Tasleemah Joomun-Peerally
Une femme en mission
Tasleemah Joomun-Peerally est de celles qui n’ont pas froid aux yeux. Sa trentaine bien entamée se voit à peine. Volubile et énergique, elle dit en riant avoir effectué un changement de vie à 180 degrés. Sans complexe, ni fausse modestie, elle avoue aimer être admirée. “Avant, on me disait que j’étais sexy, maintenant on me dit que je suis belle. Cette évolution respectueuse des compliments me plait.” Avec son mari, le Dr Saleem Peerally, Tasleemah dirige Diagnos, une nouvelle clinique de jour, spécialisée en microdosage, que le couple a ouvert à Rose-Hill. Pour elle, c’est une mission, l’aboutissement d’un projet inspiré. Elle y ajoute son savoir-faire de communicante à travers CommuniKaza, l’agence qu’elle a installée sous le même toit.
Texte : Mireille MARTIN
Elle arrive discrètement maquillée, vêtue d’un jean, d’un haut en mailles dorées recouvert d’une chemise longue, assortis d’un foulard de couleur bleu-ciel savamment noué autour de la tête. Tasleemah Joomun-Peerally est une femme de son temps qui vit sa spiritualité avec élégance. Elle partage son temps entre Maurice et La Réunion, où le couple Peerally possède également une clinique. “Je suis très ouverte. J’éprouve le besoin d’être bien habillée, certes, mais il faut que ce soit en accord avec mes croyances”, dit-elle d’emblée. “J’ai pris du temps avant de trouver ma véritable spiritualité véritable. Me tourner vers Dieu a été un choix que j’ai fait à un moment donné de ma vie.”
Petite, Tasleemah se prenait pour une princesse. Elle était constamment choyée, surtout par ses grands-pères. “Le premier me déposait tous les jours à l’école en voiture, l’autre était l’imam de sa mosquée et me prenait tout le temps sur sa bicyclette.” Ces deux aînés avaient des manières différentes d’aborder la vie. De l’un, elle héritera d’une passion inaltérable pour les affaires ; de l’autre, un affermissement de sa spiritualité. Leurs valeurs et leur intégrité l’ont marquée.
Tasleemah admet avoir développé une affection toute particulière pour son grand-père maternel, Oomar Eadally. “Dans un sens, il a été mon premier amour. Il me manque aujourd’hui. Il m’a raconté son parcours, comment il a commencé par vendre des œufs, puis des cabris afin de s’acheter une maison. Il a été le premier à avoir un cinéma privé à Bel-Air. Ensuite il a lancé une compagnie privée d’autobus. Il avait le sens de l’entrepreneuriat. C’était un homme jovial et enjoué qui savait s’occuper de sa famille de dix enfants. C’était mon héros, mon mentor. Son exemple m’a forgée, son flair pour les affaires m’a inspiré. Il était très séduisant et portait toujours de belles montres. Dans la famille, on dit que j’ai hérité de lui.” Tous les soirs, Tasleemah l’aidait à compter ses recettes de la journée. “Il recouvrait une grande table de roupies et je comptais avec lui.”
Son enfance protégée ne l’a pas empêché de garder les yeux ouverts sur la vie. Son expérience de journaliste, durant quelques années, lui a apportée encore plus de maturité. Tasleemah se sent concernée et solidaire des femmes et de leurs difficultés. “Je n’aime pas juger les gens. Je pense que ce sont nos propres insécurités qui nous poussent à médire sur les autres. Moi, j’ai eu de la chance d’être bien traitée.”
Croire en la vie
Bien qu’elle soit issue d’un milieu privilégié, la vie ne l’a pas épargnée. Tasleemah croit fermement que l’amour peut surgir n’importe quand. Maman d’un fils de dix-huit ans, Ibrahim, elle forme depuis cinq ans une famille recomposée avec celui qu’elle appelle Docteur Peerally, “mais seulement quand nous sommes en milieu professionnel.” Saleem a lui une fille de 23 ans et un garçon de 22 ans. Leur relation a pris du temps à se développer. “La première fois que je l’ai rencontré, c’était à La Réunion. Ma mère se faisait traiter pour un cancer. Je le connaissais déjà à travers Facebook, où j’avais pu apprécier son travail, notamment en tant que bénévole pour Médecins Sans Frontières. Quand il a su que j’étais à La Réunion, il est venu rendre visite à maman.” Ce qui la frappe alors chez cet homme mûr, c’est son sens de l’humour et sa positivité. “Il a pu faire rire ma mère malgré ses souffrances. Il a ensuite remarqué un livre que je lisais sur le Soufisme. On a entamé une conversation et échangé nos numéros. Je crois vraiment que nous avons été guidés l’un vers l’autre par une force beaucoup plus forte que nous. C’est mon alter égo. Auprès de lui, ma foi et ma spiritualité se sont affermis. Nous avons ça en commun.”
Son admiration pour son mari est évidente. Les vingt ans qui les séparent ne l’ont jamais dérangé. “Saleem est une encyclopédie humaine. Il a une grande maturité, il me comprend, il connait mon ambition et l’encourage. Je travaille dur, mais je ne suis pas superwoman. Le soutien de ma famille est très important pour moi.”
Rien ne fait plus plaisir à Tasleemah que de préparer un repas et entendre son mari ou son fils la complimenter. “J’adore faire mes emplettes avec mon fils et mitonner des petits plats ; surtout des dholl puri, qui sont très difficiles à faire. J’invente des recettes. Mes projets professionnels sont bons pour mon égo. M’occuper de ma famille est bon pour mon âme.”
Il y a trois ans, un drame personnel surgit. Comme sa mère et sa tante avant elle, Tasleemah découvre qu’elle a un cancer. “Jusqu’à présent, je n’en avais pas parlé publiquement. Mais je suis l’exemple vivant qu’il est possible de s’en sortir.” Elle le découvre pendant des vacances en Malaisie avec son époux. De retour à la maison, ils font une panoplie de tests. Une mammographie montre une grosseur et une biopsie à La Réunion la révèle bénigne. Quand le kyste est enlevé, le couperet tombe. “Quand on vous annonce que vous avez un cancer, il y a une foule d’idées qui vous passent par la tête. On se dit qu’on va mourir, que les gens vous regarderont différemment.” L’idée de passer par la chimio et ses effets secondaires la rebutent. “J’étais très fière de mes cheveux. Je les portais longs jusqu’à mi-jambe. Dans un premier temps, je les ai coupés jusqu’aux épaules, parce que je ne supportais pas de les voir tomber. Mais j’ai évidemment fini par tous les perdre.” Tasleemah se souvient encore de ce jour. “Nous étions à l’hôtel et, au réveil, mes cheveux sortaient par poignées. J’ai demandé à Saleem de m’apporter une tondeuse. Il m’a aidée à me raser la tête.” Le soutien de son époux a été déterminant. “Il me disait que j’étais sexy avec la tête rasée. J’ai vraiment eu de la chance de l’avoir à mes côtés.”
Embrasser la vie
Désormais, Tasleemah embrasse la vie à bras le corps et n’a pas le temps de perdre du temps. Elle fonce, en prenant le soin de rester positive en toutes circonstances et de ne pas s’encombrer d’informations inutiles et pesantes. “Chaque jour je suis une nouvelle personne. J’apprends, je donne, je reçois et j’aime plus humblement.”
Pendant ce temps, Diagnos multiplie les défis. “Pour nous, la crise sanitaire a été un moment d’actions. Nous étions sur la scène, nous intervenions pour sauver des vies, diagnostiquer, traiter et rassurer”, raconte notre interlocutrice, qui dit avoir découvert la nouvelle femme qu’elle est devenue. “Aujourd’hui, je suis occupée à jongler entre deux entités, à Maurice et à La Réunion, ce qui m’oblige à voyager avec les contraintes de la quarantaine, tout en trouvant le temps pour s’occuper de ma famille. Le challenge est de taille !”
En parallèle, dans un contexte de crise économique sans précédent, Tasleemah a su trouver des formules de survie adaptées, tout en répondant aux besoins d’un nouveau marché. C’est ainsi que Diagnos Clinique a lancé MédiSpa, un nouvel espace de santé et de bien-être, qui vise à promouvoir la rigueur médicale et le savoir-faire de la thérapie traditionnelle à un moment où le stress et le burn-out affectent de plus en plus de gens.
La communication digitale a pris toute son ampleur dans le contexte de la Covid-19. “La proximité, l’interaction et l’engagement avec les patients et les partenaires demandent aujourd’hui plus de tact, explique Tasleemah, dont le parcours en communication l’a aidée ici à mettre en place un nouveau dynamisme dans la façon de gérer.
Ce qui étonne chez cette femme d’affaires, c’est sa force de caractère. Un atout crucial pour travailler avec des gens qui ont des parcours et des attitudes différents. “Mais il n’est pas toujours facile de prendre les bonnes décisions”, reconnait la cheville ouvrière de Diagnos. “Quand on dirige, on s’adapte à des règles non-écrites. Comment savoir si l’on est juste et équitable ? Moi, je n’ai pas puisé dans un livre de recettes. Je me base seulement sur mon éducation religieuse et sur mon expérience pour dicter mes choix ou mon style de management.”
Tasleemah poursuit : “Mon père m’avait confié son secret, qu’il avait lui-même reçu de son père, guide spirituel reconnu et respecté. « Mon fils, agit de telle sorte que tes paroles et tes actions ne blessent jamais le cœur de personne… » Je crois que ça résume l’état d’esprit qui m’anime dans mes diverses relations…”