Georgina Ragaven

Une intégration réussie

Chypriote de naissance, Grecque de culture, Anglaise d’éducation, mais désormais Mauricienne de coeur, Georgina Ragaven a fait mieux que s’adapter à notre île depuis qu’elle y a posé ses valises il y a 28 ans : elle s’est intégrée, apportant avec bienveillance sa pierre à l’édifice. Formatrice appréciée et reconnue à qui plusieurs Mauriciennes doivent leur succès professionnels, Georgina s’est battue toute sa vie pour l’émancipation des femmes. Elle mériterait un jour la reconnaissance de l’Etat pour son engagement.

Texte : Mireille MARTIN | Photos : Brady GOORAPPA

De Larnaca, ville portuaire chypriote où elle est née mais n’a à peine vécu, Georgina Georgiou garde un souvenir très flou. Pour cause, c’est à Londres, où ses parents émigrent dans les années soixante, qu’elle a grandi. C’est aussi dans la capitale anglaise qu’elle a rencontré Raj Ragaven, l’homme qui a changé le cours de sa vie. Aujourd’hui, après plus d’une quarantaine d’années auprès de son “héros discret”, elle affirme être une accomplie et épanouie. “On dit que derrière un homme qui réussit se cache une femme. Moi je peux dire le contraire ; je dois beaucoup à Raj, mon plus solide soutien.”

C’est dans le café-lounge d’un hôtel d’Ebène que nous avons rencontré Georgina. Élégamment vêtue, la plus Mauricienne des Chypriotes évoque avec une voix douce, un sourire engageant et une franchise désarmante son parcours et ses tribulations. Le tout dans un accent très british. “A Maurice, je n’ai jamais ressenti le besoin de parler français ou créole”, explique-t-elle. “Tous ceux que je rencontre ici me parlent en anglais. Au pire, il y a toujours quelqu’un pour traduire.”

Ces quelques vingt-huit années passées dans l’île font qu’elle comprend quand même les deux langues. “Enfin, quand cela m’arrange !”, précise-t-elle en riant. Et d’ajouter, d’un air coquin : “Je fais un effort, surtout quand les gens parlent de moi. J’aime savoir ce qu’ils disent.” Le fait de s’accrocher à l’anglais n’est pas du snobisme. “Une fois, j’ai essayé de parler créole lors d’une formation. Une des participantes m’a gentiment fait comprendre qu’il ne fallait pas les prendre pour des ignorantes, qu’elles comprenaient parfaitement l’anglais. Cela m’a marquée. Je fais très attention à ne pas offenser les gens. Il arrive parfois que j’essaie de baragouiner le français ou le créole. C’est un peu ce que j’appelle mon mix masala…”

Aînée d’une fratrie cinq, issue d’une famille orthodoxe très conservatrice des valeurs et de la culture grecque, Georgina devait être celle qui donnerait l’exemple d’une fille docile et obéissante, soucieuse du dictat parental. Elle sera au contraire celle qui brisera toutes les barrières. “Ma rencontre avec Raj a chamboulé ma vie. Dès que je l’ai vu, j’ai su que j’allais l’épouser.”

Le coup de foudre est mutuel. Ils se rencontrent en juin 1978 à travers un ami mauricien qu’ils avaient en commun. Georgina raconte : “Raj avait été invité à une sortie entre amis d’université. Dans le bus, il est venu s’asseoir près de moi et m’a demandé de sortir avec lui. J’ai dit non et j’ai refusé de lui donner mon numéro.” A l’époque, le portable n’existe pas et Georgina ne veut  surtout pas que le jeune homme appelle à son domicile de peur qu’il tombe sur sa mère. Mais l’amour donne des ailes et Raj s’arrange pour trouver son numéro. “Il a appelé ma mère, s’est fait passer pour un agent de recrutement et a fixé un rendez-vous avec moi pour une interview professionnelle. Quand j’y suis allée, Raj était là. Nous avons déjeuné ensemble. The rest is history…”

Tensions familiales

Six mois après, Raj et Georgina se marient. Au grand dam de leurs parents respectifs qui s’y opposent catégoriquement. Aucun d’eux n’assiste au mariage. “C’est mon grand-père qui m’a conduite à l’église. Mes frères et sœurs étaient là…” Avec les parents de Raj, la situation n’est pas meilleure. La belle-fille étrangère saura-t-elle s’adapter à une famille traditionnelle hindoue ? Là se trouve le contentieux. Mais avec courage, persévérance et surtout beaucoup d’amour, les deux tourtereaux se construisent un foyer qui viendra à bout de la réticence parentale. “Au départ, il n’y avait que lui et moi. On a eu notre maison, nos carrières, notre petite vie… Cinq ans après, Andrew est né. Son arrivée a changé l’attitude de nos parents envers nous.”

Le dégel des relations fait que le couple, qui vivra pendant neuf ans en Angleterre, décide d’aller passer des vacances à Maurice en 1989. Georgina en garde un souvenir vivace. “Je suis tombée amoureuse de l’île, du soleil, des couleurs… J’ai dit à Raj que je voulais vivre ici.” Ils vendent donc leur maison à Londres pour s’installer dans l’île. Mais le démarrage est plus dur que prévu. “C’est une chose de venir en vacances dans un pays et une autre d’y vivre. Nous sommes repartis pour Londres.”

Comme elle a horreur des échecs, Georgina retente à nouveau l’aventure en 1993. Cette fois c’est la bonne. Près de 30 ans plus tard, elle se sent parfaitement chez elle à Maurice. Mieux, elle s’est fait un nom, enchaînant les métiers de conseillère sportive auprès de divers ministres, puis d’instructrice en aérobique et enfin conseillère en formations diverses. Avec toujours une même ligne directrice : l’autonomisation et l’émancipation des femmes. “J’ai toujours été déterminée, prête à relever les défis. A Maurice, il s’agissait d’aider les femmes à prendre soin de leur santé et à penser à leurs carrières.”

Plusieurs de ses “élèves” sont aujourd’hui des leaders dans leur domaine et Georgina en est très fière. Menant sa carrière de main de maître, elle ne néglige pas non plus le social. Après avoir joué un rôle fondateur au sein de Women In Networking, puis de WeEmpower, elle fait partie du Rotary de Vacoas. Ses activités ne passent pas inaperçues en Angleterre où elle a obtenu, en 2020, un prix de la Reine Elizabeth II pour son engagement en faveur des femmes. “Ma mère comptait m’accompagner pour cette rencontre avec Sa Majesté. Mais à cause du Covid-19 je n’ai pu voyager.”

Celle qui ne compte pas s’arrêter en si bon chemin se félicite que Maurice ait fait de grands progrès dans la cause féminine. “L’émancipation des femmes passe par la solidarité. Nous n’avons pas besoin de nous marcher dessus pour réussir.” Et Georgina de conclure : “Aux femmes je dirai : vivez votre rêve, n’ayez pas peur. Moi je l’ai fait et je me sens comblée.”