LOBIN DAYHA UNMOLE
“Penser autrement !”

Managing Director de la Banque de Développement (DBM) depuis avril 2018, Lobin Dayha Unmole n’a pas hésité à secouer le cocotier pour plus de performances et d’efficacité. Il ne s’y est pas fait que des amis, mais a marqué de gros points qui pourraient, à terme, lui valoir un challenge plus important. Sous son impulsion, la DBM, qui était en déclin, s’est repositionnée sur un marché extrêmement compétitif, ce qui augure de belles choses pour la suite. Rencontre.

Entretien et photos : Jean-François LECKNING

SON BACKGROUND. Je n’ai jamais rien eu sur un plateau. Mon père était un petit planteur réputé de Camp de Masque qui a gagné sa vie grâce à la culture d’ananas. Il exigeait que je me salisse les mains. Avant d’aller suivre mes cours au collège puis, plus tard, à l’université, il fallait que je fasse ma part du travail dans les champs. Deux fois par semaine, je me levais à 2am pour embarquer des ananas dans le camion et aller les revendre au marché de Vacoas. C’était dur, mais je n’avais pas le choix.

 SES ETUDES. Je suis détenteur de la petite bourse, ce qui m’a permis de fréquenter les bancs du collège Royal de Curepipe. Après le secondaire, j’ai étudié l’agronomie à l’université de Maurice. Je suis détenteur d’une maitrise. L’idée de départ était que je puisse, à partir de cette spécialisation, contribuer à professionnaliser les activités familiales. Mais je me suis vite rendu compte que ce n’était pas fait pour moi. J’ai fini par prendre de l’emploi à l’Université de Maurice et, en parallèle, j’ai étudié le management, ce qui m’a ouvert les portes du secteur bancaire.

 SON PARCOURS. A la fin des années 80, j’ai intégré la filière Agriculture de la Mauritius Corporative Central Bank. Curieux de nature, je ne me suis pas contenté de ça. J’ai commencé à mettre mon nez dans la gestion et je me suis retrouvé très vite dans l’arrière-bureau du CEO où j’avais la responsabilité de filtrer ses dossiers. J’ai appris la gestion sur le tas. A la fermeture de la MCCB, j’ai rejoint la section offshore de la State Bank of India. Mais mes perspectives de promotion étaient limitées et je me suis mis à la recherche d’un nouveau challenge. Etant entrepreneur de nature, j’ai monté Secure Information Technology, une société spécialisée dans la sécurité informatique. Il y avait une grande demande pour ça. L’Etat et toutes les banques comptait parmi nos clients. Après les élections de 2000, on a fait appel à moi pour gérer la Mauritius Housing Company et je pense m’en être très bien sorti. Ensuite, je suis passé par deux autres banques. En 2006, j’ai été recruté par la Barclays comme Senior Corporate Manager où je comptais parmi mes clients des corps paraétatiques et des entreprises du Top 100. La Barclays a été une très bonne école. Trois ans plus tard, fin 2008, la Banque des Mascareignes a fait appel à moi pour agrandir son portefeuille de clients corporate. J’ai été partie prenante de la transformation de la BdM.

SON PREMIER DÉFI. Mon premier vrai challenge a été de transformer la Mauritius Housing Company dont je suis devenu, en 2000, l’un des plus jeunes CEO. La structure était alors en total déphasage avec les aspirations de la clientèle. J’ai voulu donné un coup de pied dans la fourmilière, bouleverser les mauvaises habitudes, changer les mentalités, améliorer les services… La MHC d’alors se contentait de ses petits acquis et fonctionnait au jour au jour, ce qui m’avait semblé impensable pour une institution censée être au plus près des Mauriciens. Le délai qu’il fallait compter avant qu’un emprunt ne soit finalisé était effrayant. Nous avons revu toute la chaine pour ramener ce processus à deux mois. Cela nous a permis d’occuper une importante part du marché. J’ai également introduit le financement sur le long terme, passant de 15 à 35 ans. A l’époque, la norme bancaire était de 20 ans maximum pour un prêt logement. Le dur labeur a porté ses fruits et nous avions même atteint un chiffre d’affaires de Rs 1.3 milliard. Il n’était que de Rs 300 million à mon arrivée.

SA DEVISE. « Always think outside the box! » (Rires) Vous savez, c’est indispensable. Si on ne le fait pas, on reste prisonnier du système, on n’avance pas. Impossible de transformer l’organisation. Ici, j’ai choisi de mettre le client plutôt que l’employé au centre de mes réflexions. Le client se plaignait de la qualité du service, du temps que cela prenait pour traiter les dossiers. Les employés ont eu à s’adapter aux exigences de la clientèle et non le contraire. Aujourd’hui, nos officiers sortent du bureau, vont à la rencontre des clients. Penser autrement, c’est aussi réfléchir à des services nouveaux qui emmènent de la valeur à l’institution. Par exemple, le leasing et le factoring. Il m’a fallu seulement dix-mois pour introduire ces services. Il y a également le service de mentoring, qui est l’accompagnement des entrepreneurs par des professionnels. Nous l’avons introduit et je sais qu’il y a une banque importante sur la place qui a adopté ce concept après nous. J’en suis fier.

 SA METHODE. Etre constamment à l’écoute de mes employés. Je leur impose l’efficacité, certes, mais j’ai besoin de comprendre leurs contraintes, leurs motivations. Vous vous rendez compte que ça fait dix-sept ans qu’il n’y a pas eu de promotion à la DBM ? Comment voulez-vous que vos employés soient motivés s’ils sentent qu’ils n’ont pas la possibilité d’avancer ? On travaille en ce moment sur un plan de carrière pour chaque employé. Et je ne lésinerai pas sur les moyens pour avoir ‘the right person in the right place’.

 SA FORCE. Ma faculté à me remettre en question et à implémenter le changement, même dans un environnement hostile. Je considère que si on ne le fait pas, on est appelé à disparaître. Le monde d’aujourd’hui évolue tellement vite qu’on doit sans cesse s’adapter à tout : à la compétition, aux tendances du marché, aux méthodes de management, aux gens…

 SA FAIBLESSE. Quelque part, je peut-être assez naïf dans mes rapports à autrui. J’ai tendance à faire confiance aux gens, à croire ce qu’on me dit. A me montrer compatissant…

 SA VALEUR. Ma détermination. Si je crois en quelque chose, je ferai tout pour que ça arrive. Ourmila, mon épouse, dit que je suis têtu, obsessionnel. Elle n’a pas tort. Quand je suis arrivé à la DBM, j’ai ressenti une certaine réticence au changement. J’ai eu l’impression de mettre mon doigt dans un nid de guêpes. J’ai fait comprendre à mon équipe qu’il y avait urgence, que si on n’évoluait pas, on allait tout droit vers la fermeture. Ils ont fini par adhérer à mon discours. Aujourd’hui, ils sont les premiers rassurés. Le futur de la DBM leur parait rassurant.

 SA FIERTÉ. D’avoir pu démarrer la filiale DBM Energie. Lors de mon entretien d’embauche, les directeurs et le chairman ont voulu savoir ce que je pensais pouvoir emmener de nouveau à la banque. J’ai répondu : « Produire de l’électricité ! » Sur le coup, j’avais remarqué de l’étonnement sur leur visage. Mais je me suis appliqué et j’ai fait ça devenir une réalité. On prévoit, à terme, de produire huit mégawatts d’électricité sur les toitures des bâtiments industriels de la DBM. Ça n’a pas été facile de lancer la banque dans ce domaine. Il a fallu convaincre les décideurs et discuter avec le Central Electricity Board. La DBM a le potentiel d’aider l’Etat dans sa stratégie d’aller d’ici 2030 vers 25% d’énergie verte. Pour ça, il faudrait que tout le monde apporte sa petite pierre. Y compris la DBM.

SON CHALLENGE. Poursuivre le repositionnement de la DBM. Je sais exactement où je veux emmener la banque à terme. Mais, pour poursuivre cette transformation, j’ai besoin d’encore 3-4 ans. Déjà, la DBM Energie se positionne pour être le plus important producteur d’énergie propre à Maurice comme à Rodrigues.

 SON BRAS DROIT. Ma force, je la dérive de mon épouse. Ourmila, qui travaille aussi dans le secteur bancaire, est celle qui me comprend le mieux. Elle corrige mes défauts. Moi j’ai tout le temps le pied sur l’accélérateur. Heureusement que je l’ai pour me modérer et tempérer mes ardeurs.

 SON RÊVE. Réunir mes enfants autour de moi. Les deux ainés sont en études à l’étranger, la troisième vient de compléter son HSC. Quant au petit dernier, Ethaan, il n’a que trois ans et a donc tout son temps. Je suis très proche de mes enfants et j’ai hâte que nous passions plus de temps ensemble.

 SON OBJET FETICHE. Je n’en n’ai pas. Je ne suis pas superstitieux.