Bernard & Sandrine Fanchette

Les deux font la paire

Et de quatre ! Si tout se passe comme prévu, Bernard et Sandrine Fanchette ouvriront l’année prochaine leur quatrième magasin Roche Bobois, le troisième en Afrique du Sud, cette fois en banlieue de Durban. Cette immigration commerciale réussie est un pari gagnant. Elle confirme l’osmose d’un couple d’entrepreneurs qui a su, à travers cette enseigne de prestige, convertir le luxe et le beau en un vrai art de vivre à la française. People sa voulu gratter sous la surface de cette réussite pour confronter mari et femme. Peine perdue. Bernard et Sandrine ont visiblement toujours parlé le même langage.

Entretien : Jean-François LECKNING

En soutien : Axelle GAILLARD

PEOPLE : Commençons par le commencement. Lequel de vous deux a entraîné son camarade dans l’aventure Roche Bobois ?

BERNARD : Ça c’est fait naturellement. Nous avions tous deux réalisé qu’il y avait une place pérenne à prendre à Maurice dans le secteur de l’ameublement haut de gamme. Les débuts de Roche Bobois, en 2012, ont été la suite logique de cinq années d’investissements dans le meuble, à travers Vivere, une enseigne que j’avais lancée en 2007 pour commercialiser des meubles de Bali. C’était le balbutiement des IRS, ça tombait bien.

SANDRINE : Ouvrir des magasins Roche Bobois était une évidence pour moi. C’est une marque qui nous ressemble : familiale, à taille humaine, portée vers l’art, le design, les beaux produits. Eco-responsable aussi. Ouvrir une franchise à Maurice était pour eux un risque. Ils nous ont fait confiance et je pense qu’ils ont vite été agréablement surpris. A la base, c’est l’association de deux familles, les Roche et les Chouchan, des exilés de la révolution russe de 1917, qui avaient ouvert à Paris le magasin Aux Beaux Bois. Ça a ensuite évolué vers la franchise Roche Bobois, qui compte aujourd’hui 250 magasins dans 55 pays.

PEOPLE : Le goût du luxe et des belles choses, vous êtes tombés dedans quand vous étiez petits ou vous l’avez découvert par hasard ?

SANDRINE : J’ai eu la chance de naître dans une famille passionné par le beau : de vieilles pierres, de vieux meubles… Enfant, le week-end, je visitais les brocantes avec mes parents, à la recherche de beaux objets en cuivre, de vieilles pièces de Quimper.

BERNARD : Pour ma part, je suis issu d’une famille de la classe moyenne. Mon père était fonctionnaire dans l’éducation et ma mère employée d’assurances. Ils m’ont toujours inculqué le goût des belles choses même s’ils n’avaient pas de grands moyens : littérature, musique classique, opéra, visites de musées…

PEOPLE : Diriger à deux n’est jamais facile, surtout en couple. Les désaccords sont nombreux ? Qui a le dernier mot ?

BERNARD : Ça n’a pas toujours été facile, surtout au début. Nous venions d’univers professionnels très différents, avec des formations opposées. Sandrine a une approche très école de commerce. Elle démarre au quart de tour. Moi je suis plutôt diesel. J’appréhende le problème sous tous ses angles avant de l’attaquer. Cela créé souvent des désaccords. Mais on fait les choses comme il faut, on se consulte, on défend nos choix. Après seize ans à travailler ensemble, les choses ont tendance à couler de source, les bouderies du début sont choses du passé ! (Rires)

SANDRINE : Diriger à deux est plus facile que diriger seul en tous cas. Nous sommes parfois en désaccord pour des broutilles, c’est vrai, mais moins depuis que la société a pris de l’ampleur. Nous avons moins de temps pour s’occuper de ce que fait l’autre.

BERNARD : Il est toujours mieux d’être à deux pour faire face aux doutes, aux coups durs, à ces moments où on a l’impression qu’il faudra tout recommencer. Comme quand le rand sud-africain a déprécié de 20% du jour au lendemain, fin 2015, juste après l’ouverture de notre magasin du Cap.

PEOPLE : Qui de vous deux accepte plus facilement les compromis ?

SANDRINE : Je fais rarement de compromis. Je fonce !

BERNARD : Pour faire bien, on ne peut faire les choses à moitié juste dans le but de ménager l’égo de l’autre. Les décisions doivent être prises dans l’intérêt de la boîte.

PEOPLE : Dans une structure de management très familiale, la tentation d’empiéter sur le territoire de l’autre doit parfois être forte…

SANDRINE : Pas vraiment. Nos domaines d’expertises sont différents.

BERNARD : Nous sommes co-gérants, à part égales. Jamais l’un n’a empiété sur le territoire de l’autre ou pris une décision ne relevant pas de son champ de responsabilité.

PEOPLE : Les différends se règlent au bureau, sur l’oreiller ou… sur un canapé Roche Bobois ?

SANDRINE : Partout. Dès qu’il y a un problème, il doit être réglé. Il ne faut pas perdre du temps et de l’énergie.

BERNARD : Le moelleux de nos lits et le confort de nos canapés s’y prêteraient bien, j’avoue… Mais pourquoi toujours faire mention de désaccords ? Une entreprise n’est pas faite que de cela, heureusement. Il y a aussi des moments où on célèbre nos belles performances.

PEOPLE : Vous diriez donc que vous êtes plutôt complémentaires malgré tout ?

BERNARD : Oui. Nos responsabilités sont distinctes. Sandrine gère les parties magasin, décoration et marketing. Et moi il ne me reste plus grand-chose (Rires)… Plus sérieusement, je m’occupe essentiellement des finances et des ressources humaines.

SANDRINE : Si nous sommes différents, c’est que, fatalement, nous sommes aussi complémentaires.

PEOPLE : Quelle est la plus grande force de l’autre ?

BERNARD : Sandrine ne se laisse jamais abattre. C’est son côté breton je crois. Pendant la pandémie, nos trois magasins étaient fermés, mais elle a su garder sa dynamique pour apporter des revenus à la boîte.

SANDRINE : Bernard est un fin diplomate. Il est posé et réfléchi.

PEOPLE : Quel regard portez-vous sur l’industrie du luxe à Maurice ?

SANDRINE : A part dans l’hôtellerie, le domaine du luxe ici est balbutiant. Il ne faut pas confondre produits chers et produits de luxe.

BERNARD : Quand je vois les villas haut de gamme, les belles voitures ou le foisonnement du marché de l’art, je me dis que cette industrie se porte bien.

PEOPLE : Mais y a-t-il décemment de la place pour le luxe dans un monde où le Covid a essayé de nous ramener à l’essentiel ?

BERNARD : C’est peut-être un des plus grands paradoxes de la pandémie. Après des premiers mois difficiles, certes, le marché de l’ameublement de luxe a littéralement explosé. Les gens passaient plus de temps chez eux et souhaitaient refaire leurs intérieurs. Roche Bobois a enregistré des progressions de près de 30% de son volume d’affaires dans la plupart de ses magasins ces deux dernières années. A bien voir c’est peut-être aussi cela l’essentiel ; passer plus de temps chez soi, en famille, dans un certain confort.

SANDRINE : L’industrie du luxe est en expansion un peu partout. Ceux qui le peuvent consomment moins mais mieux. Ils cherchent des produits recyclables respectant des normes de qualité, de confort et de performance. Cette nouvelle génération de clients veut des produits qui ont une histoire, qui sont fabriqués avec des matières nobles et innovantes dans des conditions semi-artisanales, si possible avec une traçabilité et une âme.

PEOPLE : Au-delà du fait qu’il a du goût et de l’argent, quel est le profil du client de Roche Bobois ?

BERNARD : On peut avoir du goût sans avoir les moyens. Roche Bobois est certes, de par son positionnement, catégorisé comme une marque de luxe opérant dans un marché niche pour des clients exigeants et disposé à mettre un certain prix pour avoir de la qualité. Mais je souhaiterais toutefois nuancer : nous sommes ici dans du luxe utile et intelligent. Nos produits sont confortables et pratiques, pas seulement onéreux et beaux. Intelligents, car ils utilisent des matières premières innovantes et répondent de plus en plus aux normes d’écologie et de fabrication responsable.

SANDRINE : Le profil de notre clientèle à l’international est très varié et va du Chef d’Etat à des personnes comme vous et moi… Ils ont en commun le goût des belles choses, d’un certain art de vivre, le besoin de trouver des produits qui allient confort et design ainsi qu’un niveau de service inégalé.

PEOPLE : S’il fallait résumer Roche Bobois en une phrase, vous diriez quoi ?

BERNARD : Un mobilier d’exception qui reflète la conception d’une certaine manière de vivre.

SANDRINE : “The French Art de Vivre.”

PEOPLE : L’attachement à l’enseigne est forte. Pourriez passer à autre chose un jour ?

BERNARD : Roche Bobois est une marque familiale et cela se reflète dans les relations privilégiées que nous entretenons avec nos interlocuteurs à Paris. Il est juste de dire que notre attachement à la marque, à ses valeurs, à son talent créatif est fort. Je pense qu’on continuera à gérer nos magasins quelques années encore… On verra pour la suite après. Tout est possible.

SANDRINE : Nous avons des activités annexes et d’autres en gestation. Nous sommes ouverts à toute belle opportunité.

PEOPLE : Vous vous voyez où dans dix ans ?

BERNARD : J’ai 56 ans. A un moment, il faudra songer à léguer. La boîte marche bien, les employés sont contents, mais c’est parfois bon de donner un nouveau souffle. D’ici dix ans, on sera peut-être passé à autre chose. J’ai toujours rêvé d’avoir une maison d’hôte. Si ça se trouve, on en aura une, à Maurice ou ailleurs, qui sait ? Pour le moment, nous avons un dernier beau projet pour l’année prochaine, celui d’ouvrir notre quatrième magasin, le troisième en Afrique du Sud, cette fois à Durban.

SANDRINE : Je ne pense pas que ce ne sera pas le dernier…

PEOPLE : A la maison, vous parlez de Roche Bobois ou vous passez à autre chose ?

BERNARD : Moi j’essaie de décrocher. Je lis, je me détends, mais Sandrine reste dans le boulot… J’adore le golf. Il y a plusieurs parcours à côté de chez nous.

SANDRINE : Je travaille jusqu’à 22h- 23h… J’ai du mal à décrocher. Mais je fais régulièrement du yoga, j’aime la gastronomie, le bon vin, la lecture, les voyages.

PEOPLE : Et vos filles dans tout ça… ?

SANDRINE : Morgane aura bientôt 23 ans et Ambre 18. Elles sont brillantes, belles. Nous en sommes fiers. Elles ont grandi avec une part de Maurice et une part de France, mais pas que… Nous avons aussi vécu à Madagascar, en Indonésie et maintenant en Afrique du Sud. Elles sont imprégnées de toutes ces cultures. Mais la plus grande culture que nous leur avons inculquée, c’est le travail. Elles nous ont vu faire. Nous leur souhaitons d’être indépendantes, dynamiques et heureuses.