Obeegadoo, millésime 2019 !

Lui, c’est un made in MMM. Après quarante ans de fidèle compagnonnage, Steven Obeegadoo a été, dit-il, poussé vers la sortie. Le parti aurait subitement découvert un dissident hétérodoxe. Le cador avait, disons, le ventre trop rempli pour avaler une énième couleuvre. Donc, sa filiation socialiste en bandoulière, ce dandy politique s’en est allé ériger sa propre chapelle militante. La qualité de son verbe ne l’a pas fait oublier qu’en politique, il faut toujours dire la vérité. Sauf quand elle est nuisible.

Texte : Géraldine HENNEQUIN-JOULIA – Photos : Brady GOORAPPA

– “Le temps des leaders dictant aux autres leurs volontés et suivis par des adorateurs faisant preuve d’une abjecte soumission est bien révolu.”

 

– “Comme Nietzsche disait, il vaut mieux être à la périphérie de ce qui s’élève qu’au centre de ce qui s’effondre.”

 

Pour quelle raison s’engage-t-on en politique à 15 ans et qu’on est issue de la petite bourgeoisie locale ?

Dès l’enfance, je me suis senti interpellé par l’injustice des inégalités sociales. Un de mes plus lointains souvenirs me ramène à une sortie familiale dans la région de Chamarel où l’indigence des enfants de mon âge m’avait profondément bouleversé. Un autre à mon école primaire, où je me sentais obligé de partager mon argent de poche avec un camarade qui arrivait à l’école sans rien à se mettre sous la dent. Le fait de trouver insupportable que certains puissent vivre dans un dénuement total, tandis que d’autres ne manquent de rien, ainsi qu’un sentiment d’obligation morale d’agir contre l’injustice expliquent sans doute cet engagement précoce.

Quel adolescent avez-vous été dès lors ?

Plutôt atypique des jeunes de mon âge. Je me partageais entre les études, les amis, la musique, la littérature, mais aussi et surtout la politique. Après une période où je me suis passionné pour les grandes religions du monde, j’ai conclu que la spiritualité  et la charité seules ne pouvaient mettre fin à la souffrance humaine. Je lisais Martin Luther King, René Dumont et Mao Zedong. J’en avais déduit que l’injustice sociale n’est ni accidentelle, ni une fatalité, mais découle de la façon dont les hommes s’organisent pour vivre en société. Comment, dès lors, donner un sens à ma vie sinon au travers d’un engagement politique ? Et puis, il y a eu Mai 75 ! Je suis passé à l’acte.

Partagez avec nous votre vision du militantisme en 1976, lorsque vous faites vos premiers pas à l’ombre des caciques du MMM ? Cette vision a-t-elle évoluée aujourd’hui ?

Au Collège Royal de Curepipe, j’avais rejoint un groupe de réflexion animé par les révolutionnaires en herbe qu’étaient Jocelyn Chan Low et Malenn Oodiah, mes ainés. Les élections générales de 1976 ont précipité mon adhésion au MMM, que je voyais comme un grand parti regroupant des jeunes d’opinions diverses mais ayant en partage les idéaux de justice et de liberté. J’avais 15 ans. Je crois être resté fidèle à ma conception du militantisme même si les années ont apporté expérience et lucidité.

Comment se sent-on quand on quitte un parti après 40 ans de combat ? Un sentiment de gâchis ?

Le MMM m’a offert beaucoup d’opportunités d’apprendre et de servir. Je lui ai bien rendu en donnant le meilleur de moi-même aux dépens de ma famille et de ma profession. Mais je n’ai aucun regret. Si c’était à refaire, je le referai sans hésitation aucune. J’ai été exclu du MMM, avec la quasi-totalité des activistes de Curepipe/Midlands, parce que nous nous étions abstenus de participer à des élections non-démocratiques pour soi-disant élire les instances dirigeantes. Cette exclusion après 40 ans m’a fait très mal, mais j’ai toujours été un homme de convictions, qui poursuit son idéal avec passion et intégrité.

Pour durer dans un parti, la seule voie possible semble être celle du compromis ! C’est cher payé ?

Pour évoluer au sein d’un parti, il faut bien évidemment être un team player, faire passer l’intérêt du parti avant soi et accepter de se plier à la volonté de la majorité, à condition que tout se fasse de manière démocratique. En politique, comme dans la vie de tous les jours, il faut bien accepter de faire des compromis pour avancer vers l’objectif. Toutefois, il y a une ligne rouge à ne pas traverser. Si l’on doit trahir ses principes, le compromis devient compromission et là je dis non !

Si vous n’aviez pas été expulsé, seriez-vous encore en train de faire des compromis à l’heure qu’il est ?

Je n’aurais jamais abandonné mon parti de mon propre gré et j’y serais encore pour lutter afin que ne disparaisse pas ce MMM au passé glorieux aujourd’hui déconnecté de la population. Et me revient à l’esprit Nietzsche, qui écrit : “Il vaut mieux être à la périphérie de ce qui s’élève qu’au centre de ce qui s’effondre.”

Vous dites ne pas croire dans l’avènement des grands hommes, contrairement à ce que l’Histoire nous a montrés jusqu’ici ? Quel est votre approche du leadership ?

L’histoire contemporaine, par le fait de la démocratie, fait moins de place aux héros. S’il y en a, ils ne durent pas longtemps. L’Histoire, demain, sera le fait non pas de grands hommes, mais de femmes et d’hommes visionnaires et démocrates, sachant inspirer leurs contemporains. Le temps des leaders “hommes” et autocrates, dictant aux autres leurs volontés et suivis par des adorateurs faisant preuve d’une abjecte soumission est bien révolu.

Que vous inspire l’expression “savoir partir” ?

L’ancien Premier ministre français, François Fillon, battu lors des Législatives de 2017, s’est retiré sur la pointe des pieds en déclarant : “Dans la défaite, le chef se retire sans chercher d’excuse ni donner de leçon. C’est la règle que je me suis fixé.” Il n’a manifestement pas été entendu à Maurice.

La démocratie représentative est fortement questionnée à travers le monde au 21e siècle. Qu’en pensez-vous ?

Le modèle de représentation politique selon lequel la démocratie ne dure que l’instant de déposer son bulletin de vote dans l’urne une fois tous les cinq ans n’est plus acceptable. Nous en sommes à l’heure de la cyberdémocratie et il est grand temps d’innover pour introduire le pouvoir de révoquer les députés ou le droit d’obtenir une consultation populaire par voie de référendum sur tout projet majeur pour lequel le gouvernement ne détient pas de mandat clair.

Les femmes font de la figuration dans le monde politique à Maurice. Pour avoir mariné dans la marmite politique depuis des années, quelle place réelle est ce que les hommes, tous partis confondus, sont prêts à leur céder ?

Aucune ! Malgré toutes les déclarations de bonne intention répétées chaque 8 mars, la représentation féminine au parlement recule. Il est temps d’ériger la parité femmes-hommes en principe et d’imposer un quota minimum d’une femme candidate par circonscription pour tout parti politique dès les prochaines élections générales et par la suite un tiers de ministres femmes. Et je propose le 50-50 d’ici 2030 !

Le philosophe Paul Ricœur disait ceci : “Nous sommes des nains sur des épaules de géants !” Qui sont les géants qui vous ont porté et vous ont aidé à structurer votre pensée ?

J’ai eu la chance et le bonheur d’entreprendre de longues études en sciences humaines et sociales ainsi qu’en droit. Cela me permet de mieux comprendre le réel et d’aller vers l’idéal comme disait Jaurès. Mon idéal est celui d’une société solidaire, écologique et démocratique. Je m’inspire de tous ceux qui, hier comme aujourd’hui, pensent cet idéal et luttent pour cet idéal. Mais je suis un libre penseur qui récuse tout dogmatisme.

Quelle est votre idée du bonheur ?

Aimer et être aimé. Mais aussi de pouvoir concrétiser la solidarité humaine, en apportant un peu de soleil dans l’existence de ceux à qui la vie n’a pas souri. Car, au final, le bonheur c’est de pouvoir être du côté de l’action pour changer le monde. “Ceux qui vivent sont ceux qui luttent”, disait Victor Hugo.