SHAHEEN SALIAHMOHAMED
Poésie drapée…

Shaheen Saliahmohamed, 33 ans et 100 vies… Danseuse des airs, papillon enveloppé de tissus, elle est légère comme un souffle, grimpe dans les airs avec aisance. Elle a sans doute rêvé qu’on pouvait voler…

Texte : Axelle GAILLARD – Photos : Brady GOORAPPA

“C’est merveilleux de ressentir l’adrénaline, la légèreté, la grâce et cette façon artistique d’explorer sa féminité…”
C’est désormais son corps qui dit, qui crée, qui raconte des histoires…

 

Nous rencontrons Shaheen Saliahmohamed dans un café de Beau-Bassin. C’est un petit bout de femme à l’apparence timide et fragile, qui porte de grandes lunettes qui lui mangent le visage. Vêtue d’un sarouel, elle touche à peine le sol…

Première impression ? On aurait dit que la jeune femme sort tout droit de la chanson “San Francisco”, de Maxime Le Forestier, et que Lisa et Luc viendront nous rejoindre plus tard… Peut-être cette impression de baba cool, de hippie qu’elle dégage ? Peu importe en fait ; Shaheen possède ce quelque chose d’indéfinissable qui fait qu’elle interpelle, qu’elle attire, qu’elle nous donne envie de connaitre son univers.

Shaheen évoque un peu les regrets nés de ses amours déçus, parle de ses sentiments à fleur de peau, raconte et partage les moments forts de sa vie. De l’île Maurice au Chili, en passant par Israël et l’Argentine, elle apprend, s’imprègne et s’affirme.

Au terme de sa scolarité au Bocage, la jeune femme entame son cursus universitaire en sciences humaines à Glasgow, en Ecosse, et étudie l’espagnol en parallèle. L’année 2008 est un tournant : elle part pour le Chili et participe à des échanges à Santiago. C’est là qu’elle découvre les arts de la rue, notamment la “capoeira”, qui se situe entre l’art, la lutte et la danse. Elle découvre les marionnettes et, surtout, plus qu’une découverte, elle rencontre le trapèze sur tissu. “J’ai tout de suite trouvé que c’était accessible à tout le monde, contrairement à ce que je pensais au préalable ; que cet art de rue me permettait de dépasser mes limites. J’ai alors pris des cours au centre culturel.”

Un jour, Shaheen se rend compte que la création est là, qu’elle lui permet d’être belle comme une émotion et d’être présente sur scène, comme un cadeau. Elle fait alors une pause au niveau académique pour ne se consacrer qu’au cirque. Principalement à la danse aérienne avec tissus. C’est désormais son corps qui dit, qui créé, qui raconte des histoires. Son corps et sa grâce qui parlent de sa vie, du rapport aux autres, mais aussi de l’exigence des gestes et des mouvements répétés inlassablement, au-delà des douleurs du corps. Se rendre compte, bien souvent, que ces douleurs physiques soignent ceux de l’âme.

Puis Shaheen prend un autre départ. Cette fois, c’est l’Argentine qui l’accueille. “Qu’est-ce qu’il peut faire froid en Patagonie !” Notre globe trotteuse s’envole ensuite pour Israël et se travaille volontairement pour une ONG qui s’occupe de la communauté bédouine. En parallèle, elle fréquente l’école nationale du cirque d’Israël. Deux ans de formation, avant de reprendre la route, cette fois pour Turin et le “Flic Scuola di Circo”. L’artiste apprend alors à jouer avec la grâce de son corps, qui se tord dans les airs de façon naturelle et enlevée. Elle ressent alors une grande force, découvre la flexibilité de son art et sa grande beauté.

Shaheen ne peut vivre simplement, avoir un parcours classique, un quotidien écrit dans les normes de la société. Sa vie semble être une succession de rencontres, belles et moins belles, mais toutes sont constructives et formatrices. A Turin, un Mexicain qui louait une maison pour en faire un espace culturel, lui demande de le rejoindre. “La première chose que je me dis : le plafond est haut et on peut y accrocher des tissus !” Notre artiste se perfectionne de plus en plus, fait corps avec ses tissus, multiplie les démonstrations sensuelles et se contorsionne dans la plus grande liberté. Légère comme un souffle, elle grimpe dans les airs avec aisance. Shaheen a sans doute rêvé qu’on pouvait voler…

Un cirque à Maurice

Quelque temps plus tard, la Mauricienne quitte l’Europe et part pour Mexico City afin de mettre en place des ateliers d’art de rue. Elle intègre le “Circo de Mente” et donne des cours d’anglais pour gagner sa vie. “Mon papa est Mauricien et ma maman Indienne et anglophone”, d’où le charmant accent anglais qui se glisse dans ses tonalités. Et concernant le regard de sa famille sur son mode de vie ? “Mes parents étaient inquiets, normal, mais au bout d’un moment, ils ont lâché prise et ont compris que je ne pouvais me conformer aux mœurs locales…” Et ils n’ont même pas dû sourciller quand leur fille leur a annoncé qu’elle change encore de pays pour y poser ses bagages en Argentine, pour trois ans. “Un ami argentin m’a invité à participer à des ateliers et je n’ai pas hésité.” Shaheen travaille alors pour l’opéra “Mujer sin hombre”, qui est pour elle un lieu emblématique.  Encore une occasion de s’épanouir, d’aller vers les sommets, d’apprivoiser le vent, de se sentir libre…

En 2013, après dix ans passés à vadrouiller, Shaheen rentre à Maurice avec un projet en tête : créer son école de cirque. “Avec Nicholas, mon compagnon de l’époque, nous avons créé le Baraka Cirq. Nous avons aménagé le bureau de mon papa et composé avec les moyens de bord !” Au fur et à mesure, leur projet s’est concrétise et le gymnase de Coromandel a vu le jour. “Nicholas donnait des cours de jonglerie et d’acrobatie et moi de danse aérienne, bien sur.”

Les années passent, les ateliers se multiplient. Baraka Cirq commence à avoir pignon sur rue. “Nous avons participé au spectacle pour les festivités de l’indépendance le 12 mars dernier au Champs-de-Mars. Les filles tout là-haut dans les tissus, c’étaient nous !” Ceux qui les ont vues évoluer dans les airs vous diront que c’était une belle performance, avec des glissées d’une parfaite maîtrise.

Shaheen Saliahmohamed confie que ce n’est pas toujours évident d’être à la fois professeur et amie, même si, de par ce qu’elles vivent ensemble, les liens qui les unies, ses élèves et elle, sont forts. “J’aime observer mes élèves, elles ont de 11 ans à monter. Leur corps change. C’est merveilleux pour elles de ressentir comme moi l’adrénaline, la légèreté, la grâce et cette façon artistique d’explorer leur féminité.”

Depuis quelque années, Shaheen fonctionne toutefois seule. Nicholas ne fait plus partie de sa vie sentimentale, mais revient une fois l’an, en été, pour des ateliers de jonglerie et d’acrobatie. Son but, dans l’immédiat, est de trouver des appareils transportables pour travailler partout à Maurice. Elle souhaite aussi, en parallèle, poursuivre ses études à distance, “J’aime faire pleins de choses : le yoga, la musique, la lecture, être une bonne maman… C’est une question d’équilibre. Je vois ma vie comme une mosaïque.”