d’une entreprise étrangère dans la juridiction mauricienne, mais de régler un certain nombre de détails parallèles relevant parfois du personnel, comme l’obtention du permis de résidence, la location d’une maison, l’achat d’un véhicule, la scolarisation des enfants.

S’il ne peut incorporer des entreprises qu’à Maurice, notre compatriote propose néanmoins une panoplie d’autres juridictions à ses clients, en fonction de leurs besoins. Aux Seychelles, à Hong-Kong et à Dubai, il est représenté par des agents, qui se chargent de finaliser les dossiers.

En bon entrepreneur, Frankie Tang ne laissera pas passer la possibilité de faire grandir Polaris. Comptez néanmoins sur lui pour s’assurer que son entreprise reste à taille humaine. “Étendre indéfiniment notre portefeuille clients et diriger une boîte de 100 employés, ce n’est pas dans mes plans, ça ne m’intéresse pas”, insiste celui qui emploie aujourd’hui sept personnes, pour la plupart des femmes affectées au back-office où elles s’occupent exclusivement de la gestion administrative des sociétés offshores qui ont retenu les services de l’entreprise.

Dans un secteur où les grosses boîtes vont jusqu’à facturer des appels à la minute et des mails à l’unité, Polaris Global Services mise sur une approche personnalisée de son directeur pour faire la différence. “J’ai toujours eu des relations directes, spontanées et privilégiées avec mes clients. Quand ils ont besoin de quelque chose, ils savent qu’ils peuvent m’appeler sur mon portable, sans passer par des intermédiaires. Dans l’idéal, il aurait fallu que je me démultiplie”, rigole notre interlocuteur.

C’est au cœur de Port-Louis, en contrebas de la rue Saint-Georges, que Polaris Global Services tient désormais ses quartiers. “J’ai grandi ici. Voyez ça…” Il désigne du doit la colonne qui trône au milieu de son bureau. “Avant, elle servait à soutenir la structure de la maison de mes parents. Quand nous avons rénové pour convertir les lieux en bureau, j’ai tenu à l’intégrer à la déco. Symboliquement. Pour ne pas oublier d’où je viens.”

Fils à maman

Si son entreprise occupe le rez-de-chaussée, Frankie a fait aménager à l’étage un appartement pour sa mère de 87 ans, Gisèle. “Il n’était pas question qu’on l’expédie ailleurs, elle aurait été bien malheureuse, insiste-t-il. Elle a tous ses repères ici !” Le quinquagénaire revendique sans gêne son côté fils à maman. “Pas au sens premier du terme, bien sûr, mais disons que je suis très attaché à elle. Ma mère, c’est mon premier amour. Chaque matin, avant d’entamer ma journée de travail, je passe l’embrasser et prendre le thé avec elle. L’occasion pour nous de papoter un peu. Parfois, à midi, j’y retourne pour déjeuner… ”

Frankie Tang est visiblement très attaché à ses racines, à sa source. Benjamin d’une famille de quatre, il dit avoir grandi à l’ombre de ses aînés, notamment sa sœur Marylise, ancienne présentatrice à la MBC, et son regretté frère George, un des pionniers du handisport mauricien, “un bon vivant parti trop tôt qui a été pour moi une vraie source d’inspiration.”
Mais dans la famille, le plus connu était sans conteste le patriarche, George senior, aujourd’hui décédé. Né dans un village du Canton, en Chine, en 1929, il avait émigré très jeune à Maurice, où il avait fini par s’imposer comme un des visages les plus connus de la diaspora chinoise. Cet infatigable travailleur social a notamment présidé la Chinese Middle School, la Chinese Speaking Union et, jusqu’à sa mort en 2013, la fédération des sociétés chinoises. Un engagement de tous les instants qui lui avait valu de recevoir quatre décorations républicaines, dont les très prisées GOSK et OBE.

Chez les Tang Yun Sing, les liens du sang sont tellement forts que Frankie, parti poursuivre ses études à Montréal, au Canada, après le collège, avait fini par renoncer à un doctorat en économie pour venir renouer avec sa famille, se contentant d’une licence, couplée toutefois d’une maîtrise en économie appliquée, une variante redoutée de la discipline qui met à l’épreuve des formules mathématiques.

Frankie allait néanmoins ramener dans ses valises la jolie Anne Sujo, une étudiante en beaux-arts née d’un père hongkongais ayant d’abord immigré en Uruguay avant de s’installer au Canada et de donner un nom japonais à sa fille, histoire de lui faciliter son intégration.

Anne, l’actuelle directrice artistique de l’agence Gung-Ho, a donné à Frankie deux enfants : Nina, l’aînée de 18 ans, et Léo, le cadet de 16 ans. Quand il parle d’eux, ses yeux pétillent. “La famille, c’est ce qui m’aide à tenir la distance. C’est mon point d’ancrage.”  On l’ a compris, tout le reste passe après. Y compris les affaires ? “Oui, y compris les affaires…”