Shaun Payen
L’art du discours
A la ville comme à la scène, son nom fait écho. Shaun Payen par-ci, Shaun Payen par-là… Pas de doute, c’est l’un des Mauriciens du moment. Faut dire que le jeune homme a le bagout. Politiciens, hommes d’affaires, influenceurs, tous se tournent vers lui pour apprendre l’art de s’exprimer en public. Rencontre avec un beau parleur, mais au sens positif du terme.
✍ Shareenah KALLA
Dans plusieurs sphères de la vie mauricienne, on ne jure que par vous. Qui est donc Shaun Payen ?
Je suis formateur international dans ce qu’on appelle ici le “public speaking”. J’apprends aux gens à s’exprimer en public. Paradoxalement, je n’ai pas toujours été à l’aise dans ce domaine. Il y a encore une quinzaine d’années, j’avais la hantise de prendre la parole en public. Mais j’ai eu la force de surmonter cette peur et d’en faire ma profession. Je suis un entrepreneur qui a su canaliser son énergie dans une filière qu’il chérit.
Votre nom est devenu une marque ?
On peut dire ça. Du coup, il est important que les gens apprennent à connaître l’homme qui se cache derrière le formateur. C’est pour cette raison que, contrairement à d’autres, je n’essaie pas de dissocier ma vie privée de ma vie professionnelle. Sur mon compte Instagram par exemple, je décline sans gêne le Shaun vie privée. C’est ce degré d’authenticité que les gens recherchent chez une personnalité.
Comme vous, beaucoup de jeunes se tournent vers l’entrepreneuriat. Pourquoi ce besoin d’être son propre patron ?
Nos ancêtres se battaient pour leur survie. Nos parents, eux, pour un niveau de vie plus décent. Pour nous, la nouvelle génération, la quête est différente. Ce qui nous intéresse, c’est la qualité de vie. Ça passe par la stabilité et la flexibilité, notamment en termes d’horaires. Il y a un changement d’état d’esprit vis-à-vis du travail. Nous avons l’ambition de prendre le contrôle de ce que nous maîtrisons, de ce que nous aimons, et d’en faire notre gagne-pain.
On dit que la nouvelle génération est impulsive. Vous l’êtes aussi ?
Oui, je le suis, mais ce n’est pas forcément une mauvaise chose. L’impulsion me permet d’aller au bout. C’est dommage qu’on donne une dimension négative à ce trait de caractère.
Vous avez vécu cinq ans en Angleterre. Qu’est-ce qui vous a incité à retourner au bercail ?
Je suis revenu par amour du pays. J’ai Maurice dans les tripes, je suis un grand patriote. Et puis, il faut dire que les années passées en Angleterre n’ont pas été les meilleures. Je sentais, par ailleurs, que de nouvelles opportunités professionnelles allaient se présenter, que les Mauriciens commençaient à envisager l’éducation au sens le plus large, pas seulement sa dimension académique, mais au-delà, comme l’art de savoir s’exprimer en public. Il y avait donc un marché à exploiter et c’est ce que j’ai fait en tant que conférencier.
L’herbe n’est donc pas plus verte ailleurs ?
Définitivement pas ! Pour rien au monde, je n’échangerai la vie que je mène ici. De surcroît, les Mauriciens ont du potentiel. Sur le plan professionnel, ils sont dévouées, prêts à beaucoup de sacrifices. Savez-vous que j’ai des élèves qui prennent jusqu’à trois autobus pour venir à mes cours ? Pour moi, c’est la preuve que les Mauriciens sont résilients, qu’ils aspirent à être une meilleure version d’eux-mêmes. Il faut apprécier notre île pour ce qu’elle nous offre. Nous ne le mesurons pas assez, mais nous avons la chance de vivre dans un pays où nous jouissons d’une certaine liberté.
L’État débourse pourtant beaucoup d’argent pour financer les études des lauréats qui ne reviennent pas toujours au pays. Votre avis ?
C’est un choix qui les appartient. Cela dit, il aurait été plus indiqué qu’ils reviennent servir Maurice. Ce sont ces cerveaux, ces compétences, que l’économie et la société ont besoin afin de bâtir une meilleure île Maurice pour la génération future.
Avant d’être conférencier, vous avez exercé le métier d’avocat. Un retour vers le droit est-il envisageable ?
Dans quelques années, peut-être. Je ne ferme pas la porte. Je reste ouvert à toutes les opportunités. Pour le moment, je suis très concentré sur ce que je fais.
Y-a-t-un lien entre les deux métiers ?
Ce sont deux métiers différents. Même la façon de plaider au tribunal est différente de la façon de s’exprimer devant un parterre de gens.
On dit que vous travaillez sans compter les heures…
“Hard work beats talent”. J’ai toujours été un travailleur acharné. En 2017, l’année de ma formation au barreau, j’étudias jusqu’à 18 heures par jour. Pour préparer le concours international de la English Speaking Union, en 2011, j’ai dû pratiquer mes discours plus d’un millier de fois en deux semaines. J’ai gardé le rythme, puisque je travaille sept jours sur sept, le plus souvent de 9h à 21h. Le travail c’est la vie. Je l’ai appris de mes parents, qui m’ont inculqué la valeur de l’effort.
Vous êtes de ceux qui regrettent que le système éducatif n’accorde pas plus d’importance aux compétences générales. Pensez-vous que les jeunes diplômés abordent le marché du travail avec un handicap ?
Oui ! L’art oratoire est l’une des compétences non-techniques les plus sous-estimées. A l’école, on nous apprend à parler et à écrire, mais il faut aussi acquérir les bonnes techniques du langage corporel afin que notre prise de parole soit plus percutante, plus plausible. Bien des jeunes n’ont pas cette compétence.
Doit-on blâmer le système éducatif ?
Je ne blâme personne. L’éducation demeure vague et vaste. Cependant, il y a des efforts qui sont faits. L’oral est désormais obligatoire au niveau du School Certificate pour l’anglais. Il faudrait que ce soit également le cas à des niveaux supérieurs. Les Mauriciens collectionnent les diplômes, mais il leur manque seulement la capacité de discourir. Je prends l’exemple d’une professionnelle qui était clairement la plus qualifiée de son entreprise mais qui, à cause de prendre la parole, est restée au même poste seize ans durant. Ce handicap aurait pu avoir été gommé à la source si le système éducatif incitait les élèves à sortir de leur zone de confort. Il est important de posséder un ensemble de compétences globales pour affronter le marché du travail.
Vous êtes un des coachs les plus plébiscités à Maurice. Vous cumulez les prix. Vous demeurez pourtant un jeune homme abordable et humble…
Quand vous exercez un métier que vous aimez, vous ne vous laissez ni submerger par la notoriété ni griser par les récompenses. Seule la passion vous guide. J’essaie d’entretenir mon mental à travers le sport. La gym me permet de garder la tête froide.
Vous proposez vos services aux politiciens. Une percée dans cette sphère ne vous tente pas ?
En toute franchise, cette perspective ne m’a pas vraiment traversé l’esprit. Je suis tellement absorbé par mon métier. Toutefois, je serais heureux d’apporter mon aide, de mettre mon savoir-faire au service des politiciens.
Si par hasard l’opportunité se présentait, quel serait votre cheval de bataille ?
(Rires) Très probablement des investissements massifs dans les domaines de l’éducation et du sport. Je crois fermement que nous devons élargir les multiples facettes de l’éducation, voir au-delà de la dimension purement académique. C’est la meilleure façon d’investir dans l’avenir.
Shaun Payen a-t-il d’autres projets en gestation ?
Pas pour l’instant. J’ai la chance d’être comblé par ce que je fais. Mais j’avoue que l’écriture ne me laisse pas insensible. Pourquoi pas un livre sur le “public speaking” où j’évoquerai mes expériences en tant que coach ?