Nirvana Varma
Wild & Wise !
Nirvana Varma n’a que 33 ans, mais ses épaules sont suffisamment solides pour porter trois projets entrepreneuriaux à la fois. Après Les Tipis de Mare-Longue, une société d’événementiel qui refuse de faire les choses comme les autres, la jeune femme a rajouté le projet Cybèle et The Art Vault à son panier de bonnes affaires, qu’elle partage avec son associé Shidan Ragavoodoo. Rien ne fait peur à cette jeune femme un tantinet féministe.
ENTRETIEN : Jean-François Leckning
PHOTOS : Christopher Lim
Quand on s’était laissé la dernière fois, vous vouliez refaire le monde. Vous vous êtes assagie depuis ?
On peut dire ça, oui… (Rires) Mais j’ai gardé un regard très critique sur la société et sur la vie du pays. On ne va pas me refaire. Mon père, feu Ravi Nath, était journaliste et avait un sens critique aiguisé. Il m’a appris à voir le monde sous plusieurs perspectives. Je me plais à analyser la dynamique sociale, à observer les gens pour comprendre ce qui les motive. Mais ça ne suffit pas. Il faut participer à faire changer les choses.
Et vous participez comment ?
Je le fais à ma façon, dans mon secteur d’activité, l’événementiel. On pousse de plus en plus vers le durable. On n’utilise plus le plastique, mais le jetable biodégradable. Diminuer les déchets est une urgence. J’encourage aussi plus de femmes à entreprendre. Je leur partage mon vécu, leur donne des conseils par rapport au concept, à la structure, à la paperasse. Je les encourage à croire en elles, à aller vers l’autonomie. Entreprendre, c’est un état d’esprit.
Quel regard jetez-vous sur le pays ? Diriez-vous que Maurice se porte bien ?
Le pays roule. Sur le plan économique, nous nous en sortons plutôt bien. Mais il faut repenser le modèle social, nous inspirer des pays scandinaves qui ont compris que des gens heureux produisent plus et mieux. Introduisons l’indice du bonheur !
On a parfois l’impression que les jeunes sont amorphes, indifférents. Qu’ils ne sont pas disposés à se mettre au service de la société, du pays… Pas vous ?
Je constate un bon vouloir au contraire. Les jeunes veulent faire changer les choses. Ils sont sensibles à certaines causes, notamment ce qui touche à l’écologie, au durable, aux enjeux climatiques… Dans les grosses entreprises, une nouvelle génération est en train de prendre le pouvoir et elle a tendance à faire les choses différemment, en tenant compte des nouvelles préoccupations.
Il n’y a pas que l’écologie dans la vie. Il faudrait amplifier cet engagement, l’emmener sur le terrain politique par exemple. Ça ne vous intéresse pas ?
J’ai essayé. En 2014, j’avais été candidate de Rezistans ek Alternativ. Une expérience que je ne regrette pas, qui m’a forgée. J’ai connecté avec l’île Maurice profonde, j’ai témoigné de la souffrance des gens, j’ai compris leurs attentes. C’était une belle école, j’ai beaucoup appris…
Une école un peu naïve on va dire ?
D’un côté oui. Quand je m’étais engagée, j’avais des convictions. Mais les convictions ne suffisent pas. Il faut qu’elles soient alignées avec les réalités. Parler des arbres qui meurent à des gens qui vivent dans la précarité n’avait aucun sens. La politique, c’est un engagement sérieux, ça demande des sacrifices. Il faut aussi se mettre en avant, faire face aux critiques. C’est un monde de requins. Moi tout ça me stresse. Je suis une introvertie. Prendre la parole dans des rassemblements publics, ce n’est pas fait pour moi. Je n’ai pas fait une croix définitive là-dessus, mais ce ne sera pas pour tout de suite. Pour le moment, je préfère me concentrer sur mon parcours professionnel, faire grandir mes entreprises. Nous sommes en pleine expansion, nous nous diversifions. J’ai besoin de stabilité.
Vous dites que vous êtes introvertie, vous vous exprimez pourtant avec beaucoup d’aisance… Et si vous ne vous connaissiez pas ?
Un test de personnalité, il y a quelques années, avait révélé que j’étais très créative, peu sociale et pas du tout analytique et stratégique. Mais les gens changent. J’ai changé. J’ai appris à valoriser mon côté social. Dans ce monde-là, si vous ne communiquez pas, si vous n’allez pas vers l’autre, c’est mort ! J’ai appris à faire des efforts. Mais je ressens souvent le besoin d’être seule, de me recueillir sur moi-même. Quand c’est comme ça, je vais me promener en forêt ou je passe la soirée enfermée à peindre.
Une façon de reconnecter avec Dieu aussi ?
Je suis athée. Je ne crois pas dans un Dieu, mais je crois dans l’humanité, dans ce qu’on peut faire les uns pour les autres. La théologie nous enseigne qu’il n’y a qu’un chemin, le mal ou le bien, le blanc ou le noir. Pour moi, la vie est pleine de couleurs. A nous de dépasser nos limites, de construire notre destin. Rien n’est tracé.
Vous avez souvent revendiqué votre côté très féministe. Etes-vous satisfaite que les les femmes commencent à prendre leurs places ?
Les choses bougent dans la bonne direction, mais beaucoup reste encore à faire. Trop de femmes se contentent de rester enfermées dans des rôles restreints, dans un certain confort. C’est un état d’esprit, elles ont été élevées comme ça. Notre société reste très patriarcale. En tant qu’entrepreneure, je le ressens. Certains clients, par exemple, préfèrent avoir affaire à mon associé. Ils lui font plus confiance bien que nous sommes partenaires à parts égales et qu’on fait la même chose. Parce que je suis femme, ils ont inconsciemment la perception que c’est lui le patron.
A moins que ce soit lié à votre style, votre côté très terre-à-terre ?
C’est vrai que je n’affiche pas un profil LinkedIn tous les jours (Rires). Je suis souvent en t-shirt, jean et tennis, les cheveux attachés, en train de mettre la main à la pâte, grimper à l’escabeau, participer à la mise en place des soirées… C’est important d’être sur le terrain, au plus près de mes employés. Pour d’autres, être chef d’entreprise implique de s’habiller en chef d’entreprise…
Vous aviez annoncé le lancement du Mont de Vénus, un magazine féminin. On en entend plus parler. Le projet est mort ?
J’ai un peu lâché prise. Ce magazine, j’y tenais. Il devait avoir un rôle pédagogique, expliquer le chemin parcouru par les femmes depuis la révolution agricole. Il devait aussi connecter des femmes de différentes régions, de différentes industries. Quand j’ai voulu enregistrer le magazine, ils m’ont demandé de l’appeler plutôt Le Monde de Vénus. N’importe quoi ! C’est devenu un projet suédois. Je l’ai confié à des femmes de la tribu Sami.
Les Tipi de Mare-Longue, le projet Cybèle, The Art Vault… Avec Shidan Ragavoodoo, votre associé, vous multipliez les projets. Vous êtes infatigables ?
L’entrepreneuriat n’est pas une longue ligne droite. Il y a beaucoup d’obstacles. Parfois, vous doutez. Surtout au sortir d’une pandémie. Il a fallu penser à diversifier nos activités, ne pas mettre tous les œufs dans le même panier, histoire de mitiger les risques… C’est pour ça qu’on est sur plusieurs projets. Il y avait des places à prendre.
Entreprendre, c’est un besoin, une quête ou une passion ?
Un peu tout ça à la fois. J’ai sauté dedans sans me poser de questions, sans savoir où ça me mènerait. J’avais envie d’être indépendante, de faire les choses à ma façon, de décider de mon temps. Et puis il y a le défi que ça représentait. Entreprendre, ça demande patience, créativité et résilience, surtout dans l’événementiel. Un business, c’est comme un enfant, il faut l’accompagner, le faire grandir.
Entreprendre à deux, ce n’est pas plus compliqué ?
Shidan et moi on est fait pour travailler ensemble. On se comprend, on se complète. En même temps, nous sommes tellement différents. Shidan, c’est une bête sociale. Quand il entre quelque part, il prend tout l’espace. Il a du charisme. Il est extrovertie, tout mon contraire. En affaires, il est stratégique, fin négociateur. Il ne perd jamais, retourne rarement les mains vides. Moi, ça me demande plus d’efforts. Je suis plutôt portée vers l’axe conception, création, planning. On a tout le temps besoin de challenges. Quand on entre dans une routine, on ne se supporte plus, on se déteste (Rires)
Le gros projet qui vous réunit, c’est Cybèle, un géo-parc intégré qui s’étendra sur 87 hectares, à Mare-Longue, et qui comprendra soixante chambres. Où en êtes-vous ?
On a pris du retard à cause de la pandémie, mais ça avance. On est sur le point de finaliser le financement. Si tout se passe bien, on devrait être opérationnel début 2024. Pour le tourisme mauricien, c’est un game changer. Nos glamping pods offriront le confort d’une chambre d’hôtel. Cybèle veut être avant-gardiste à plusieurs niveaux, notamment par rapport à l’utilisation de l’énergie microbienne, sur laquelle nous travaillons d’arrache-pied.
Et le Art Vault dans tout ça ?
Là aussi, ça avance. Au-delà des échanges que nous favorisons entre artistes, nous planifions d’ouvrir une école, The Royal School of Finance and Art, en partenariat avec la prestigieuse Sotheby’s Institute of Art. Nous allons débuter en ligne dans un premier temps en attendant de construite l’école. L’objectif est de vulgariser les différentes avenues qu’offre l’art, une industrie à part entière.