Jean-François Lagesse
Patron 2.0
Sur les épaules de Jean-François Lagesse repose la responsabilité de 250 ans d’histoire. Le patron du Domaine de Labourdonnais, en poste depuis 2013, est conscient du poids de cet héritage. Ça tombe bien, c’est un homme de défis.
Depuis qu’il a été choisi pour succéder à Pierre Raffray, cet agronome de formation n’a eu de cesse d’accélérer le processus de transformation de DDL, qui se positionne aujourd’hui comme une des enseignes les plus dynamiques du paysage économique mauricien. Il faut dire que, sous sa tutelle, l’entreprise a su prendre le train de la diversification réfléchie et soutenue, au point de faire graviter autour de son patrimoine quatre secteurs d’activités dans l’air du temps : les loisirs, le sport, l’agriculture et l’immobilier. Une intégration verticale réussie.
De son illustre château bientôt bicentenaire à son nouveau club de sport, de sa distillerie à sa terrasse, de ses vergers à sa corbeille en passant par sa pépinière, DDL coche aujourd’hui toutes les cases de l’originalité et de l’étonnement. Il fait vivre 400 familles en même temps qu’il est devenu un véritable lieu de rendez-vous pour bien des gens du nord.
Mais ne comptez pas sur Jean-François Lagesse pour s’en attribuer le succès. Il est trop modeste pour ça. S’il reconnait son indiscutable contribution, il préfère mettre l’accent sur le dévouement, la passion et l’efficacité des collaborateurs qui l’entourent et se féliciter de la confiance placée en lui par les actionnaires.
Passionné par l’homme et par la nature, Jean-François Lagesse incarne à la perfection le patron 2.0. De ceux qui arrivent à obtenir le meilleur de ses équipes par une tape sur l’épaule plutôt qu’en haussant le ton. Il a défait la cravate depuis un moment et préfère être à l’écoute des uns et des autres plutôt que d’imposer sa méthode. Et, visiblement, ça marche.
Nous l’avons invité à répondre à notre questionnaire de Proust. Ses réponses ne nous ont pas déçus.
✍ Jean-François LECKNING
La première chose à laquelle vous pensez le matin au réveil ?
A mon agenda, aux réunions qui m’attendent, aux problèmes que je dois résoudre… (Rires). Vous savez, quand on dirige une entreprise, il n’y a pas de jour, il n’y a pas d’heure. Il y a toujours des dossiers à traiter, des imprévus à régler.
Votre état d’esprit du moment ?
Je suis serein, déterminé et surtout appliqué… Depuis 2013, je me suis beaucoup investi dans le développement du Domaine de Labourdonnais. Nous avons su prendre un nouveau tournant décisif. Il s’agit maintenant de consolider tout ce qu’on a mis en place. Mon devoir, en tant que directeur, est de définir une vision globale pour l’entreprise, de définir le rôle de chacun de mes collaborateurs et de leur donner les outils qu’il faut pour atteindre une efficience opérationnelle maximale.
Avec qui auriez-vous aimé avoir une conversation sérieuse ?
Avec Christian Wiehe. C’est lui qui, vers 1848, a jeté les bases de ce qu’est aujourd’hui DDL. C’était un visionnaire en avance sur son temps qui aimait les belles choses et qui était constamment en quête de développement.
Et vous lui diriez quoi ?
Je ne sais pas si je me serais permis de le tutoyer, mais je lui aurais certainement demandé s’il est fier de ce qui a été accompli depuis son départ, et si nous sommes aujourd’hui sur la bonne voie. Plusieurs générations d’hommes ont participé à la transformation du Domaine de Labourdonnais. Je ne suis, moi, que le dernier maillon.
L’adjectif qui vous qualifie le mieux ?
Perfectionniste. Je suis obsédé par la quête de l’efficience, par l’envie de bien faire les choses et le besoin d’emmener de la valeur ajoutée dans tout ce que j’entreprends.
Cinq mots qui résument votre vie ?
Travail, détermination, nature, famille et amis.
Ce que vous ne rateriez pour rien au monde ?
Les moments passés en famille et entre amis sont précieux. Il est important de les chérir car le temps file rapidement. Je suis très proche de mes trois fils, même si je suis plutôt d’un naturel discret. Je suis également un grand-père comblé avec deux petits-enfants.
Si vous aviez la possibilité de choisir un autre métier ?
Je n’aurais pas choisi une autre voie ! A la base, je suis agronome. J’ai débuté dans l’industrie sucrière après mes études, puis j’ai progressivement évolué. Parce que de nouveaux défis se sont présentés à moi, j’ai pris le risque de sortir de ma zone de confort pour les relever. Bien m’en a pris ; ça m’a aidé, ça m’a construit… De fil en aiguille, j’ai eu de nouvelles responsabilités, je suis sorti de l’agriculture pour aller vers le management. Je suis aujourd’hui un professionnel comblé, à la tête d’une entreprise en constante évolution.
Votre devise dans la vie ?
Il faut souffrir pour réussir. Si on veut accomplir de belles choses, il faut s’en donner les moyens.
La citation qui vous parle ?
“La chance aide ceux qui vont la chercher.” Ces mots soulignent l’importance d’adopter un état d’esprit positif dans la vie. Il faut chercher et saisir les opportunités avec optimisme et détermination.
Votre mot préféré ?
“Merci”. Il exprime la reconnaissance, favorise des relations positives, renforce des liens et apporte une valeur humaine essentielle à tout.
Celui que vous n’aimez pas ?
“Non”. Un mot qui verrouille les opportunités et qui n’invite pas au progrès ou à la collaboration. Je n’aime pas qu’on me dise non sans explications. Je préfère qu’on me donne une bonne raison pour justifier un refus.
Votre grande qualité ?
Peut-être la compassion. Il faut comprendre les gens, être à leur écoute, se mettre à leur place aussi parfois.
Un défaut qui vous joue des tours ?
Je suis sans doute trop sensible. On me dit que je gagnerai parfois à être plus dur, à taper des poings sur la table quand il faut. Vous croyez ? (Rires). Plus jeune, je réagissais au quart de tour, mais les années qui passent m’ont calmé.
Votre plus grande crainte ?
Ne pas réussir à atteindre mes objectifs. Ne pas accomplir ma mission de vie.
La chose dont vous êtes le moins fière ?
(Il hésite) Question difficile… Je dirai que je ne communique pas assez avec mes proches, avec mon épouse en particulier. Je pense à tort qu’on se connait tellement que je n’échange pas autant que je le devrais. Elle s’en plaint quelques fois. Je tiens à remercier ceux qui sont patients face à mon silence !
Une réussite, une seule…
Ma famille.
Ce que vous détestez par-dessus tout ?
Le vol, surtout au travail. C’est inacceptable. Quand ça arrive, le contrat de confiance est immédiatement rompu. Peu importe les faits ou les circonstances.
L’activité qui ne vous lasse jamais ?
Passer quelques heures en pleine nature, ou encore courir, est un rituel que je m’efforce de maintenir chaque semaine. J’ai l’habitude d’un petit parcours de huit kilomètres à travers les champs de canne. Courir, c’est être seul avec soi-même. C’est un moment privilégié qui me permet de me recentrer, de faire le vide et de m’accorder une véritable évasion. De plus, c’est excellent pour le cardio. Chaque séance me permet de me sentir revigoré !
La dernière fois que vous avez pleuré ?
Je pense que c’était dans mon sommeil. Quand on dort, on a tendance à amplifier les choses. C’est bon de pleurer parfois. Ça aide à extérioriser des sentiments enfouis.
Le remord qui vous poursuit ?
Il n’y a rien qui me vienne à l’esprit. Et puis, à quoi bon ? Le passé c’est le passé. On ne peut le changer.
La couleur qui vous parle ?
Le bleu. Couleur de la mer et du ciel. Symbole d’infinitude.
Le bruit qui vous apaise ?
Le chant des oiseaux, notamment celui des perdrix, résonnant à l’aube ou tard l’après-midi. Dehors, en pleine nature, mes sens sont en éveil et mon regard embrasse l’horizon à 360 degrés et en 3D. La nature m’émerveille !
A quoi êtes-vous accro ?
A l’excellence. J’aime que les choses soient bien faites.
Si ce n’était pas à Maurice ou aimeriez-vous vivre ?
En Patagonie, bien que je ne connaisse ni la région, ni la langue. Je suis attiré par l’espace et la tranquillité que ses paysages semblent offrir.
La personne que vous aimeriez remercier ?
Mon papa, pour son éducation de valeurs, basée sur l’intégrité et le travail. Pour lui, rien ne vient sans efforts. Il faut mériter ce qu’on a. Il a contribué à faire de moi la personne que je suis.
La personne sur qui vous pouvez toujours compter ?
Ma maman. En toutes circonstances.
La personne qui vous inspire ?
Le Dalaï-Lama. Un “sage” qui, malgré les difficultés qu’il a connues, prône toujours la paix. La sagesse permet de prendre des décisions avisées qui bénéficient à la société. Les dirigeants du monde gagneraient à s’en inspirer.
L’année que vous aimeriez avoir connu ?
Il m’arrive souvent de me demander à quoi pouvait ressembler l’île Maurice d’il y a deux-cents ans. J’ai l’image d’un véritable paradis naturel avec des forêts luxuriantes, des lagons débordant de poissons… Si j’avais vécu à cette époque, avec les équipements disponibles de nos jours, la pêche aurait sans doute été miraculeuse. (Rires)
Le dernier livre que vous avez lu ?
“Forensic in paradise”, de Satish Boolell. Ancien médecin-légiste, il occupait un poste crucial et avait de grandes responsabilités. Malgré un contexte difficile, il a su tenir ferme. Il nous décrit cela avec beaucoup d’humour dans son livre.
Le film qui vous a bouleversé ?
“La Vie est Belle”, avec Robert Benigni dans le rôle principal. Une belle leçon de vie ce film !
La chanson que vous ne vous lassez jamais d’écouter ?
J’en suis encore aux années 80. J’ai récemment téléchargé une application qui me permet, à mon grand bonheur, de capter Cherry FM 80. Deux titres qui m’ont marqué, parmi tant d’autres : “Another brick in the wall”, de Pink Floyd, et “Sultan of Swings”, de Dire Straits. Ça me ramène loin tout ça…
Le prénom que vous enviez ?
Je suis à l’aise avec le mien. Un prénom composé est plus difficile à prononcer. Aux anglophones, je me présente comme “François”. Mon petit-fils, qui n’arrive pas à prononcer Jean-François, m’appelle “Wawaf” (Rires).
On lira quoi sur votre épitaphe ?
“Il a essayé. A-t-il réussi ?”
Si un magazine vous consacrait sa une, quel devrait en être le titre ?
“Jean-François Lagesse se dévoile.”
Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous qu’il vous dise à votre mort ?
“Tu peux maintenant te relaxer.” (Rires)
Avez-vous menti au cours de cette interview ?
Bien sûr que non, je n’aime pas le mensonge. En revanche je crois que j’ai trop causé ! (Rires)