Manda Boolell
La grande dame
Icône de la télévision mauricienne d’hier, Manda Boolell appartient à une époque où l’excellence était une norme à la rue Pasteur. Motivée par le désir d’apporter quelque chose d’utile et de positif aux autres, la grande dame ne se lasse jamais de projets et d’initiatives, contribuant à piocher sur le sentier des pionnières et à briser les tabous d’une société mauricienne parfois trop bien-pensante. Rencontre.
Texte : Mireille MARTIN | Photos : Brady GOORAPPA
La conversation entre nous débute bien avant l’entretien officiel. Normal, Manda Boolell, personnage archi-connu du paysage local, passionnée de lecture et des gens, a le contact facile. De fil en aiguille, cette femme calme et posée, au franc-parler saupoudré de diplomatie, nous parle d’elle, de ses activités et des questions qu’elle se pose sur son pays.
Elle dit sourire souvent et rire rarement. Et quand on lui demande quelles sont ses qualités, Manda semble étonnée. “Franchement, je ne sais pas !” Son sens de l’optimisme peut-être ? Ou alors son caractère de battante ? Celle qui fut une des icônes de la télévision nationale à une époque où celle-ci connaissait ses moments de gloire, Manda Boolell est rapidement devenue un nom, une référence à Maurice. Sa popularité, acquise en vingt-cinq années d’une riche carrière, ne l’a jamais quittée. “Aujourd’hui encore, dans la rue, les gens me reconnaissent”, confie-t-elle en souriant.
A la rue Pasteur, Curepipe, elle a occupé les postes de présentatrice, d’animatrice radio et télé, de réalisatrice, de journaliste et de directrice de la programmation, entre autres. Sa célébrité ne l’a pourtant pas empêchée, dans les années 90, d’être licenciée suite à une “chasse aux sorcières” politique. Manda a su rebondir malgré tout et a pris de l’emploi comme numéro deux du British Council. Poste qu’elle a occupé pendant une dizaine d’années.
Pionnière dans plusieurs domaines – elle a été la première femme à occuper la présidence du MACOSS et est actuellement la première femme présidente du Club Rotary de Curepipe – Manda est de celles qui refusent la monotonie et les chemins tracés à l’avance. Son amour pour l’engagement social, elle confie le tenir de son père, Vadivel, négociant de profession. “Il aimait beaucoup aider les gens”, se souvient-elle. Devenu veuf d’un premier mariage, ce dernier épousera sa mère Meelachee en secondes noces. Manda est l’aînée d’une famille de huit enfants. Elle est restée très proche des enfants du premier mariage de son père, surtout de son frère Retnon qui, dit-elle, “a toujours été là pour moi.”
Portlouisienne de naissance, Manda n’a que 13 ans quand elle traverse la première épreuve douloureuse de sa vie : le décès de son père. “Il n’était pas que mon père, mais aussi mon mentor, mon ami, mon confident… J’étais très proche de lui. Son départ a provoqué un grand vide en moi ; un sentiment de fin du monde.” Mais cette perte l’oblige aussi à se responsabiliser, à assumer son rôle de fille aînée, à donner l’exemple à la maison comme à l’école.
Son adolescence est surtout marquée par l’influence de femmes fortes. “A la mort de mon père, ma mère a dû tous nous prendre en charge. Elle était très occupée avec les autres enfants. Ma grand-mère maternelle nous avait été, je m’en souviens, d’un soutien extraordinaire.”
A l’école, ce sont ses enseignants et les sœurs du Couvent de Lorette de Port-Louis qui assurent sa formation, surtout Mère Noëlla qui prend Manda sous son aile quand elle entre au collège. La jeune fille y côtoie avec un égal bonheur l’hindouisme et le catholicisme, baignant dans un bouillon de cultures, soutenu par ses parents. “Mon père avait un esprit ouvert sur ces sujets. Chez nous, on valorisait l’éducation et la culture. On ne mettait pas de barrières quand il s’agissait de religion. Le vendredi après l’école, je suivais des cours de langue tamoule. Mes parents m’ont toujours encouragée dans tout ce que je voulais entreprendre.”
De son passage au “Couvent”, comme elle l’appelle affectueusement, Manda garde en mémoire des moments d’amitié et de partage. “J’adore la lecture depuis l’enfance. A un certain moment, Mère Dominique m’a confié la responsabilité de la bibliothèque. Je devais lire tous les ouvrages et donner mon avis.” Inconsciemment sans doute, cette passion dévorante pour les livres est ce qui la pousse à opter pour l’histoire au détriment des mathématiques comme matière de cycle secondaire. “Tout le monde me disait que ce choix me priverait de la possibilité d’être lauréate, se souvient-elle. Je suis reconnaissante envers les sœurs de m’avoir soutenue. Je n’ai subi aucune pression de leur part. Elles ont même fait venir un enseignant d’histoire rien que pour moi car j’étais la seule élève du couvent à avoir opté pour cette matière”
A la fin de ses études, Manda décroche une bourse française et s’envole pour l’université d’Antananarivo. Le changement d’environnement est rude pour la végétarienne qu’elle est. Mais sa persévérance et sa détermination lui permettent très vite de s’adapter à la capitale malgache. “A l’étranger, je me suis découverte autrement. C’est là que j’ai commencé à me poser des questions relevant de l’identitaire. J’ai compris que le Mauricien, dans sa diversité culturelle et ethnique, a souvent des replis identitaires quand il est chez lui. A l’étranger, il s’ouvre à tout et s’adapte.”
De retour au pays dans les années 70, Manda devient enseignante de langues au collège Trinity “parce que mon frère Retnon travaillait là-bas.” Le grand saut dans l’audiovisuel viendra, lui, quelques années plus tard. Entretemps, elle retrouve Vinod Boolell, jeune avocat rentré d’Oxford qu’elle connaissait déjà. Leur amour, inimaginable pour l’époque à cause de leur différence de culture, fait polémique. “Ce fut le grand scandale”, se souvient Manda en souriant. Malgré tout, les amoureux tiennent ferme et se marient. Tout s’arrange avec le temps. De leur union, naissent deux enfants.
Forte de ses expériences vécues, Manda Boolell se pose pas mal de questions sur la société mauricienne d’aujourd’hui. “La parité ou encore la violence à l’égard des femmes et des enfants sont autant de sujets qui m’interpellent”, dit-elle. “Comment peut-on tuer des gens ou même abattre des arbres sans aucun état d’âme ? Il n’y a pas assez de respect entre humains et envers la nature. Pourquoi fait-on des enfants si on ne comprend pas la responsabilité que l’on a envers eux, et à vie ? Quelles sont les questions que les jeunes se posent sur la vie ? Où va notre système d’éducation ? Autant de questions que je me pose. Je n’ai pas de réponse à tout, mais je pense qu’il est important d’engager le débat.”
Pragmatique, Manda a une opinion ferme sur l’évolution des femmes à Maurice. “Il nous faut une société plus égalitaire et plus juste. Tous ces critères que notre société impose aux femmes, elle ne l’impose pas forcément aux hommes. Il faut cesser de demander à la femme d’être un héros sur tous les fronts. C’est une exigence impossible. Elle ne peut à la fois être fille parfaite, femme parfaite, mère parfaite et professionnelle parfaite. Dans cette panoplie de rôles, la Mauricienne a forcément un choix à faire.”