Priya Hein

En toute intimité

Son roman, “Riambel”, paru l’année dernière, a été salué par la critique pour son style captivant et son exploration de thèmes profonds. Il a, en tout cas, valu à Priya Hein de se voir décerner cette année le prestigieux Prix Athéna, deux ans après que son manuscrit fut récompensé du Prix Jean Fanchette. Revenue s’installer à Maurice en famille après plusieurs années passées en Allemagne, la quadragénaire cogite semble-t-il déjà sur un nouveau projet littéraire.

✍ Jean-François LECKNING | Axelle GAILLARD

📷 Photo d’ouverture : Umar TIMOL

C’est une femme lumineuse, pleine de charme et intelligente de cœur. Tout, dans son regard, dans ses gestes, dans sa façon d’aborder les choses et dans son rapport à l’autre témoigne de sa grande sensibilité. Une sensibilité qui transpire de sa plume à chaque fois qu’elle défie la page blanche, pose des mots sur un souvenir, sur un ressenti, sur un moment de vie….

Priya Hein, née Rughooputh, est auteure. Probablement ce qui se fait de mieux dans la littérature mauricienne en ce moment. Après s’être longtemps contentée de livres pour enfants, elle a passé un nouveau cap l’année dernière en publiant son premier roman pour adulte, “Riambel”, dont le manuscrit lui avait permis de remporter, en 2021, le prestigieux prix Jean Fanchette, une sorte de Goncourt mauricien placé sous la présidence de l’illustre Jean-Marie Le Clézio. Ce livre, très bien accueilli par la critique, a aussi été plébiscité le 30 juin dernier par le jury du prestigieux Prix Athéna, à La Réunion, qui a salué le style captivant de l’auteure et son exploration de thèmes profonds. L’ouvrage, initialement écrit en anglais, a été traduit en français par Haddiyyah Tegally qui, aux dires de Priya, “a réalisé un travail remarquable.”

“Riambel”, c’est aussi le nom de son village natal. Un lieu hors du temps, hors des sentiers battus, posé par une main divine sur la côte sauvage du sud mauricien. C’est là qu’elle a fait construire son pied-à-terre mauricien, là où elle venait se ressourcer en famille à chaque fois qu’elle ressentait le besoin de rompre avec son Allemagne d’adoption. Un havre de paix cubique, blanc, immaculé qui fait face à l’océan Indien. Mais “Riambel”, le roman, offre une trame moins gaie, une perspective plus erronée du décor carte postale vue de la fenêtre de l’habitant. A travers les pages, l’ancienne élève du Couvent de Lorette de Quatre-Bornes aborde “la complexité des relations ethniques à Maurice, la rupture entre les possédants et leurs serviteurs et la condition des femmes.”

Notre rencontre avec Priya, longtemps planifiée, souvent renvoyée, est un moment de pur bonheur. Face à nous, se présente un petit bout de femme qui, au premier abord, interpelle par sa fragilité… “Je suis très timide” confesse-t-elle d’emblée. Priya a épousé Stefan, un Allemand de Bavière. Le couple a vécu de nombreuses années à Munich. Dans la conversation se glissent quelques phrases d’allemand. Nous nous comprenons. La glace se brise au fur et à mesure de l’échange.

Le voyage de Priya dans le monde de l’écriture a commencé en 2009 avec la parution de “Feno le petit Dodo”, dont les aventures ont été traduites en anglais, français, créole et allemand. Le déclic ? La jeune femme cherchait à offrir à sa fille de trois ans, Ananya, un livre qui lui aurait permis de faire connaissance avec le dodo. Mais en librairie “il n’y avait rien pour son âge.” Et c’est ainsi qu’elle a eu l’idée d’écrire elle-même une histoire qui, se souvient-elle, “a immédiatement conquis le cœur de ma fille.”

Encouragée par cette réaction positive, Priya envoya son texte aux Editions de l’Océan Indien, qui acceptèrent de le publier après une belle mise en images de Feno par la jeune illustratrice anglaise Lynda Nelson. Dans la foulée, elle eut l’idée d’un abécédaire mettant en scène Feno et conçu de façon ludique pour aider à l’apprentissage de l’anglais. “Little Dodo’s ABC Book” offrait en effet aux enfants la possibilité de peindre, découper et coller eux-mêmes les illustrations. Ce livre allait par la suite être sélectionné parmi les Coups de cœur de la FNAC en France, ce qui contribua évidemment à renforcer sa notoriété en tant qu’auteure pour enfants.

Interculturel

En 2014, Priya Hein enchaînait avec “Sous le flamboyant”, un recueil de contes, puis “Ti Solo grand héros”, publié quatre ans plus tard par les éditions Vizavi. Ce livre parle de la différence, de la tolérance, du harcèlement scolaire et de l’importance de la prévention. “Il a été illustré par une quarantaine d’enfants rodriguais de 5 à 14 ans, réunis en atelier de travail sous la direction de l’illustratrice Sophie Bazin, plus connue comme Mary-des-Ailes. Ils ont travaillé à partir de matériaux recyclés qu’ils ont eux-mêmes collectés”, s’inspirant d’une technique picturale pratiquée par les Gonds, une tribu du Madhya Pradesh, en Inde. Les enfants ont ainsi pu être sensibilisés sur l’importance du recyclage et de la préservation de la communauté.

Autre ouvrage signé Priya Hein à avoir connu le succès en librairie : “Blue Bear”. Il a été traduit en allemand mais surtout en créole par Shenaz Patel. “En Allemagne, ce livre a été utilisé par une fondation spécialisée dans des causes humanitaires pour expliquer aux enfants les migrations et les différences entre êtres humains.” Ceci est venu du fait qu’un jour sa fille est rentrée de l’école en lui demandant pourquoi elle était différente des autres. “Elle était la seule métisse de sa maternelle”, se souvient Priya.

Détentrice d’une licence de droit de l’université métropolitaine de Manchester et d’un master bilingue en politique internationale de l’Université libre de Bruxelles, Priya Hein a brièvement travaillé pour la Commission Européenne dans la capitale belge, puis pour le Parti travailliste britannique au Parlement européen en tant que juriste et linguiste. Un parcours tout tracé jusqu’à qu’elle se rende compte que sa fièvre d’écrire surpassait le reste, lui offrant un espace d’expression créative qu’elle apprécie pleinement et lui procurant un sentiment d’épanouissement.

L’écrivaine est de celles qui valorisent l’ouverture d’esprit et la découverte de nouvelles cultures. Après de nombreuses années en Allemagne, elle est revenue s’installer à Maurice avec sa famille. Avec Stefan, qui travaille dans le domaine de la finance à Ebène, elle a eu deux enfants dont les prénoms viennent du sanskrit, “Ananya, 17 ans, veut dire unique, et Kian, 14 ans, signifie rayon de lumière.” L’auteure de “Riambel” a vite trouvé un équilibre entre ses racines mauriciennes et son expérience de vie en Europe. “La communication interculturelle est très importante et j’insiste toujours sur le besoin de faire preuve d’empathie et de respect mutuel pour construire des ponts solides entre les personnes et les communautés.”

A l’heure où les frontières s’estompent et où les cultures se mélangent, ses enfants sont cosmopolites et baignent dans un environnement multilingue où l’anglais, le français, le créole et l’allemand se côtoient naturellement. Les Hein ont la vision d’un monde où les différences sont célébrées et où la diversité est une force. La coexistence harmonieuse des cultures est, pour eux, source d’enrichissement mutuel. “Mes enfants se sentent à l’aise ici bien qu’ils soient tristes d’avoir quitté leurs amis en Allemagne. Mais je ne me fais pas trop de soucis. Ananya socialise facilement et même si Kian est timide comme moi, je sais qu’il aime notre île”, explique notre interlocutrice.

La famille s’est installée à Rivière-Noire mais se ressource le week-end dans leur bungalow de Riambel, si calme et reposant qu’il pourrait l’inspirer un nouveau projet d’écriture. Priya Hein confirme seulement à demi-mot : “J’ai quelques idées en tête, certes, mais je préfère pour le moment les laisser mûrir…”