PEOPLE, édition 53, Septembre 2019

Il faut sauver le MMM !

Par JEAN-FRANCOIS LECKNING

Certains anniversaires sont plus importants que d’autres. Parce qu’ils marquent un tournant. Parce qu’ils permettent de mesurer tout le chemin qui a été parcouru et anticiper le reste du chemin à parcourir….  Cinquante ans, c’est le demi-siècle, la mi-temps, peut-être même les prolongations dans la vie d’un homme. Le trait d’union entre hier et demain, entre ce qui a été et ce qui peut encore l’être. L’âge où on commence à se lasser du monde sans se rendre compte que le monde aussi commence à se lasser de vous. L’âge où l’on devrait se contenter d’être élégant à défaut de pouvoir encore séduire. C’est aussi le moment d’une vraie introspection ; sans fard, sans maquillage.

Cinquante ans, c’est désormais l’âge du Mouvement militant mauricien, né le 12 septembre 1969 sur les braises du rond-point de Saint-Jean, là où des étudiants bien décidés à faire entendre leur voix s’indignèrent contre la présence à Maurice de la princesse Alexandra, cousine d’Elizabeth II, reine d’Angleterre. Il fallait que notre île nouvellement indépendante s’affranchisse une fois pour toute de l’impérialisme britannique. Pour avoir osé, ces jeunes militants courageux et dignes furent pourchassés par la police, matraqués, blessés, arrêtés, traduits en justice…

A la tête de ce mouvement de contestation qui, jour après jour, gagnait du terrain, un rebelle moustachu portant veste en cuir : le jeune Paul Bérenger. Un révolutionnaire s’inspirant de l’école communiste. Le Che Guevara mauricien. Le pire cauchemar de Sir Seewoosagur Ramgoolam. Un esprit bien trop vif pour une vieille garde travailliste essoufflée et avachie. Un “voyou blanc” bien décidé, avec ses camarades, à tout renverser sur leur passage.

L’histoire s’est ensuite accélérée. Il y eut d’abord, en 1970, l’élection de Dev Virahsawmy à la partielle de Triolet, bastion rouge vif qui vira au mauve. S’ensuivit la victoire aux élections générales de 1976, avortée à la dernière minute par un pacte du diable immonde entre Duval père et Ramgoolam père, pacte qui transforma la majorité électorale du MMM en minorité parlementaire. Puis vint l’inoubliable raz-de-marée de 1982, le premier 60-0 de l’histoire et les 60 000 personnes rassemblées au Champ-de-Mars pour célébrer, enfin, la prise de pouvoir du militantisme.

L’histoire, tellement belle, aurait pu, aurait dû, s’arrêter là… Mais Bérenger en décida autrement. Neuf mois plus tard, il claqua la porte du premier gouvernement d’Anerood Jugnauth et le MMM se scinda en deux. Un Jugnauth qu’il avait, soit dit en passant, fabriqué avec soin et présenté comme chef de file des mauves, convaincu qu’il était que la majorité hindoue de Maurice ne cautionnerait pas de le voir s’installer dans le premier fauteuil. Beaucoup d’historiens et d’observateurs, dont feu Benjamin Moutou, se sont longtemps accordés à dire que Bérenger avait eu tort et que rien n’aurait pu empêcher la vague mauve de déferler sur l’île en cette année de braise 1982. Pas même des considérations ethniques !

A bien voir, l’histoire du MMM n’aura été qu’une succession de crises et de scissions en cinquante ans. Et nombreux sont ceux qui ont voulu s’affranchir, un jour ou l’autre, de l’autoritarisme de Bérenger et prendre leur destin en main. Dev Virahsawmy (MMMSP), Anerood Jugnauth (MSM), Jack Bizlall (Nuvo Lizour), Sylvio Michel (FTS), Ram Seegobin (Lalit), Prem Nababsing (RMM), Ivan Collendavelloo (ML), Alan Ganoo (MP) et, plus récemment, Steve Obeegadoo (PM) ont, tour à tour, pensé qu’ils seraient capables de fédérer autour d’eux un nouvel élan de militantisme. En vain ! Ne remplace pas Bérenger qui veut ! Mais tous ces “tret, bezer paker, imbesil, vender lalit” – des propos qui ne sont évidemment pas de moi – ont causé un tort incommensurable au parti du cœur.

On ne saura jamais si c’est la parcellisation extrême de l’électorat du MMM qui a précipité sa chute dans tous les sondages d’opinions ou si le parti mauve souffre toujours du rejet massif de son électorat après l’alliance inconcevable scellée avec Ramgoolam en 2014 ; alliance qui fut du reste vécue par les militants comme la plus grande des trahisons. Sans doute que c’est un peu des deux à la fois. Toujours est-il qu’à quelques mois d’affronter les Législatives pour la onzième fois de son histoire, le MMM n’a jamais paru aussi fragilisé. Bérenger lui-même en est conscient même s’il n’ose l’avouer.

Si la trahison récente de cinq mousquetaires a fait beaucoup de bruits, Sanjeeven Permal et ses camarades m’excuseront de penser que c’est davantage pour le geste que pour les conséquences qu’ils ont été vampirisés sur les réseaux sociaux. A bien voir, au contraire, le MMM pourrait bénéficier d’une certaine vague de sympathie dans l’électorat après tout ça car les Mauriciens ont bien compris que ce coup de poignard dans le dos, orchestré de loin, a d’autres raisons que la dissidence idéologique…

Reste une question. Une seule. Elle est fondamentale et déterminera la suite. Que compte faire Bérenger pour redorer le blason de son parti, dont la seule transition réussie, finalement, aura été de le faire basculer progressivement de l’extrême gauche vers le centre droit, sans que personne ne s’en rende compte ou ne s’en offusque ? S’engager à se présenter seul devant l’électoral ne devrait malheureusement plus suffire. En 2014, ça aurait pu, mais il a laissé passer sa chance. Fin 2019 ou début 2020, il faudra faire preuve d’un peu plus d’imagination. Se targuer d’être “le seul parti propre” du pays, ça ne marchera pas non plus, ça sent le disque rayé.

L’essentiel est ailleurs. Il réside dans le besoin de se réinventer, de séduire un nouvel électorat, de savoir parler aux plus jeunes. Pour ça, il faut rompre d’urgence avec le passé. Le MMM est aujourd’hui prisonnier d’un trop plein de “démocratie” qui ne permet pas à de nouvelles têtes d’émerger mais les relègue, au contraire, au fin fond d’obscures branches régionales qui font semblant de fonctionner. Ses structures sont bien trop rigides et ne laisse pas de place au débat, à la construction d’idées, à la préparation d’un vrai projet de société. Elles sont déphasées et inadaptées au monde dans lequel nous vivons. Et puisque l’image compte aujourd’hui plus que le discours, sans doute serait-il temps, aussi, de revoir la façon de communiquer. Ce n’est pas à travers ses traditionnelles messes du samedi matin, entouré d’une incontournable meute de fidèles dont certains finiront encore par le trahir, que Paul Bérenger parviendra à convaincre un pays qui, pourtant, a plus que jamais besoin de lui, de son savoir, de son expérience.

Allez Paul, de l’imagination bon sang ! Le temps presse.