Laetitia Lorre

L’artiste aux deux pinceaux

Elle se décrit comme une artiste dans toute sa splendeur. Laetitia Lorre n’est pas une inconnue du monde créatif à l’île Maurice. Son parcours est marqué par un militantisme artistique visant à démocratiser l’art et la créativité. En outre, elle a également emprunté la voie de l’enseignement, jonglant aujourd’hui entre ses projets personnels et son rôle de coordinatrice pédagogique sur le Campus Créatif d’AIM, où elle œuvre à transmettre sa passion et à inspirer les nouvelles générations.

✍ Shareenah KALLA
📷 Karl AHNEE

Issu du latin, le prénom Laetitia signifie “joie”. Hyperactive, solaire et pétillante, ses traits de caractère l’ont naturellement guidée vers le monde des nuances et du beau. Discrète et peu loquace sur sa vie privée, elle esquive volontiers certaines questions, notamment celle ayant trait à son âge. “Cela a-t-il de l’importance ? C’était mon anniversaire le mois dernier. J’ai donc franchi un nouveau cap. Reste à savoir lequel ?”, confie-t-elle avec malice. Difficile d’en apprendre davantage sur cet aspect de sa vie.

En revanche, lorsqu’il s’agit de sa passion, l’art, son éloquence se révèle pleinement. Intarissable, elle avoue se considérer une artiste née. Il faut dire que cette femme pétillante et lumineuse possède une sensibilité singulière à l’art, un attrait marqué pour les couleurs et l’esthétique. Pour comprendre son amour des teintes vibrantes et de la beauté artistique, il faut plonger dans son enfance

Alors que d’autres enfants de son âge s’adonnaient à des jeux en plein air, à des vadrouilles ou encore à des randonnées entre amis, la jeune Laetitia Lorre, elle, passait son temps à repeindre les murs de sa chambre d’enfant. Mais l’art, et plus largement la créativité, n’étaient pas de simples passe-temps pour elle. Au contraire, ils occupaient une place essentielle dans sa vie, lui apportant un équilibre profond. “La créativité m’a toujours permis de m’ancrer et de rester en équilibre”, confie la jeune femme.

Par le biais de la créativité, elle voyage, explore des horizons inconnus et mirifiques, sans jamais prendre un vol, mais simplement en laissant son imagination la guider.

Pour elle, songes et peintures font bon ménage. De nature rêveuse, l’art lui permet d’utiliser ses mains pour donner vie aux paysages et aux personnages qui peuplent son imagination. La créativité lui offre une liberté totale, laissant ses chimères s’exprimer à travers ses gestes, jusqu’à prendre possession de ses mains. Elle décrit ce moment particulier comme une source de calme et d’apaisement. À ses yeux, il s’agit de toute la magie du langage intérieur.

Cependant, en tant qu’artiste accomplie, Laetitia Lorre établit une distinction claire entre l’art et la créativité, reconnaissant les nuances et les divergences qui existent entre ces deux univers pourtant intimement liés. Elle qualifie l’art comme un domaine d’une immense richesse, une infinité qui l’inspire profondément.

Cette inspiration nourrit forcément sa curiosité : “Je m’y intéresse tous les jours et je continue d’apprendre. J’essaie de comprendre le parcours des artistes, ce qui les pousse à créer ce qu’ils créent…” Outre leurs œuvres, Laetitia s’intéresse à l’humain, aux trajectoires de vie de chaque artiste, afin de saisir ce qu’ils ont voulu exprimer et pourquoi. C’est ce langage universel qui l’anime.

D’artiste-peintre à enseignante artistique

Sa curiosité pour l’art et son don inné pour la créativité l’amènent à débuter sa carrière en tant qu’artiste-peintre. “J’ai commencé à exposer à l’étranger, à Cape Town, où je résidais.” De retour à Maurice, son talent et sa perception de l’art ne passent pas inaperçus. Elle organise rapidement ses premières expositions en solo. Pourtant, en tant qu’artiste, elle ressent le besoin de partager sa passion pour cet univers fascinant. C’est ainsi qu’elle intègre un lycée français où elle encadre des élèves dans des classes dédiées à l’art. Parallèlement, elle explore la peinture abstraite, élargissant son champ d’expression.

Animée par la volonté de dynamiser la scène artistique locale, elle cofonde, avec Alicia Maurel, la plateforme culturelle “The Third Dot”. Cette initiative accompagne les artistes mauriciens et a permis, pendant plus de sept ans, la mise en place d’expositions majeures telles que “Borderline”, “Au Grenier”, ainsi que la création du “DOCK13”, un espace d’exposition incontournable.

Mais l’enseignement artistique la séduit de nouveau. Ainsi, elle se retrouve à enseigner sur le Campus Créatif d’AIM, tout en jonglant avec des projets personnels telle la réalisation de fresques en mosaïque pour le centre commercial de Cascavelle, ainsi que diverses commandes.Bien qu’elle continue de développer son langage artistique, elle souhaite exposer ses jeunes étudiants du campus à l’art et à la création, et ce, dès le plus jeune âge, en les encourageant à poursuivre cet apprentissage même lorsqu’ils grandissent. “Il faut les motiver à choisir l’art, y compris dans les écoles secondaires. Il y a le commerce, la comptabilité, oui, mais il y a l’art aussi…”, souligne-t-elle.

Laetitia insiste sur l’importance d’initier les jeunes à la valorisation du patrimoine local par le biais d’œuvres modernes dans l’espace public, tout en reconnaissant les artistes majeurs qui ont marqué le territoire avant de sombrer dans l’oubli. “Il y a énormément d’actions possibles, et si vous manquez d’idées, n’hésitez pas à me solliciter : j’en ai beaucoup en réserve”, ajoute-t-elle dans un clin d’œil.

Avec un petit sourire suspendu aux lèvres, elle se décrit comme la “maman bis” de ses étudiants. Elle évoque son rôle au sein de l’institution, où elle occupe le poste de coordinatrice pédagogique. Son travail englobe principalement l’encadrement des enseignants, puis celui des étudiants. “ Je m’implique dans tous les aspects : la conception et la mise en place des programmes sur le territoire, le recrutement des encadrants… Le bien-être des étudiants et le maintien de leur performance constituent une part essentielle de mon travail”, précise Laetitia.

Le visage plus sérieux et sur un ton plus grave, notre interlocutrice aborde un sujet épineux : l’apport au domaine artistique à Maurice. Pour la coordinatrice pédagogique, le soutien accordé à ce secteur reste insuffisant. Elle ne mâche pas ses mots : ce milieu souffre d’un manque criant de financements.

Selon elle, il existe peu de structures d’expositions permanentes sur le territoire et une valorisation insuffisante des artistes talentueux présents sur l’île. “Quand j’ai commencé à travailler sur le campus, je me suis dit qu’une institution privée comme celle-ci pouvait réellement faire la différence auprès des jeunes. Ici, ils ont la possibilité de transformer leur potentiel en compétences et, par extension, en métier”, confie-t-elle.

Cependant, beaucoup reste à faire pour valoriser ce secteur à Maurice. De nombreux parents empêchent encore leurs enfants de suivre une voie artistique, estimant qu’elle offre peu de perspectives financières. De plus, le manque de fonds demeure une problématique majeure. “Il est essentiel de soutenir financièrement la structure pour assurer sa viabilité. Avec davantage de ressources, nous pourrions accompagner plus de projets, offrir des opportunités à davantage d’élèves qui n’en ont pas forcément les moyens, et proposer plus de formations”, conclue Laetitia Lorre.