Le double pari de Jugnauth
Par Jean-François Leckning
Quoiqu’on puisse penser de Pravind Jugnauth, il faut lui reconnaître un certain génie politique. A tout le moins un mérite. Celui d’avoir compris qu’une bataille électorale se joue sur deux tableaux essentiels : l’émotionnel et le visible.
Pendant dix ans, de 2014 à 2024, le Premier ministre s’en est généreusement inspiré.
Pour l’émotionnel, on se contentera de citer ces augmentations en veux-tu en voilà qui ont créé la perception, notamment chez les plus âgés et les plus démunis, que le gouvernement en place avait une réelle volonté politique de les assister dans leurs difficultés. J’insiste sur le mot “perception”.
Pour le visible, Pravind Jugnauth n’a pas eu à inventer l’eau chaude. De grands travaux d’infrastructures ont suffi. Il a commencé par le métro-léger, dont le développement tentaculaire et rapide a impressionné même les plus sceptiques. Disons qu’il lui a fallu à peine deux ans pour concrétiser un projet sur lequel les travaillistes ont débattu pendant quinze ans. Et puis il y a ce réseau routier qui s’étend et s’améliore à vue d’œil.
Probablement épicée dans la cuisine du chef, cette idée de privilégier l’émotionnel et le visible en toutes circonstances a une saveur particulière, mais surtout une vraie portée populiste. De celles qui sont susceptibles de faire pencher une balance électorale. Alors, évidemment, PKJ ne s’est pas fait prier…
Tant pis s’il a fallu mettre à mal les caisses de l’Etat et sous pression nos réserves.
Tant pis s’il a été demandé à certains économistes de nous servir des comptes d’apothicaire pour donner une teinte de vert au rouge foncé de nos indicateurs.
Tant pis aussi si ce populisme présenté comme du progressisme implique de transmettre une dette colossale à nos enfants et aux enfants de nos enfants.
Oui, tant pis ! Tout ce qui compte, après tout, c’est de séduire son électorat et gagner les élections. Lequel électorat, ancré dans ses repères les plus primaires, n’est franchement pas du genre à s’embarrasser de données économiques. D’ailleurs, n’est-ce pas lui qui avait préféré s’indigner des amourettes de Navin plutôt que de la mise à mort, par pur esprit de revanche, du groupe BAI, véritable pilier de notre économie et pourvoyeur de milliers d’emplois ?
On a le droit de penser que cet électorat-là se contente de réflexions existentialistes et n’est pas prêt de comprendre que celui qui a versé mille roupies sur son compte en banque est le même qui s’apprête à lui subtiliser le triple de son porte-monnaie. Donc…