JASON LINGAYA
“Je crois dans le vécu !”

Comme les chats, Jason Lingaya a eu plusieurs vies. L’enseignant et auteur de 45 ans a récemment publié “Tom Kamaleon”, un roman illustré par Terence Kelly et adapté du classique de Mark Twain, “Tom Sawyer”. Avec l’humour et l’âme aventurière de Jason, Tom nous conte en créole mauricien des anecdotes passionnantes, tantôt vécues, tantôt inventées, à Poste-Lafayette.

Entretien : Yianna AMODINE – Photos : Brady GOORAPPA

Parlez-nous de toutes vos vies pour commencer. Il y en a plusieurs…

J’ai d’abord été journaliste pendant cinq ans, puis je suis parti en Europe afin d’y exercer le métier de steward. Ça a duré un an et demi. A mon retour à Maurice, comme j’aime beaucoup la mer, j’ai été maître de plongée dans un hôtel pendant un an. Enfin, en 2001, je me suis tourné vers l’enseignement et je n’en suis plus sorti !

Qu’enseignez-vous au juste ?

Je suis chargé du département pré-vocationnel au collège Saint-Joseph. Autant dire que j’ai eu l’occasion d’enseigner plusieurs matières : tour à tour l’anglais, le français, le créole, le dessin, le théâtre… En effet, je suis un peu touche-à-tout !

Où vient se glisser l’écriture dans tout ça ?

Je dois dire que j’écris depuis toujours. Petit, j’aimais les rédactions. Par la suite, je me suis inspiré de mon vécu et de mes expériences, comme quand je nageais à Poste-Lafayette par exemple. C’est comme ça que m’est venue l’idée de petits textes et poèmes, que je ne pensais pas forcément publier. Maintenant, quand j’en ai l’occasion, je le fais dans les journaux. Deux autres textes seront bientôt publiés : un sur une anguille et l’autre sur une pieuvre !

L’écriture vous vient-elle facilement ?

Pour moi, j’avoue que c’est un procédé pénible. Je ne m’amuse pas forcément en écrivant. Souvent, d’ailleurs, l’inspiration me vient quand je passe par des phases difficiles, où je ressens le besoin de m’exprimer, d’extérioriser. Le processus a été, cependant, assez différent pour “Tom Kamaleon”. A la base, c’est une histoire destinée à mes élèves. Je l’ai écrite entre 2011 et 2017, avec mes cours en parallèle.

D’où vous est venue l’idée ?

Enfant, je regardais “Tom Sawyer” à la télé. Je crois que toutes les générations y sont passées. Au lancement de mon livre, j’ai demandé à l’audience de lever la main s’ils l’avaient vu, et parmi il y avait même des popotes de 70 ans ! Bien sûr, à l’époque, je n’avais pas encore l’idée de “Tom Kamaleon”, mais c’est resté quelque part dans mon subconscient. Quand j’ai lu le texte de Mark Twain, je l’ai trouvé sublime et tellement riche.

Aussi, en classe, j’ai vu passer plusieurs potentiels Tom Sawyer et Huckleberry Finn ! Des élèves qui n’avaient pas peur de me dire qu’ils n’avaient pas fait leurs devoirs ou que ce que j’avais à dire ne les intéressait pas ; qui m’interrompaient en pleine classe pour me raconter leur partie de pêche du week-end. C’est ce vécu, que j’ai pris comme une éponge, qui m’a poussé à faire cette adaptation.

Ce n’est pas trop difficile d’adapter un classique ?

Je vais tout de suite rectifier : ce n’est qu’une adaptation d’une facette de l’ouvrage original. J’entends les gens dire que j’ai omis certaines parties. Oui, forcément ! J’ai choisi les parties qui me plaisaient le plus. Je me démarque totalement de la version originale, je n’ai finalement gardé que les personnages de Mark Twain. Mon Tom Sawyer et le sien sont les mêmes !

Pourquoi Tom Kamaleon alors ?

La réponse à cette question se trouve dans le chapitre 10 du livre !

Et pourquoi Poste-Lafayette ?

Quand j’avais douze ans, mes grands-parents ont acheté un campement là-bas. J’y passais toutes mes vacances. J’ai vécu cette vie et j’ai côtoyé ces pêcheurs que je décris dans “Tom Kamaleon”. Certains d’entre eux existent : Manikon était réellement un pêcheur d’ourites ; Joker, le doyen, était le pêcheur à la senne du village ; Sylvio était le plus réputé de tout le groupe. Je crois dans le vécu. La matière première de tout ce que j’écris, ce sont des expériences vécues. Ensuite je brode et j’enjolive pour raconter des histoires.

Pour quel public l’avez-vous écrit ?

Mark Twain a écrit “Tom Sawyer” pour tous les âges. Comme lui, je ne vise aucune tranche d’âge en particulier : un adulte peut se retrouver dans ces aventures autant qu’un enfant. Après, le livre étant écrit en créole mauricien, je suis conscient que certaines personnes auront moins de mal à s’y plonger que d’autres.

Pourquoi ce choix de langue justement ?

Je travaille en créole ! Cette langue a été, ces dix-huit dernières années, un vecteur qui m’a permis de faire passer l’information plus facilement. C’est d’ailleurs à travers le pré-vocationnel que le créole est entré dans les écoles dans un premier temps.

Enfin, qui sont les auteurs qui vous inspirent, hormis Mark Twain ?

Je pense qu’on ne se construit pas par soi-même. Il y a plusieurs auteurs qui m’inspirent. Maupassant, par exemple, pour la structure et le polissage de ses contes. Et aussi Saint-Exupéry pour sa clarté et sa simplicité. Dans ma dédicace, vous tomberez d’ailleurs sur un clin d’œil au Petit Prince.