Renaud Azema

“Il faut agir et vite !”

Rarement un professionnel du tourisme n’aura tiré la sonnette d’alarme avec autant de conviction et de sincérité dans le verbe. Renaud Azema, directeur de Vatel Maurice, s’inquiète du désintérêt nouveau des jeunes pour les métiers du tourisme. A terme, prévient-il, cela pourrait déboucher sur une véritable crise des ressources humaines. Selon l’avis de nombreux observateurs, des conditions d’emploi devenues déplorables en seraient la première cause. Renaud Azema ne le dit pas comme tel, mais concède “qu’il est urgent d’écouter ce qu’ont à dire les salariés et de modifier en profondeur l’approche de la gestion des équipes.” Entretien.

Propos recueillis par Jean-François LECKNING

On s’était vus en 2019 et Vatel allait bien. Depuis, il y a eu deux confinements et l’hôtellerie a fait face à une crise sans précédent. Comment se porte votre école depuis ?

Clairement, nous subissons aujourd’hui les conséquences des années Covid. C’est une période particulière et paradoxale. Nous n’avons jamais eu aussi peu de demandes d’inscription et, en même temps, du fait de l’énorme pénurie de main-d’œuvre dans le tourisme, nos étudiants n’ont jamais eu autant de belles opportunités.

Les métiers du tourisme recrutent, ils offrent de magnifiques perspectives, la qualité de notre formation et le niveau de nos étudiants conviennent parfaitement aux besoins de l’industrie, mais c’est un fait que les jeunes ne sont plus séduits par ce secteur. Il nous faut donc expliquer beaucoup plus qu’avant, rassurer, et recommencer à faire rêver. Devant cette situation, nous avons résolument orienté notre stratégie de recrutement vers l’international.

Comment expliquer que le tourisme n’attire plus autant les jeunes ? La peur viendrait-elle des parents ?

Ce recul inquiétant n’est pas un phénomène propre à Maurice, mais mondial. Toutes les destinations souffrent de ce manque d’engouement nouveau et l’avenir est encore très incertain. Je suis attristé de voir des établissements ne pas pouvoir fonctionner faute de main d’œuvre.

A Maurice, le traumatisme est majeur. Le tourisme a toujours été considéré comme un pilier de l’économie. Le voir à ce point mis à mal a sidéré non seulement ceux qui y travaillent mais aussi leurs proches. Certains parents impliqués dans le tourisme et qui ont découvert un autre style de vie tentent d’orienter leurs enfants vers d’autres secteurs. Mais ils sont aussi nombreux, amoureux de leurs métiers, qui relativisent et restent fidèles à leurs engagements. J’en fais partie.

Il faudrait, peut-être, commencer à vendre les métiers du tourisme différemment. Ne plus parler de “perspectives de carrière”, mais plutôt de “projet de vie”, histoire de donner envie…

Pourquoi les jeunes sont moins séduits par le tourisme est une vraie question. Et, effectivement, on gagnerait à mettre l’accent sur les perspectives d’épanouissement qu’offre ce secteur. Personnellement, j’ai toujours aimé échanger avec des publics différents qui, en vacances, offrent souvent la meilleure facette d’eux-mêmes. De mon passage à l’université où l’on me considérait déjà comme un touriste, j’ai gardé cette âme voyageuse et cette passion pour l’itinérance. Ça existe toujours mais les jeunes ne le voient plus. Ils restent focalisés sur les aspects exigeants des métiers et moins sur les avantages.

A-t-on identifié les causes de ce désamour ? Des salaires inadaptés peut-être ?

Les salaires, oui, entre autres, mais il y a aussi les longues heures de travail, les traitements parfois excessifs… On ne peut plus traiter les gens comme dans le passé ; il faut l’acter et changer. Pour autant, il ne faut pas se réinventer, comme je l’entends trop souvent, mais apprendre à évoluer avec son temps. Le changement est permanent. Nous l’enseignons à nos étudiants et aux professionnels du secteur. Il faut mettre en pratique et changer de paradigme en matière de gestion des ressources humaines et des opérations hôtelières.

Doit-on craindre pour la qualité de services dans l’hôtellerie de demain ? 

Elle risque de ne pas être au rendez-vous à cause, précisément, d’une main d’œuvre insuffisante, souvent pas assez formée. J’observe beaucoup. Il est inutile de faire de la sémantique et de changer d’appellations si l’on ne modifie pas en profondeur notre approche de la gestion des équipes. Il y a beaucoup à faire et cet effort doit être conjugué. L’industrie doit entendre les attentes de ses salariés, qui aspirent à une amélioration de leurs conditions.

Il est urgent de se pencher sérieusement, activement et concrètement sur la question des ressources humaines. Nous savons que cela nécessite un changement de paradigme. Il faut maintenant actionner et prendre les décisions. L’heure n’est plus à l’attentisme et aux atermoiements. Il faut agir et vite, en écoutant d’abord les propositions des professionnels. Nous sommes, à notre niveau et dans notre domaine, disponibles pour participer à ce grand changement.

Après une dizaine d’années de croissance, Vatel a fait rentrer Eclosia dans son capital et a scellé un partenariat avec l’institut Charles Telfair afin, écrivez-vous, de garantir son expansion. Elle n’était plus garantie ?

Il faut être réaliste quand on est entrepreneur. C’est une des conditions du développement et parfois de la survie. Les ambitions de Vatel sont plus importantes que ce que nous permettaient nos moyens. Pour continuer notre développement, il fallait donc trouver des moyens additionnels. A moins de rester ce que nous sommes devenus en dix ans, ce qui n’est déjà pas si mal. Nous avons choisi de continuer à voir grand et loin.

Et si on interprétait ça comme un premier pas vers votre sortie ?

Non, pas du tout. La retraite, même à 60 ans, n’est pas pour tout de suite (Rires) Il s’agissait vraiment pour moi de trouver un appui solide pour aller encore plus loin et offrir à Maurice une institution encore plus performante et reconnue.

Vous êtes toujours motivé comme au premier jour ?

Mes étudiants et les professionnels que je rencontre vous le confirmeraient je pense. Vous savez, quand vous avez des convictions et l’envie de transmettre, cela ne faiblit pas avec le temps. Au contraire, cela se renforce, encore plus si le chemin a été pavé de succès. Je suis encore plus motivé que jamais car le challenge qui est devant moi est particulièrement excitant.

Est-ce que ce partenariat stratégique va amener un changement dans l’ADN de Vatel ?

Notre ADN ne doit pas changer. Ce serait aller à l’encontre de ce qui a fait le succès de l’école et ce n’est certainement pas l’objectif de ce rapprochement. De plus, la recette fonctionne. La différence notable par rapport à avant, c’est que je rapporte dorénavant à un Board composé de stratèges et de professionnels qui ouvrent les champs des possibles. C’est très motivant.

Prévoyez-vous, à terme, d’élargir vos offres ? De positionner Vatel comme une université multibranches dont l’hôtellerie ne serait, finalement, qu’une offre parmi tant d’autres ? 

L’offre de Vatel se décide à Lyon. N’oubliez pas que nos programmes sont enregistrés auprès de France Compétences, ce qui leur confère une reconnaissance internationale. Cela nous oblige à en respecter les contenus et le fonctionnement. Nous ne pouvons donc pas décider localement d’élargir une offre qui est bien précise, si ce n’est à la marge. Ce que nous pouvons élargir, en revanche, c’est la diffusion de nos programmes à travers de nouveaux dispositifs comme la formation à temps partiel.

Nous avons des forces et des compétences que nous reconnait l’industrie. Ce qui est donc prévu, c’est que nous intensifions notre présence auprès de nos partenaires en dispensant des formations courtes, enregistrée par le MQA et remboursable par le HRDC.

Quelles sont les évolutions à prévoir dans l’industrie, à terme ? Quels sont les enjeux du moment ? Faut-il anticiper une demande différente ?

Le tourisme reste un secteur plein d’avenir. Les orientations sociétales des pays développés restent axées vers les loisirs. Donc, pour faire simple, de plus en plus de gens auront de plus en plus de temps pour voyager. Reste, bien sûr, à apprécier leur capacité de financement, ce qui n’est pas entre nos mains, pas plus que les multiples conditions sécuritaires et sanitaires. Disons que dans un monde raisonnable, le tourisme va continuer à croitre et va nécessiter de plus en plus d’adaptations.

Il faut s’attendre à de nouvelles innovations disruptives. Nous avons vu émerger Airbnb, Blablacar ou Uber sans voir venir ces changements qui correspondent à de nouveaux modes de consommation. Les industries n’ont pas anticipé et ont, pour certaines, toujours du mal à y faire face. D’autres arriveront et challengeront le secteur sous d’autres aspects, à moins que ce soit le secteur lui-même qui change.

Reste l’éternel débat : faut-il privilégier la quantité ou la qualité ?

On voit de plus en plus de destinations se détourner de ce qu’il convient d’appeler le tourisme de masse, qui a atteint ses limites et a démontré ses effets pervers. Il faut s’en préserver absolument. Attirer toujours plus de touristes ne doit pas être l’objectif. D’abord parce que notre économie n’est pas aussi dépendante du tourisme que celles des Maldives ou des Seychelles par exemple. Aussi, nos produits touristiques sont différents et on ne les vend pas de la même façon. Ce qui est important pour Maurice c’est que le secteur rapporte plus de devises et créé plus d’emplois. Ça ne répond ni à la même logique ni aux mêmes stratégies de développement.

Il est important, par contre, de faire évoluer le développement touristique en prenant en considérant les grandes tendances actuelles…  Ce n’est pas par hasard que Vatel a rajouté trois options à ses bachelor : Digital, Durable et Bien-être. Ce sont des tendances lourdes et il est important d’y répondre, tout en préservant le mode opératoire qui nous caractérise : un équilibre entre pratique et théorie qui rend nos étudiants agiles et employables !