Urvashee Domun

Le sens de la justice

Me Urvashee Domun a toujours su qu’elle deviendrait avouée. Servir la justice est pour elle une quête, un devoir. Parfois, il lui arrive de ne pas facturer certains clients, ceux à qui la vie n’a pas fait de cadeau. “Je récolterai ça autrement.”

Texte : Jean-François LECKNING – Photos : Brady GOORAPPA

Sterling House, à la rue Lislet Geoffroy, n’est pas l’immeuble le plus distingué de Port-Louis. Ses façades, plutôt austères, n’ont visiblement pas résisté à l’épreuve des années. Mais l’adresse demeure prestigieuse. Dans ses couloirs, on y croise le gratin de la profession légale. Ils sont plusieurs à y avoir leur cabinet. Il faut dire qu’on est, ici, à quelques pas de l’ancienne Cour Suprême.

Au cinquième étage, l’avouée Urvashee Domun occupe la suite 509 depuis 2013. Elle a parcouru du chemin depuis. Les clients s’y bousculent tantôt pour régler un problème de succession, tantôt pour une affaire de divorce… Son bureau n’offre pas le confort premium des plus grandes adresses de la profession. Mais il est chaleureux. Une statue du dieu Ganesh s’impose en évidence. “Je suis très spirituelle. Je commence toujours mes journées par une prière”, explique celle qui a été la conseillère en droit des municipalités de Quatre-Bornes, puis de Rose-Hill.

Servir la justice est une quête, un devoir, presque un projet de vie pour Me Domun. Il lui arrive même parfois de ne pas facturer certains clients. Les plus démunis, ceux à qui la vie n’a pas fait de cadeau. “La justice n’est pas accessible à tout le monde, c’est un fait. Certains n’ont pas les moyens de retenir les services d’un professionnel. Ils font comment ?”, se demande-t-elle. “Du mieux que je peux, j’essaie d’aider quand c’est possible. C’est un manque à gagner, mais je suis convaincue que je récolterai ça autrement. J’aurais une bénédiction…”

Urvashee Domun est née et habite à Dagotière, petit village de Moka, à l’entrée de Verdun. L’avouée est l’aînée d’une famille de trois enfants. “Et tous ont réussi !” Jivyaa, sa sœur, est expert-comptable à Londres. Son frère, Shaarvin, s’apprête à être ingénieur en informatique. Sa famille est d’origine modeste, mais les valeurs ont fait la richesse de la fratrie. “Nous avons eu une enfance heureuse, ne manquant de rien. Mais nos parents ont travaillé dur et ont fait beaucoup de sacrifices pour nous. Pour eux, l’éducation a toujours été la seule voie”, martèle Urvashee, qui a toujours que l’attente était énorme, qu’elle se devait de concrétiser leurs espoirs et donner l’exemple, étant l’ainée.

Parce que Vinod, son papa, ancien fonctionnaire, lui répétait à l’envie qu’il n’y avait “pas de réussite possible sans efforts” et parce que Rani, sa maman, “veillait au grain”, Urvashee, ancienne élève du collège Professeur Basdeo Bissoondoyal, à Flacq, a toujours été studieuse. Ce qui a fini par porter ses fruits. Passionnée de lettres, elle s’était engagée en anglais, français et sociologie pour ses examens de HSC, et avait manqué la bourse d’Angleterre pour pas grand-chose, se classant quatrième dans la filière Arts. Puisque seules les deux premières étaient consacrées lauréates, elle se contenta d’étudier le droit à l’Université de Maurice.

Le droit, Urvashee a toujours su qu’elle l’épouserait. “Dès la Forme III, c’était clair dans ma tête que je m’y orienterai”, admet-elle. “Ça m’a toujours attiré. J’ai un profond sens de la justice. Je ne parle pas seulement de la justice des cours, mais celle de la vie de tous les jours. Et puis l’idée de pouvoir un jour porter la toge me fascinait. Adolescente, j’avais ce sentiment que ça allait me conférer un statut dans la société.”

Si la voie était tracée, restait à faire le choix, au terme de son LLB, entre les métiers d’avocat ou d’avoué. “Je n’ai pas beaucoup hésité. Avoué me semblait une évidence. Je suis plus à l’aise à l’écrit qu’à l’oral. J’ai ce côté studieux, besogneux et procédural qui sied bien à ce métier. Et puis, comme il y a 1500 avocats pour 200 avoués à Maurice, ça m’a confortée dans mon choix”, sourit la jeune femme.

Aux redoutables examens du Council for Vocational and Legal Education, en 2012, présidés par le juge Paul Lam Shang Leen, celle qui deviendra Me Domun allait réussir dès sa première tentative, un exploit quand on sait que, cette année-là, seuls quatre des 120 inscrits avaient été reçus. “A l’époque c’était effectivement très sélectif”, se souvient notre interlocutrice.

Son pupillage, elle l’a fait sous la tutelle de Me Manon Mardemootoo, un des avoués les plus référencés de l’île. “J’ai beaucoup appris de lui”, insiste-t-elle. “C’est un homme très humble, soucieux surtout de transmettre son expérience et son savoir. Ce métier, il le connait mieux que quiconque. Il m’a donné tous les bagages nécessaires pour réussir. Je lui suis infiniment reconnaissante.”

Après avoir prêté serment le 20 décembre 2013, Urvashee allait prendre le challenge de se mettre à compte, là où d’autres à sa place auraient probablement fait le choix de rejoindre une structure existante, le temps d’acquérir de l’expérience et mettre un peu d’argent de côté. “Je voulais être indépendante et me faire un nom à la dur. J’avais confiance en moi, je savais j’allais réussir”, justifie la jeune avouée, dont la principale qualité semble être l’empathie. “Quand je traite un cas de divorce, je me retrouve souvent en face d’une personne vulnérable, psychologiquement éprouvée. Il y a une dimension humaine que je ne peux ignorer. Il est essentiel d’être à l’écoute du client”, plaide Urvashee. “Il est souvent perdu et confus parce qu’il ne connait pas les procédures, ne comprend pas les enjeux. Il faut faire preuve de patience, prendre le temps de lui expliquer les choses et lui proposer des solutions adaptées.”

Les affaires de familles sont les plus douloureuses et les compliquées émotionnellement. Difficile, dès lors, pour la jeune femme de rester insensible, de ne pas être touchée par certains drames. “Il y a beaucoup de cas de divorces, ce qui témoigne d’une décadence des valeurs morales”, regrette-t-elle. “L’institution qu’est la famille est de plus en plus fragilisée. Si la famille est fragile, la société l’est aussi.”

Un jour ou l’autre, plus tôt que tard, Urvashee Domun fera de la politique. C’est dans son ADN. “J’ai toujours aimé ça. Je suis très sensible à ce qui se passe dans le pays. J’aimerai pouvoir apporter ma petite pierre à l’édifice. Nous voulons tous que les choses changent, que le pays évolue. Mais avoir de bonnes idées ne suffit pas. Il faut s’investir, contribuer concrètement. Donc, oui, je prendrai le pari un jour.” Puisse-t-elle être entendue.