Keyla Kauppaymuthoo

L’héritière !

Keyla Kauppaymuthoo, 21 ans, est la digne fille de son père, Vassen, océanographe très engagé dans la cause environnementale. Déterminée et fonceuse, elle milite, elle aussi, à son niveau et à sa façon, pour sauver la planète. Ou du moins ce qui peut encore l’être. Son objectif est de conscientiser d’urgence la population sur les dangers du changement climatique.

Texte | Axelle GAILLARD

“Votre génération ne parvient pas à lutter contre le changement climatique et l’extinction de la biodiversité !” C’est dans ces termes que Keyla Kauppaymuthoo s’était adressée au chef du gouvernement, Pravind Jugnauth, dans une lettre signée par la branche mauricienne de Fridays For Future Mauritius. Ce mouvement de grève étudiante pour le climat a été lancé en 2018 par la désormais célèbre Greta Thunberg, une jeune suédoise d’alors 15 ans, qui avait eu le courage de manifester pendant trois semaines devant le parlement de Stockholm pour protester contre le manque d’actions de la classe politique sur la crise climatique.

Si, depuis, Keyla a pris ses distances de l’ONG, elle continue de militer à son niveau, de façon indépendante, mais efficace. Il faut dire qu’elle a la communication facile, une intelligence et un discernement qui lui permettent d’appréhender les situations les plus inextricables et la détermination de faire passer ses messages. Oui, elle est la fille de Vassen et de Nancy Kauppaymuthoo. Oui, elle est née dans un milieu sensible à la cause environnementale. Mais ce combat, il est d’abord le sien. Et la jeune femme le mène de main de maître.

Puisqu’elle a été à bonne école, Keyla sait de quoi elle parle. “A Maurice, on a moins de 1,3% de forêts endémiques en bonne santé et 84% de nos espèces endémiques sont en danger. L’endémicité joue pourtant un rôle essentiel dans la conservation de l’environnement…” Voilà comment elle entame avec nous la conversation. “Près de 75% de nos coraux ont blanchi et nos plages sont presque toutes victimes d’érosion. La situation est alarmante ! Notre rôle à tous est de nous en préoccuper et d’assurer un avenir pour l’humanité”, insiste notre interlocutrice, qui souhaite responsabiliser les trois acteurs majeurs de la société – le gouvernement, le secteur privé et la population – quant à l’urgence de prendre des mesures concrètes pour le bien de la planète. “Nous avons tous un rôle à jouer, à commencer par le citoyen lambda. Et c’est maintenant qu’il faut agir en privilégiant tout ce qui est bio et naturel. Il faut sortir de sa zone de confort, se convaincre qu’il y a toujours des alternatives plus intelligentes. Il nous faut travailler ensemble. S’unir et avancer, c’est la clé.”

Récemment, déplore la militante écologiste, deux zones humides ont été détruites à Grand-Gaube pour qu’on y érige des villas. “La protection de ces zones est pourtant primordiale pour notre résilience face au changement climatique et ces actions qui portent un grave préjudice à notre écosystème témoignent malheureusement de l’incohérence de nos leaders…”

Pour Keyla, le gouvernement a le devoir d’assurer la pérennité du pays, de même que la sécurité et le bien-être de ses citoyens. “C’est inscrit dans leur contrat, ils doivent le faire ! Et ne désengageons pas la responsabilité du secteur privé dans tout ça. Si on n’agit pas maintenant, demain il sera trop tard.”

Deux ans après cette lettre envoyée au Premier ministre, qu’est-ce-qui a été fait concrètement ? “Le gouvernement a fait un pas, mais c’est loin d’être suffisant”, regrette la jeune femme, pour qui une réforme de l’éducation est nécessaire si on veut conscientiser les plus jeunes sur les vrais enjeux de la planète.

Elle regrette que Maurice se cache derrière sa petitesse, se contente de se comparer à des nations africaines et se targue d’être un pays développé alors qu’on fait face à énormément d’inégalités sociales en sus de problèmes environnementaux. “Maurice est 47e au classement du World Risk Report de 2019. Avant, nous étions 11e.  La situation s’est améliorée, mais les mesures adaptées font défaut. Il est temps de se comparer aux pays développés et de se donner des moyens concrets de faire comme eux.”

Et demain…

Keyla aimerait que l’Etat soit plus transparent et explique à la population comment sont dépensées les grosses sommes d’argent reçues d’institutions internationales pour faire avancer la cause environnementale. “Où va cet argent va ? Dans quel projet ? Ce serait bien qu’on nous le dise.”

Suite à leur lettre de mars 2019, les membres de Fridays For Future Mauritius ont été conviés à quelques réunions par le gouvernement. Cela n’a cependant pas débouché sur grand-chose et la communication avec le gouvernement est restée difficile. Keyla a également constaté que le dossier de l’environnement a été morcelé et réparti entre plusieurs ministères, “ce qui est loin d’être une bonne chose, parce que tout le monde s’amuse à se renvoyer la balle et, au final, personne ne fait rien !”

Le mouvement mauricien de Fridays For Future a mobilisé principalement des élèves d’écoles privées. “Nous avons eu beaucoup de difficultés à aller à la rencontre des élèves d’établissements publics. On nous a dit qu’il fallait l’autorisation du gouvernement, ce qui est évidemment très difficile à obtenir”, regrette Keyla, qui déplore les barrières sociales et communautaires rencontrées au passage. “C’est triste que la langue ou la couleur de peau soient un frein. Parce que nous faisons tous face au même problème ; nous sommes tous dans le même bateau, et il nous faut agir ensemble pour empêcher qu’il coule.” 

La jeune femme poursuit : “D’après des rapports scientifiques récents, d’ici 2050, nous connaîtrons des chaleurs extrêmes, il n’y aura plus de poissons, ni de coraux ; Nous ne pourrons plus aller à la plage ou nous promener en forêt. Nous serons exposés à toutes sortes de catastrophes naturelles et de maladies…”

Détentrice d’un baccalauréat, Keyla a fait le choix de prendre une année de recul afin de se donner le temps et les moyens de renforcer son bagage, ce qui lui sera utile dans sa carrière future. “Je souhaite me spécialiser en ingénierie environnementale, ce qui me permettra d’être encore plus crédible dans mon rôle d’activiste.”

La jeune femme a travaillé avec son père, l’océanographe Vassen Kauppaymuthoo, pour des consultations, des conférences et autres activités de conscientisation. Elle a poursuivi en parallèle son cheminement en tant que représentante de la jeunesse au sein d’Oceanyka, l’ONG environnementale que dirige Nancy, sa mère. Elle est intervenue auprès des écoles et a participé à divers projets en collaboration avec l’UNDP.

“Les décisions que nous prenons aujourd’hui déterminent nos futures conditions de vie et celles de notre planète Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins”, insiste Keyla. “De deux choses l’une : soit nous prenons le pari d’être en symbiose avec la nature, de la chérir et de la protéger, soit nous devrons dans dix ans assumer les conséquences de notre irresponsabilité collective. Il faut arrêter les achats compulsifs, arrêter le bétonnage systématique, renforcer les lois ayant trait à la protection de l’environnement. Et si on commençait par exiger du secteur privé qu’il arrête de produire du plastique ? Ce serait déjà un premier pas.”

Elle déplore aussi que Maurice, bien que signataire de l’Accord de Paris, produit toujours du charbon et de l’huile lourde pour générer 70% de son électricité. “C’est très compliqué d’obtenir les permis nécessaires pour installer des panneaux solaires alors qu’il faudrait au contraire tout faire pour encourager cette démarche. J’ai l’impression qu’on met volontairement des barrières. C’est le système économique libéral dans lequel nous vivons qui veut ça…”

On dit souvent que Keyla est la Greta Thunberg mauricienne et elle se sent touchée. “Je me dis qu’il y a beaucoup de jeunes comme moi, qui partagent mes valeurs, qui s’impliquent autant et qui font bouger les choses… Je me considère plutôt comme un de ceux qui poursuivent son action et portent son message. Je vous le dis : les jeunes ne se laisseront pas faire. Nous sommes tous des Greta.”