Pallavi Jagessur

Repeindre sa vie

L’histoire de Pallavi Jagessur est poignante, bouleversante… Elle constitue un sacré pied de nez à une société trop conformiste et à un système de santé bien souvent dépassé. Atteinte depuis 2018 par la myélite transverse, une maladie auto-immune, elle se bat au quotidien contre ce corps qu’elle tente d’apprivoiser. Rencontre avec une jeune femme au courage hors du commun.

✍ Axelle GAILLARD | 📷 Manoj NAWOOR

“L’homme est un apprenti, la douleur est son maître, et nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert.” Cet extrait du poème La Nuit d’Octobre, d’Alfred de Musset, nous est venu à l’esprit lors de notre rencontre avec Pallavi Jagessur. Il résonne toujours en nous au moment d’écrire son histoire. Certes, depuis le temps, la jeune femme a appris à reconnaître chaque signe de son corps, chaque non-signe également, mais à quel prix…

C’est un honneur de rencontrer Pallavi. Un rendez-vous plusieurs fois reporté à cause de ses crises de douleurs, de ses séjours à l’hôpital, de ses symptômes complexes qui, bien souvent, lui dictent son quotidien. La myélite transverse, j’en n’avais personnellement jamais entendue parler… C’est une inflammation de la moelle épinière, une partie importante du système nerveux central qui transmet les signaux entre le cerveau et le reste du corps. Cette inflammation peut endommager ou détruire la myéline, la substance qui entoure et protège les fibres nerveuses, ce qui ainsi perturbe les signaux nerveux.

“Je ne peux plus travailler, ni être sous pression, pour ne pas envenimer les symptômes. De surcroit, dans notre société, les maux et les handicaps invisibles sont tabous et on n’en parle pas”, déplore la jeune femme. Et de poursuivre avec courage : “A Maurice, on est encore arriéré, on ne communique même pas là-dessus !” Il lui a fallu du temps pour réaliser qu’elle devait faire une croix sur les ressources humaines. “Cette maladie a ruiné ma carrière et ma vie. Comment dire à un employeur que tu as un défaut dans ton cerveau et que tu ne peux plus rien contrôler ?”

En 2022, après une rechute marquée par un long séjour aux soins intensifs, Pallavi Jagessur a découvert une nouvelle manière de canaliser ses émotions et de surmonter les épreuves : la peinture. “Je voulais crier, mais je ne pouvais pas ! J’ai alors choisi de le faire avec des couleurs”, dit-elle, évoquant les moments où elle se sentait submergée par la colère et la tristesse, sentiments exacerbées par un personnel médical souvent indifférent à ses souffrances, à ses angoisses et à ses doutes.

La myélite transverse a frappé Pallavi pour la première fois en 2018, laissant son corps totalement paralysé. Une situation d’autant plus difficile à accepter que cette maladie rare et idiopathique n’a ni traitement curatif ni signe avant-coureur. Elle n’était alors que la troisième Mauricienne diagnostiquée avec cette condition. “Cela provoque des sensations de brûlure, des fourmillements, des courants électriques et une sensation d’étau resserrant tout le corps”, décrit-elle. Mais aussi des douleurs soudaines au bas du dos, des faiblesses, une paralysie des jambes, parfois des bras, des sensations anormales comme des picotements, des engourdissements ou une sensibilité accrue au toucher, sans mentionner des problèmes de contrôle de la vessie ou des intestins. Les causes ne sont pas vraiment déterminées. On parle d’infections virales ou bactériennes, de troubles auto-immunes, de réactions à des vaccins…

C’est dans ce contexte de souffrance et d’injustice médicale que Pallavi Jagessur s’est tournée vers la peinture. “J’avais des frustrations, des colères envers un médecin qui me traitait de folle et ne me croyait pas”, raconte-t-elle. La peinture est ainsi devenue son moyen d’expression et de libération, un espace où elle pouvait extérioriser des émotions trop lourdes à porter.

Un de ses tableaux, vendu lors d’une expo qui lui était consacrée à Lakaz Flanbwayan cette année, illustrait particulièrement bien son expérience avec la myélite transverse : “Je suis paralysée dans mon corps, ma vie est sombre, mais cela ne m’empêche pas d’y rajouter du bonheur et des couleurs.” Un long intitulé mais une œuvre symbolique témoignant de son combat quotidien, de sa détermination à ajouter de la lumière, même dans les moments les plus sombres.

Au début, l’art de Pallavi était empreint de noirceur. Un reflet direct de ses souffrances intenses. Cependant, au fil du temps, sa pratique artistique a évolué, adoptant une approche plus positive et thérapeutique. La jeune femme se sert aujourd’hui de sa maladie et de ce qui lui est arrivée pour accompagner les personnes qui en ont besoin. “J’ai fait des études à distance en art thérapie, pour m’aider mais aussi aider les autres”, explique-t-elle fièrement. Ce changement de perspective a non seulement modifié son art, mais a aussi joué un rôle crucial dans son parcours de guérison.

Renaissance spirituelle et artistique

Partager ses œuvres a permis à notre invitée de sensibiliser son entourage à sa condition et aux épreuves qu’elle traverse. “Je crée mes tableaux en fonction de mon ressenti et de mon histoire. L’art m’a aidée à mettre des mots là où je ne pouvais le faire”, répète-t-elle, inlassablement. Ses œuvres offrent un aperçu tangible de ses luttes et permet à ceux qui les contemplent d’avoir une meilleure compréhension et davantage de compassion.

La myélite transverse a bouleversé la vie de Pallavi de manière drastique, vous l’aurez compris. Elle se souvient de la première attaque, le 6 mars 2018, alors qu’elle représentait son employeur à un séminaire dans un hôtel du nord. “Je travaillais dans les ressources humaines à l’époque. A la fin de la première séance, je me suis levée de table et, là, je ne sentais plus mes jambes. J’ai d’abord pensé que c’était dû aux effets de la climatisation, mais non ! Peu à peu, tout mon corps s’est figé.” Hospitalisée d’urgence, Pallavi a dû faire face à une série de défis, y compris l’incompréhension et le manque de soutien psychologique à l’hôpital. “Un psychiatre qui pose son stylo sur mon front en me disant qu’il fallait soigner mon cerveau parce que je devais certainement être folle… Alors que j’étais paralysée totalement !” Un profond traumatisme qui remonte à la surface encore aujourd’hui quand on lui parle de soins intensifs ou quand elle entend retentir, au loin, le son d’une sirène d’ambulance…

Le soutien de ses parents a été crucial, bien que difficile à obtenir à cause de la distance entre leur domicile curepipien et l’hôpital du Nord. Malgré ces obstacles, leurs visites, même brèves, ont été d’un grand réconfort pour Pallavi. “Je garde toujours le sourire pour les protéger, même lors de mes crises d’angoisse et de douleurs intenses”, confie-t-elle. Un moment clé de son parcours a été la redécouverte de la foi, à la suite de la lecture d’une prière offerte par une amie. “Mon corps est revenu à la vie comme par miracle alors que je ne croyais plus en Dieu !”

Cette expérience spirituelle a renforcé sa détermination à transformer sa douleur en une force positive. Elle est ainsi devenue Life Coach et a suivi des formations pour aider les autres à surmonter leurs propres défis. À ceux qui souffrent de la myélite transverse ou d’autres maladies rares, Pallavi offre des conseils empreints d’humanité : “Il faut accepter d’être vulnérable, de pleurer ou rire dépendant des circonstances, et essayer de transformer tout cela en pensées positives…” Pour elle, ces étapes sont essentielles pour reconstruire une vie malgré les épreuves.

Cette maladie soudaine a pourtant bouleversé la vie de Pallavi à plus d’un titre… Elle a rompu ses fiançailles, perdu son travail, certains de ses amis l’ont abandonnée et ont porté des jugements sur sa maladie, qui n’est pourtant ni héréditaire, ni contagieuse… Mais, grâce à sa force de caractère, tout ça lui a aussi permis de redéfinir ses priorités. “Je vois la vie différemment, mes priorités ont changé. J’ai gagné autre chose”, affirme-t-elle. La trentenaire se concentre désormais sur ce qui est vraiment important.

La découverte de l’art a été un élément crucial de son processus de guérison, un moyen de mettre des mots là où il en manquait. En utilisant la peinture pour exprimer ses émotions, Pallavi a non seulement trouvé un exutoire personnel, mais aussi un moyen de sensibiliser et d’éduquer les autres sur la myélite transverse.

On ne peut qu’être impressionné par la résilience et la force de cette jeune femme, qui, malgré une souffrance intense et une douleur omniprésente, a su transformer ces épreuves en une source de créativité et d’accompagnement. Son parcours nous rappelle que la douleur, bien que difficile à supporter, peut être un puissant maître, nous donnant des leçons sur la patience, la persévérance et la véritable signification de la vie.