Ruqayah Khayrattee
Le besoin de dénoncer
Observatrice plutôt avisée de la société mauricienne, femme engagée, la journaliste Ruqayah B. Khayrattee couche sur papier des histoires troublantes et des vérités cachées que peu ose dénoncer. Certains combats lui tiennent particulièrement à cœur.
✍ Shareenah KALLA | 📷 archives personnelles
La plume est son arme. Elle lui sert à raconter les travers de notre société, à conscientiser l’opinion publique, à rétablir certaines vérités… Ruqayah B. Khayrattee est une journaliste qui s’inscrit dans le besoin de dénoncer. “Il y a trop de gens ici qui sont victimes d’injustices et qui, pourtant, pensent que ce qui leur arrive est juste”, explique-t-elle.
Pour comprendre ce qui a modelé cette jeune femme qui n’a jamais eu froid aux yeux, il faut sans doute remonter le temps, revisiter son adolescence. En effet, comme le dit l’adage, “ce qui ne vous tue pas, vous rend plus fort.” Et ce fut le cas pour Ruqayah, tombée gravement malade il y a quelques années, au point d’être condamnée par les médecins. Et de s’en sortir miraculeusement.
Lors de cet épisode ténébreux, celle qui n’était alors qu’une collégienne avait évidemment pu compter sur le soutien indéfectible de ses parents, mais aussi de feu Reza Issack, ancien député et rédacteur-en-chef du journal Star, et qui allait devenir pour elle une source d’inspiration inébranlable, un mentor, l’instigateur de sa passion pour l’écriture. Il l’avait incité à reprendre confiance en elle, à utiliser l’écriture comme une thérapie, comme un refuge, comme un moyen d’extérioriser son mal. Aussi, la plume s’est très vite imposée chez Ruqayah comme un moteur important de sa guérison. “Il n’y a pas eu que les traitements médicaux. Ma passion pour l’écriture m’a définitivement aidée à guérir.” Et, deux ans plus tard, elle reprenait le chemin de l’école.
C’est donc en toute logique que la jeune femme décide, au terme de ses études, de se lancer sur la voie du journalisme. Elle fait ses premières armes à Samedi-Plus. Ruqayah s’y épanouit, découvre l’île Maurice vraie et profonde. Elle prend conscience, surtout, que le journalisme est un métier de terrain, pas de salon, et que c’est en allant vers les autres, en côtoyant la réalité de leur quotidien qu’un journaliste est mieux à même de comprendre leurs difficultés et de raconter leur histoire. “Ça n’a pas toujours été facile, c’est sûr, mais je dois dire que l’expérience a été enrichissante”, témoigne-t-elle.
Une femme engagée
Si ses débuts à Samedi-Plus sont plutôt timides, Ruqayah Khayrattee ne tarde pourtant pas à se faire remarquer. On lui reconnait une certaine polyvalence, une qualité très recherchée dans le métier. C’est un peu cette qualité, du reste, mais aussi sa débrouillardise, qui lui permet aujourd’hui de diriger son propre journal, This Week News Mauritius.
Ce besoin d’être aux commandes d’un projet rédactionnel, de définir sa propre ligne éditoriale, émane de cette envie de faire ses preuves et de raconter sa propre version des choses. En effet, en écrivant pour les autres, elle se sentait étouffée et ne pouvait pas toujours aborder des sujets sensibles qui lui tenaient à cœur. Aussi a-t-elle senti le besoin de passer le cap, de devenir la rédactrice-en-chef de son propre journal. Son style change. A bas le sensationnalisme. Ruqayah écrit désormais pour dénoncer les problèmes sociétaux et œuvre afin d’y trouver des solutions. Et tant pis si ça dérange.
Chez la jeune femme, la dénonciation couvre tous les aspects de la vie du pays, du politique au religieux en passant par le social. “On dit que l’exemple doit venir d’en haut. Est-ce vraiment le cas ici où la tendance est de suivre aveuglément les soi-disant leaders ? Or, ils ne prennent même pas le temps de faire un constat réel de ce qui ne va pas.” Ruqayah s’insurge ainsi contre ceux qui se disent issus du sérail religieux mais qui ne font preuve d’aucune équité, qui, au contraire, se servent de la religion comme d’un bouclier pour dissimuler l’injustice et faire de la vie d’autrui un enfer.
Au-delà du journalisme, notre interlocutrice est très active dans le social. Pour preuve, elle s’est engagée sur plusieurs plateformes au lendemain de la pandémie, notamment «Nou pa ban cobaye» ou encore «No Covid vax for kids». Ce combat contre la vaccination obligatoire s’était du reste soldé par un franc succès. Pour Ruqayah, c’est la preuve que tous les problèmes peuvent être résolus par le biais d’une bonne communication et d’un engagisme civilisé. “Parce que tout ne relève pas du sensationnalisme”, insiste-t-elle.
La journaliste est également très engagée dans la cause féminine. Elle avoue être en quête d’une certaine forme d’égalité des genres et profite de l’occasion pour donner sa version du féminisme.
“Ce n’est pas un mouvement ‘anti-zom’ comme certains veulent le faire penser. Il s’agit davantage de valoriser le rôle de la femme dans la famille et en société.” C’est d’ailleurs son âme féminine qui l’a incitée à donner vie à l’association FAM, abréviation bien trouvée pour “Fam an Mars.”
Sur le terrain, notre interlocutrice est d’avis que la situation des femmes s’est dégradée drastiquement ces dernières années. Preuve s’il en est que la société va mal. “Je l’ai toujours dit et je le répèterai à l’envie : quand on maltraite une femme, c’est la société qu’on maltraite. Si elle s’écroule, tout s’écroule.” Ruqayah explique que la société mauricienne a tendance à juger la femme sur ses actes sans même essayer de comprendre comment elle en est arrivée-là. Pour elle, la source de ce mal est le manque d’éducation. C’est une réalité bien mauricienne que bon nombre de citoyens préfère ignorer.
En ce moment, c’est à l’épineux dossier du religieux que Ruqayah s’intéresse. Elle dénonce trop de superstitions, trop mésinterprétations qui font du tort à la véritable foi. Ce “nouveau combat”, elle compte le mener pour le bien de ses enfants et donc de la génération future. De quoi soulever quelques véhémences dans une société conservatrice à souhait. Cependant, fidèle à sa méthode, la jeune femme n’arpentera pas dans les sentiers du sensationnalisme, mais aura seulement pour mission “d’ouvrir les yeux” de ses compatriotes.
Aujourd’hui, Ruqayah jouit d’une santé de fer. La maladie n’a pas laissé de séquelles, mais l’a rendue davantage indépendante. Une indépendance qui carbure sa farouche volonté de rétablir la vérité coûte que coûte. On vous avait prévenu, cette femme n’a pas froid aux yeux !