MARIO GÉBERT
Premier de cordée

N’est pas entrepreneur qui veut ! C’est faire abnégation de sa vie sociale, connaître sur le bout des doigts les caprices du marché et faire preuve d’audace. Contre vents et marées, Mario Gébert a défait son entreprise de son statut de Petit Poucet et l’a propulsée comme un acteur déterminant dans le secteur des produits frais. Quand d’autres n’y ont pas cru, lui s’est retroussé ses manches et a rêvé grand !

Texte : Géraldine HENNEQUIN-JOULIA
Photos : Brady GOORAPPA

“En mon temps, nous savions rêver et créer. C’est ce qui a fait de moi ce que je suis.”

 

Les bureaux sont modestes, l’accueil chaleureux et le patron, Mario Gébert, très causant. On comprend tout de suite, en arrivant dans les locaux de Fine Foods Marketing, à Riche-Terre, que les lieux sont imprégnés de la façon de faire d’une personne. Ici, le directeur cultive le nous à la place du je… C’est dire à quel point le collectif est déterminant au sein de cette entreprise. Mario y tient vraiment.

Cette aventure, il s’y est embarqué parce que le bateau sur lequel lui et quelques collègues s’étaient embarqués faisait naufrage. En effet, après un premier exercice de restructuration qui n’avait pas produit les résultats escomptés, la direction de Scott avait décidé de mettre la clé sous le paillasson de sa section “Produits frais et surgelés”, dont Mario Gébert était le Sales Manager. Mais c’était sans compter sur la capacité de ce dernier de faire vivre ce département indépendamment, comme une entreprise à part entière.

A l’heure où le conglomérat n’avait plus foi, le jeune homme s’était présenté en premier de cordée : “J’ai eu l’audace de demander à la direction du groupe Rogers de me vendre l’entité pour une roupie symbolique. Quarante-sept employés étaient concernés. J’ai tout repris. J’avais une vision claire et, en poche, un plan en treize points. Le groupe n’avait rien à perdre. J’étais déterminé et je me suis assuré que ma passion soit contagieuse pour que nous avancions comme une équipe. Et on a bossé très dur ”, se remémore le patron de Fine Foods.

Rien n’a été facile. Mario Gébert ne s’explique pas pourquoi “à l’étranger, on encourage, voire on célèbre les entrepreneurs et qu’ici on est méfiant vis-à-vis d’eux !” Qu’importe. Lui, c’est un leader qui tire les autres vers le haut. Il se souvient de la condescendance de certains, mais aussi des clients et fournisseurs qui ont accepté de le lui ouvrir leurs portes. “Je tiens à souligner que j’ai eu le soutien de tous mes clients sans exception et aussi celui de Tim Taylor, à l’époque CEO du groupe, qui a donné son aval aux termes et aux conditions de la reprise de l’activité. Il a cru dans mon projet. Aujourd’hui, après quinze ans d’un parcours qui nous a vus grimper les échelons, nous savons rester humbles. Nous comptons dorénavant 105 employés”, témoigne le patron de Fine Foods. Et d’ajouter : “Ce qui marche, ici, c’est à la fois notre proactivité et notre réactivité. Ces deux éléments forment partie de notre ADN. C’est ce qui fait la force de l’entreprise. Il fallait réussir. Nous avons fait ce qu’il fallait. Avec du recul, je me demande si j’aurais osé si ce challenge s’était présenté aujourd’hui.”

Derrière ses lunettes et son air de premier de la classe, Mario Gébert n’a rien perdu de son audace, martelant qu’être entrepreneur “c’est se réinventer sans cesse”. Dans les quelques mètres carrés de son bureau situé en plein cœur de la zone industrielle de Riche-Terre, ce vacoassien d’adoption cumule des heures et des heures de travail. C’est que le succès n’arrive pas tout seul ! Ses journées démarrent en moyenne à 7h et se terminent vers 20h. Et le samedi n’est pas de tout repos puisqu’il profite de la tranquillité du bureau pour peaufiner ses projets.

“Je lève rarement les pieds”

Mario Gébert est pleinement conscient que sa vie sociale est au point mort depuis des lustres. C’est un peu le revers de la médaille. Lui prend les choses avec une certaine philosophie : “Il faut un équilibre et ne surtout pas oublier de vivre !” Ah, facile à dire, mais difficile à se l’appliquer, il en convient. C’est un peu la soupe à la grimace quand le sujet est abordé. “Je lève rarement les pieds. Pire, j’ai dû mal à déléguer certaines choses. C’est l’entourage qui en souffre. Pour cela, je dois remercier mon épouse, Martine, qui m’a été d’un soutien infaillible” insiste-t-il.

Sa rencontre avec Martine, sa moitié, il s’en souvient très bien. C’était du temps où tous deux travaillaient chez Harel Mallac. Depuis, ils se sont mariés et ont eu deux filles, Maeva, 18 ans, et Anne Claire, 14 ans. C’est ce petit cercle familial qui est son point d’ancrage. Il leur consacre ses dimanches et c’est en leur compagnie qu’il se ressource. Sa femme l’encourage à la pratique du sport et puis il ouvre un livre de temps en temps. Pas assez à son goût, lui qui a été un grand lecteur. N’essayez cependant pas de le piéger, cet ancien élève du collège du Saint-Esprit connaît ses classiques sur le bout des doigts. Mais le goût de la lecture, ce n’est pas une contagion attrapée sur les bancs de l’école. Mario Gébert confie avec une certaine nostalgie : “C’est mon papa qui m’initié au plaisir de lire, de tourner les pages d’un livre et de s’imprégner d’une histoire. Vallès, Balzac, Fournier, Troyat, Loti, St-Exupéry et tant d’autres ; j’ai grandi avec les personnages des romans.”

Les livres font partie de ces trésors d’une enfance qu’il chérit. Issu d’un milieu plutôt modeste, Mario Gébert dit garder de ses années à Beau-Bassin les souvenirs d’une joyeuse insouciance où, avec ses frères et ses petits camarades et voisins, ils croquaient dans les “bibasses”, fabriquaient des pistolets en papier mâché pour jouer au cowboy, partageaient les repas. “Nous étions riches uniquement de nos inventions et de nos rires partagés. Nous étions affreusement pauvres économiquement, mais libres ! Nous savions créer et rêver. C’est ce qui a fait de moi ce que je suis. Les jeunes, de nos jours, ont perdu cette faculté de rêver ce qui nous porte. Et je m’insurge contre les briseurs de rêve. Notre pays en fourmille. C’est un drame”, déplore l’entrepreneur !

Voilà des propos qui révèlent son côté iconoclaste. Lui qui n’est pas issu du sérail des traditionnels patrons s’est forgé seul en roulant sa bosse depuis ses 18 ans. Trois ans d’études pour décrocher son MBA, des postes plus ou moins modestes tenus dans la presse, dans la vente, dans les banques ou dans les assurances. Mario Gébert a toujours gardé le positif de ses expériences professionnelles. Il a nourri ses rêves jusqu’à atteindre les portes du succès dans le difficile monde de l’entrepreneuriat. Même s’il s’inquiète pour la jeunesse de notre île et récuse les discours formatés dont le système éducatif dans son modèle actuel gavent nos braves collégiens comme des oies : “Il y a tellement de potentiel dans ce pays. Mais le système nous rend prisonnier. Il faut briser les barrières et donner de l’espace à la jeunesse pour créer.  Pour rêver en couleurs comme disait l’autre.”