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La rue du Gouvernement

Par Jean-François Leckning

Ce jour-là, l’effervescence était palpable dans les allées de l’imprimerie du gouvernement. Les pressiers étaient aux aguets, prêts à lancer les rotatives. Les plaques étaient calées, les rouleaux fixés, les marges réglées, les encriers remplis… On n’attendait plus que “le feu vert d’en haut” pour que soient enfin imprimés les bulletins de vote destinés à la partielle du n°10, prévue une semaine plus tard.

Il faut dire qu’on était arrivé au bout du temps réglementaire. Dans ce match-là, pas de prolongations possibles. Au fur et à mesure que se dissipait la perspective d’élections générales anticipées, se profilait cette partielle aussi couteuse qu’inutile. Ça semblait inéluctable, on y allait tout droit.

Mais la veille, de façon soudaine, les planètes s’étaient alignées avec le soleil orangé du ciel mauricien. De Londres, nous était parvenue l’improbable nouvelle que la Grande-Bretagne avait enfin consenti à ce que la République de Maurice retrouve sa souveraineté sur l’archipel des Chagos. Dans tout le pays, l’émotion était palpable, à la hauteur de l’immensité de l’événement. Après cinquante-cinq ans d’une lutte intense et émotionnellement chargée qui aura consommé bien des âmes au passage, de Fernand Mandarin à Lisette Talate, la nouvelle de cette rétrocession allait envahir les réseaux sociaux avec, entre autres, les hashtags “Victoire”, “Justice” et surtout “Merci Pravin”.

Evidemment, les plus vifs d’esprit avaient, eux, déjà compris que la bande-annonce ne disait pas tout, que cet accord contenait forcément des clauses cachées. C’est ainsi qu’on apprenait plus tard que cette souveraineté retrouvée s’accompagnait de l’obligation faite à Maurice de louer à bail Diego Garcia pour un siècle. Le tout en échange, chaque année, d’une grosse liasse de dollars susceptible d’aider l’Etat mauricien à gérer son surendettement. En gros, on venait de vendre Diego pour la deuxième fois et, au lieu de s’en indigner, on applaudissait !

Qu’importe ! Seule compte, après tout, la perception de l’opinion publique. Et celle-ci était, du jour au lendemain, redevenue favorable à un Premier ministre pour qui tous les clignotants semblaient pourtant récemment avoir viré au rouge. Pas étonnant que l’équipe de com au service de Jugnauth s’arrangea, dans la foulée, pour l’auréoler de la couronne du grand conquérant.

A Riverwalk, où une haie de bambous les sépare, Navin Ramgoolam et Paul Bérenger, en vieux routiers aguerris, ne pouvaient ne pas avoir compris que leur adversaire venait de marquer de gros points politiques et qu’il allait surfer sur la vague avec effet immédiat.

Aussi, ce qui devait arriver arriva. Dès le lendemain, le Président de la République, Prithiviraj Roopun, se fendit d’un communiqué pour annoncer la dissolution de l’Assemblée nationale et la tenue d’élections générales le 10 novembre. La partielle du numéro 10 n’avait plus sa raison d’être. A l’imprimerie du gouvernement, on pouvait maintenant dévider les encriers, décaler les plaques, ranger les rouleaux et rentrer à la maison.

Dans moins d’un mois on saura s’il suffit de bâtir des ponts, d’augmenter les vieux et de jouer avec nos sentiments par rapport aux Chagos pour gagner des élections…

Mon petit doigt me dit que c’est davantage du côté du Champ-de-Mars et du souvenir de la défunte “écurie du peuple”, Gujadhur, que se trouvent, cette année, les véritables clés de la rue du gouvernement…

Au moment de dresser les premiers bilans de ces années sous la tutelle du MSM, on pourrait, en effet, ne pas avoir mesuré à sa juste valeur l’impact qu’aura eu l’anéantissement des courses de chevaux, l’opium des Mauriciens, dans le coeur de dizaines de milliers de compatriotes.

Tous des turfistes invétérés de pères en fils. Tous des électeurs. Et tous en colère !