Kevin Venkiah

L’as du recouvrement

Ancien videur de boîtes de nuit à Paris, Kevin Venkiah s’est transformé au fil des années en redoutable homme d’affaires. Suffisamment, en tous cas, pour qu’il soit porté, en 2001, à la présidence de Bordeaux-Bègles, un des clubs les plus emblématiques du Top 14 français. Depuis quelques années, l’as du recouvrement est revenue à ses sources mauriciennes où il ne cesse d’étendre ses tentacules d’entrepreneur.

Texte : Jean-François LECKNING | Photos : Tristan CHAILLET

Kevin Venkiah a toujours eu le flair des affaires. “ Une opportunité, dit-il, il faut la saisir tout de suite. Le train ne passe jamais deux fois. On le prend ou on ne le prend pas… ” Des trains, lui, il en a pris. A toutes les heures. Dans plusieurs directions. Et n’allez pas croire qu’investir est la seule voie de cet homme d’affaires. La méthode qu’il privilégie, en fait, c’est la mise en relation.

C’est un peu comme ça, d’ailleurs, que Kevin a permis à son partenaire Christophe Aulner de vieillir son rhum dans des fûts en chêne autrefois utilisés pour les grands crus classés du Château Pape Clément. Pour ça, il n’a eu qu’une porte à frapper, celle de son ami de toujours Bernard Magrez, l’un des plus importants propriétaires de vignobles en France. Un homme qui pèse. Cette mise en relation a permis à Private Collection, l’ultra premium d’Emperor, d’améliorer son positionnement sur le marché du rhum à l’international. “Magrez, c’est une vieille relation. Il m’a tout de suite dit ok. Sans me demander un centime. C’est de l’amitié pure et dure.”

Kevin Venkiah est né à Henrietta mais a grandi en France, à Savigny-sur-Orge, près d’Orly, où ses parents étaient allés chercher une vie meilleure. “Mon père était chauffeur de tracteur et ma mère travaillait dans les champs. Même si nous étions heureux, la vie n’était pas facile. Une pomme, on la coupait en quatre. En France, ma vie a changé complètement du jour au lendemain.”

Avant d’obtenir un BTS en commerce international, Kevin gagne ses premiers francs à la dure, comme videur en boîte de nuit. “Un monde spécial.” Il faut dire que ses presque deux mètres le prédisposent à quelques empoignades. Un soir, après un concert de Jacques Higelin au Rex, des agents de sécurité de deux enseignes différentes s’empoignent. Kevin essaie de calmer tout le monde, mais il est néanmoins limogé par Patrol Sécurité. Il se fait embaucher par le camp d’en face, Coordination Inter Sécurité, qui assure les soirées du Zénith, et dont il finit par racheter 50% des parts au bout de quelques années.

“J’ai assuré des centaines de concerts, j’ai côtoyé énormément de vedettes, de Phil Collins à Guns N’Roses, en passant par Michael Jackson, Johnny Hallyday, Sade, U2, Jean-Jacques Goldman”, raconte Kevin : “Parce que je parlais un peu l’anglais, je suis parti en tournée avec Genesis. Bernard Lavilliers est devenu un ami, il est venu dîner à la maison. Et Khaled, je l’ai emmené à Maurice…”

En parallèle, Kevin prend de l’emploi dans une société de recouvrement. De quoi occuper ses journées. “Je n’avais aucune idée de ce que ça impliquait, mais j’ai essayé. J’ai pris quelques dossiers, je suis allé voir des créanciers, j’ai négocié et j’ai fait rentrer un peu d’argent… Au début, je pensais que c’était un métier de durs. J’ai vite compris que c’était plutôt un métier de médiation. Ça m’a plu.”

La société qui l’emploie finit par se faire racheter. Kevin Venkiah décide de se mettre à son compte et ouvre la Sogecor. Il va même jusqu’à employer… son ancien patron. “C’est moi qui tenais la clientèle et comme je n’avais pas signer une clause de non-concurrence, j’ai pris ma chance.” L’entreprise progresse de façon fulgurante et se fait référencer au plus haut échelon. “On a gagné beaucoup d’argent avec cette affaire. C’était la belle époque où on pouvait se permettre de prendre 25-30% de commissions. J’avais 35 ans, la vie était belle…”

Plus qu’un métier, le recouvrement est un art. Celui de la négociation, dans lequel Kevin excelle. “Il n’y a qu’à l’amiable qu’on peut régler une affaire. Il faut savoir discuter avec son client, lui proposer des solutions. Un client qui ne paie pas, ce n’est pas forcément qu’il est de mauvaise foi, mais qu’il a une vraie difficulté. Il faut l’aider. Celui qui se fout de ma gueule, il finit au tribunal…”

L’ami de Bernard Laporte

Son plus gros coup ? Kevin s’en délecte encore : “Un dossier de 29 ans, qu’on a ressorti un an avant qu’il ne soit caduc. Le jugement avait été rendu mais n’avait pas été exécuté. Une affaire de 300 000 francs à la base et pour laquelle on a fini par encaisser deux millions d’euros. Tout ça parce qu’on a dépoussiéré le dossier à temps.”

Parce que la clientèle parisienne ne peut lui suffire, l’entrepreneur décide d’aller chercher de nouvelles opportunités d’affaires à Bordeaux. Là-bas, “par amitié pour Bernard Laporte”, qui deviendra ensuite le sélectionneur du XV de France, il fait son entrée dans le rugby. “Bordeaux-Bègles c’était le club de Bernard, il voulait le sauver.” Dans un premier temps, Kevin investit 200 000 euros pour que Sogecor soit imprimé à l’arrière des maillots. “Mais rapidement, ça a pris une autre ampleur. J’ai mis un pied, puis deux. J’ai mis de l’argent, encore. Avec Magrez, nous détenions plus de 80% des parts du club et j’ai été propulsé à la présidence en 2001 sans rien demander à personne.” Sa stratégie de départ était claire. “J’aidais le club d’un côté mais, de l’autre, je profitais de mes relations pour élargir mon portefeuille clients. Sauf que ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça.”

A 41 ans, le Mauricien est soudainement projeté en pleine lumière. Parce qu’en France, le rugby et une religion. “Gagner, fédérer et reconstruire” est sa devise, confie-t-il au Parisien, pressé de connaître son projet sportif. Son ambition ? “Faire de Bordeaux-Bègles le club le plus connu de France.” Pari perdu. Deux ans plus tard, Kevin jette l’éponge, las de jouer au Père Noël pour un club embourbé dans la politique et secoué par l’affaire Mamère-Depardieu. “Quelque part, je me suis planté… Mais, bon, je ne regrette rien ! A Bordeaux, j’ai rencontré ma femme, j’ai eu deux beaux enfants et j’ai vécu une expérience unique Si c’était à refaire, je referais. Mais autrement. J’ai quand même mûri…”

En 2008, Kevin fera le choix de revenir aux sources avec sa famille, dans cette île Maurice qui l’a vu naître. Sans regret, “parce que la vie y est très agréable.” Et n’allez pas croire que sa fibre entrepreneuriale l’a quittée. Le voilà impliqué dans une dizaine de sociétés. “C’est lourd, mais j’adore ça. J’ai toujours la tête qui travaille. Disons que j’essaie à chaque fois d’avoir un coup d’avance sur les autres”, rigole-t-il. Le rugby reste évidemment son fil rouge. Il est aujourd’hui à la présidence de la fédération nationale où il emmène sa passion, son expérience, son dynamisme… et ses contacts. Son projet tient dans un mot : démocratisation. Sous sa tutelle, de nouveaux clubs ont vu le jour. “Il est essentiel d’enlever cette perception que le rugby est un sport de blancs. Ça ne l’est pas !”

Le Kevin Venkiah né à Henrietta au milieu de siècle dernier a fait beaucoup de chemin. A 60 piges, il profite au maximum d’une vie qu’il admet plus que confortable. “De temps en temps, quand je traverse la route et que je croise des gens, il m’arrive de me demander ce que je serais devenu si mon père ne nous avait pas installé en France. Je préfère ne même pas y penser de peur de me faire mal. Ce que je sais, c’est qu’à un moment donné, j’ai juste changé de vie…”