Caroline Semonella-Martial
HÉRITAGE ARTISTIQUE

Pour Caroline Semonella-Martial, 41 ans, mariée à David, et maman comblée de Sienna et Nils, la reconversion était devenue évidente. Après plusieurs années dans le monde de la communication, elle a créé l’Atelier Filigrane, atelier qui incite à l’éveil des enfants à la pratique artistique. Le but est de les initier à différents techniques afin qu’ils arrivent à s’exprimer à travers l’art de manière pédagogique.

Texte : Urvi PUDARUTH – Photos : Brady GOORAPPA

Caroline Semonella-Martial est, en elle-même, un mélange de couleurs puisque représentante, à sa façon, de trois pays différents. D’origine française, née de parents italiens et mariée à un Mauricien, elle précise avoir une racine bien ancrée dans chacune de ces cultures. Installée à Maurice depuis quinze ans, la quadragénaire a étudié en France, avec une prépa en beaux-arts, pour enchainer avec une maîtrise en sciences de l’information et un DESS en médiation et ingénierie culturelle.

Caroline a connu le monde du travail très tôt, soit à l’âge de 17 ans, en alternance dans l’animation pour enfants pendant presque dix ans. En 2002, après avoir franchi le sol mauricien, elle a passé ses cinq premières années à l’Aventure du Sucre. “Une étape passionnante où j’ai pu faire mes armes dans le métier de la communication culturelle, à savoir les relations presse, le marketing, l’événementiel, les projets culturels et pédagogiques ou encore la médiation avec le public… On se sentait vraiment comme des pionniers !” Elle a côtoyé par la suite le monde de l’hospitalité chez Veranda Leisure & Hospitality où elle a été responsable de la communication pendant six ans.

L’art, Caroline est tombée dedans quand elle était petite. Ses parents, dit-elle, lui ont laissé un héritage riche en culture, qui implique en somme le goût de l’histoire, l’amour de la nature et du patrimoine. “Nous avons sillonné bien des routes en camping-car à la découverte de mille trésors. J’avais toujours mes crayons, des petits carnets de voyage à l’aquarelle. Mes parents m’ont toujours encouragée à faire ce que j’aimais”, confie la jeune femme. Et ce qu’aimait faire Caroline c’était dessiner, bricoler, collectionner et peindre… La fibre artistique qui l’anime et à laquelle elle carbure l’a transformée. Une passion qu’elle a voulu partager à travers l’Atelier Filigrane avec ceux qui sont les plus sensibles, les plus perméables, les “créatifs inaltérés”… les enfants.

“Adolescente, je m’étais inscrite à des ateliers de dessin et de modelage. Au lycée, j’ai commencé à courir mes premières expositions. J’ai passé un bac artistique, puis rejoint la fac de sciences humaines où j’ai continué notamment les cours d’histoire de l’art.” Toutes ces années, Caroline n’a cessé de fréquenter la sphère créative : musées, galeries, expos, théâtre, cinéma… “ Ce furent des moments très fun et intellectuellement stimulants !”

Passer à autre chose

L’Atelier Filigrane a vu le jour en septembre 2015 lorsque Caroline a ressenti le besoin de passer à autre chose. Profitant de la vague artistique qui commençait à se manifester à Maurice, elle s’est laissé convaincre que le moment était peut-être opportun. “J’ai eu l’envie de vivre une seconde vie professionnelle ; pour moi, pour ma famille et afin de pouvoir vivre de mes passions. Cela a été un projet familial, mon mari m’ayant beaucoup encouragée. J’ai toujours su que je retournerai un jour à mes premiers amours : l’art et le monde de l’enfance.” Une fois la décision de fonder l’Atelier Filigrane prise, “je n’avais que ça en tête !” Un choix qu’elle ne regrette pas et qu’elle assume pleinement aujourd’hui. Pour tâter le terrain et savoir si son projet pouvait intéresser, Caroline s’était servie des réseaux sociaux. Elle a vite compris qu’il y avait une réelle demande.

L’atelier demeure ludique. Caroline initie les enfants à la pratique de différentes techniques d’arts plastiques, tout en leur initiant au rudimentaire de l’histoire de l’art, à travers la découverte d’œuvres mauriciennes et étrangères, contemporaines ou passées. “J’ai toujours aimé ce mot, filigrane. Il recouvre plusieurs sens. C’est à la fois le symbole de ces très beaux papiers anciens dans lesquels on découvre des motifs, comme des poinçons, en transparence et au toucher. Filigrane veut aussi dire en arrière-plan. Cela évoque ce que je fais à travers cet atelier. Des arts plastiques oui, mais avec beaucoup de petites choses en filigrane”, explique notre interlocutrice.

L’atelier se déroule avec un minimum de cinq enfants, en petit comité, ce qui laisse de la place à plus d’interactions. Son objectif est de permettre aux enfants d’exprimer leurs sensibilités, leurs fantaisies et leur curiosité. Il se déroule en plusieurs étapes. D’abord, les participants découvrent de manière simple une œuvre et son contexte. Pendant les premières vingt minutes, ils sont exposés à un thème et un artiste précis.

“On en discute, on observe, on donne son avis… Les enfants se lancent, à grands coups de brouillons et de croquis. Je n’interviens pas sur leurs dessins. Après deux ou trois séances, le projet est abouti”, explique Caroline Semonella-Martial. Les enfants s’amusent, partagent sans esprit de compétition, pour le plaisir de l’art. Ils s’essaient sans avoir peur de se tromper. Ils abordent sous l’œil complaisant de Caroline différentes techniques d’arts plastiques : acrylique, aquarelle, crayonnage, collage, techniques d’impression, modelage, marionnettes… “Ces pratiques sont le prétexte pour découvrir des artistes mauriciens et de grands maîtres de l’histoire de l’art. Tout en s’amusant, les enfants développent leur créativité, leur fibre artistique et leur culture générale.”

Eveiller l’intérêt

Ce qu’en pensent les participants ? Caroline précise qu’ils ne sont pas toujours fans des œuvres qu’elle leur présente. “Ils peuvent ne pas trouver cela beau. Je n’insiste pas mais, après quelques minutes de discussions et parfois de franches rigolades, leur intérêt s’éveille.” Ils s’investissent, cherchent leur propre chemin et s’approprient le sujet. Si à la fin, certains enfants restent sceptiques, ils apprennent néanmoins à découvrir que le beau n’est pas une fin en soi et qu’au final l’art reste subjectif.

Qui dit art, dit inspirations… Les siennes ? “Je n’ai vraiment pas d’influences majeures. Mille choses m’inspirent !” Sa fibre artistique a longtemps voyagé dans tous les sens. En art, elle adore l’architecture, a voulu être urbaniste. Elle aime aussi la mode. “Au collège, j’ai rêvé d’être styliste. Je me suis aussi vue restauratrice d’œuvres d’art, puis scénographe. Plus tôt, à l’école primaire, je me passionnais pour l’archéologie et je m’imaginais déjà paléontologue ! J’aime aussi tout ce qui est spectacle vivant, la danse en particulier. Bref, je suis comme une girouette ; je suis les vents et je regarde toujours ailleurs…”

L’art représente pour elle une sensibilité, un moyen d’expression, de transmission et de rencontres. Une vertu qu’elle partage au quotidien avec les enfants avec qui elle a développé une relation fusionnelle. Caroline est d’avis qu’en ce qui concerne la scène artistique à Maurice, “on a encore un long chemin à faire si on veut construire une vraie politique culturelle, que ce soit en termes de soutien aux artistes, d’expressions artistiques, de politique de préservation et de gestion du patrimoine ou encore de communication culturelle…” Elle pense qu’ils ne sont pas nombreux, ici, à vivre dignement de leur art, mais qu’il y a toutefois un terrain propice et fertile avec l’avènement d’une jeune génération de designers, musiciens, comédiens, plasticiens, auteurs, danseurs à qui les réseaux sociaux ont donné une visibilité et une plateforme très stimulante et ainsi une certaine forme de reconnaissance.

L’Atelier Filigrane, c’est surtout une histoire de cœur. A travers ce projet, Caroline Semonella-Martial essaie, outre l’aspect pédagogique et ludique, de leur inculquer d’autres valeurs et qualités : la confiance en soi par exemple, qui est primordiale pour la suite. “Les enfants n’aiment pas toujours ce qu’ils font et, parfois, ils se montrent assez virulents entre eux.” A sa petite échelle, elle essaie de leur faire comprendre que leur geste est leur identité, que leur style et leurs idées font la richesse de leur personnalité. Je leur dit qu’il faut aimer ce que l’on fait, que l’on peut toujours s’améliorer, mais que c’est un chemin…”

Caroline aspire à voir ce monde ralentir sa frénésie de surconsommation et ses tristes corollaires : pollution, production de déchets etc… Elle aimerait voir ses enfants acteurs d’une société plus raisonnable, non fondée sur la croissance absolue et à tout prix. “Je ne suis pas une utopiste, j’ai plutôt les pieds sur terre, j’essaie de faire ma part, mais c’est un vaste sujet !”