PRIYA HEIN
“Écrire, un acte de foi !”
Quand elle s’isole et prend la plume, Priya Hein atteint de nouvelles dimensions. “Parce que l’écriture, dit-elle, est un moment d’intimité qui me permet de me livrer, de dire tout ce que je ressens.” Auteure de plusieurs livres à succès pour enfants, cette Mauricienne installée à Munich, en Allemagne, tentera prochainement de cibler un public plus adulte à travers un premier roman dont on attend beaucoup.
Entretien : Jean-François LECKNING – Photos : Georg BRAUN
Ces derniers temps, vous avez accumulé les titres en librairie. Lequel de vos livres vous parle le plus ?
Il y en a eu pas mal, c’est vrai : “Ti Solo Grand Héros”, “Sous le Flamboyant”, “Est-ce que les enfants volent ?”, “Blue Bear”… Même si j’ai pris beaucoup plaisir à écrire chacun de ces livres, celui qui me ressemble le plus c’est “Blue Bear”, traduit en “Nounours Ble.” Je l’ai écrit pour mes enfants parce qu’un jour, en rentrant de l’école, ils m’ont demandé pourquoi ils étaient différents des autres enfants… A travers ce livre, j’ai trouvé la bonne façon de leur répondre.
Dans “Ti Solo Grand Héros”, vous avez redonné vie au solitaire de Rodrigues, aujourd’hui disparu. Une façon de sensibiliser les enfants sur le besoin de préserver la faune et la flore ? Il est urgent d’éveiller les consciences par rapport à ce que nous avons perdu et ce que nous pourrions perdre ?
C’est encore plus profond que ça ! “Ti Solo Grand Héros”, qui a été publié par les éditions Vizavi, parle de la différence, de la tolérance, du bullying et, dans une certaine mesure aussi, de l’importance de la préservation. Le livre a été illustré par une quarantaine d’enfants rodriguais de 5 à 14 ans, réunis en atelier de travail sous la direction de l’illustratrice Sophie Bazin. Ils ont travaillé à partir de matériaux recyclés qu’ils ont eux-mêmes collectés. Ils se sont inspirés d’une technique picturale pratiquée par les Gonds, une tribu originaire du Madhya Pradesh, en Inde. De ce fait, les enfants ont été exposés au concept du recyclage et à l’importance de préserver leur communauté. Quelques-uns de mes livres parlent aussi du Dodo qui, bien que disparu, est toujours très présent dans la vie des Mauriciens.
Vos histoires ont été publiées dans quatre langues : l’anglais, le français, le créole et l’allemand. L’authenticité n’est-elle pas diluée dans la traduction ?
La traduction est un art. Ayant moi-même été traductrice, je sais que ce n’est pas toujours facile de rester fidèle à sa source. J’ai beaucoup de respect pour les traducteurs même si, parfois, c’est vrai, certaines subtilités et nuances peuvent se perdre.
Pourquoi vous spécialiser dans la littérature pour enfants ? Ne ressentez-vous pas le besoin de voir plus grand ? A quand un roman par exemple ?
J’ai commencé à écrire pour mes enfants. Lors d’un séjour à Maurice, j’ai voulu acheter un livre qui parlait du dodo pour ma fille, mais je n’en n’ai trouvé aucun. Du coup, j’ai eu l’idée d’écrire moi-même une histoire à propos d’un petit dodo surnommé Feno. Elle a adoré. J’ai été très surprise quand les Editions de l’Océan Indien ont décidé de la publier.
Même si mon parcours dans l’écriture a commencé avec les enfants, je suis aussi commissionnée pour écrire des nouvelles et des articles pour des journaux et des magazines. Mais, en parallèle à un autre livre pour enfants qui devrait sortir l’année prochaine, je travaille en ce moment sur un premier roman grand public, avec Londres et Maurice pour toiles de fond. Vous avez raison : il est sans doute temps pour moi de quitter ma zone de confort et d’explorer d’autres types d’écriture.
A chaque livre, vous changez d’illustratrice… Il y a eu Sophie Bazin, Coralie Saudo, Liza Lewis et Lynda Nelson. Est-ce parce c’est difficile de travailler avec vous ? Ou parce que vous redoutez l’effet du “déjà vu” ? A moins que ce ne soit qu’une simple coïncidence… ?
J’ai effectivement eu la chance de travailler avec des illustrateurs différents. J’aime la variété. Il m’est d’ailleurs arrivé d’illustrer moi-même mes histoires. Ce fut le cas pour “Little Dodo’s ABC Book”, pour lequel j’ai utilisé la technique du collage/découpage. Ce livre a fait partie de la sélection “Coups de Cœur FNAC”, en France.
Chaque artiste a un style unique qui est parfois plus adapté à un livre particulier. J’ai pris du plaisir à travailler avec tous les illustrateurs qui ont signé mes livres. A chaque fois, c’était comme s’embarquer dans une nouvelle aventure exaltante. Je me sens privilégiée de pouvoir partager ma passion de l’écriture avec de talentueux illustrateurs, dont certains ont été primés, et qui ont tous le don de savoir traduire mes mots en dessins. Cela dit, la plupart du temps, c’est la maison d’édition qui choisit l’illustrateur, après consultation avec l’auteur.
Vous êtes diplômée en droit de l’université métropolitaine de Manchester. Mais le barreau, apparemment, ne vous a jamais tentée… Vous lui préférez la plume, parce qu’elle vous permet d’être plus en phase avec qui vous êtes ?
J’ai beaucoup apprécié mes études de droit et j’ai du reste obtenu mon LLB. Après ça, j’ai fait un stage à la Commission européenne à Bruxelles et j’ai ensuite commencé à travailler pour le Parti travailliste britannique au Parlement européen, où j’ai aussi été juriste et linguiste avec pour responsabilité de m’assurer, après relecture, de la bonne traduction des textes de loi. Le droit est un domaine très intéressant, mais il manque cette dimension créative que je retrouve pleinement dans l’écriture. C’est mon côté artistique qui parle, sans doute.
Ecrire est un acte de foi, un moment d’intimité entre le cœur et l’âme. Vous partagez cet avis ?
L’écriture créative est, pour moi, une nécessité, un besoin. C’est un exercice profondément thérapeutique qui me permet de canaliser de façon constructive mes émotions. Quand mon père est décédé, il y a quelques années, écrire m’a permis de surmonter les mauvais sentiments qui m’envahissaient à l’époque. Je passais mes journées enfermée dans notre bungalow de Riambel, loin de tout, à écrire page après page. Après ça, je me suis sentie soulagée, comme allégée d’un poids. Alors, oui, l’écriture est un moment d’intimité dans le sens qu’il me permet de me livrer pleinement, de dire tout ce que j’ai à dire.
L’université de Londres a récemment fait appel à vous pour son recueil “We Mark Your Memory”, une sélection d’articles écrits par des descendants de travailleurs engagés indiens. Ce fut, j’imagine, un grand moment de fierté ?
J’ai, en effet, répondu l’année dernière à un appel à candidature des “Commonwealth Writers”. J’ai soumis un article qui parlait des Chagos et j’ai été extrêmement honorée d’apprendre que j’avais été sélectionnée. Il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir contribuer à cette prestigieuse publication universitaire.
Pourquoi avoir choisi de parler des Chagos ? Est-ce un devoir de mémoire ? Ou plutôt un acte politique ?
Il y a quelques années, j’ai visité une exposition sur les Chagos, abritée par le Blue Penny Museum, à Port-Louis. J’ai été émue par les horreurs qu’ils ont vécues. Je pense notamment à ce communiqué officiel datant de 1966 et qui comparait les Chagossiens à “quelques Tarzans d’origines obscures.” J’ai voulu en apprendre plus de ce peuple, de ces îles. Plus je découvrais des choses, plus je voulais donner de la voix pour partager au monde leur histoire tragique, raconter comment ils ont été maltraités et “jetés” à Maurice. Ils ont été traités de façon scandaleuse, inacceptable et je soutiens fortement la cause du Groupe Réfugiés Chagos, que dirige Olivier Bancoult et qui se bat pour avoir le droit de retourner sur leurs terres de naissance.
Vous restez attachée à vos racines indiennes ? Ou vous sentez-vous, maintenant que vous vivez en Allemagne, davantage un maillon de ce grand village global qu’est le monde… ?
Je suis fière de mes ancêtres indiens, oui. Ils sont arrivés à Maurice en 1874, à bord du Malda, comme travailleurs engagés dans les plantations sucrières. Mais, ayant vécu à Maurice, en Angleterre, en France, en Belgique, au Luxembourg et maintenant en Allemagne, je me sens d’abord une citoyenne du monde. Dans une certaine mesure, je crois avoir hérité du sens de l’aventure et de l’envie de voyager de mes ancêtres.
Vous avez aussi une maîtrise bilingue de l’université Libre de Bruxelles en politique internationale. La politique c’est une passion ? De Munich, vous suivez un peu ce qui se passe à Maurice ?
Bien que détentrice de cette maîtrise, je n’irai pas jusqu’à dire que la politique me passionne. J’essaie de suivre ce qui se passe à travers le monde, y compris à Maurice, mais je trouve les tendances politiques de plus en plus déprimantes globalement.
Vous avez quitté Maurice en 1992. Depuis, vous êtes installée à Munich. A quoi ressemble la vie d’une Mauricienne en Allemagne ?
J’ai adopté et embrassé du mieux que je pouvais la culture du pays qui m’a ouvert ses portes. Je suis attachée à la fois à mon pays de naissance et à mon pays d’accueil. J’ai la chance d’avoir une maison à Munich et une autre à Riambel où nous passons en famille l’essentiel de nos vacances. Je combine donc le meilleur des deux mondes.
Vous avez fréquenté les bancs du Couvent de Lorette de Quatre-Bornes. Ce collège a formaté la femme que vous êtes aujourd’hui ?
Oui, j’ai gardé de merveilleux souvenirs des années passées au LCQB. J’ai eu la chance d’avoir de très bons professeurs, qui ont formé et influencé la femme que je suis devenue. Je me suis fait beaucoup d’amies, de toutes les communautés, de toutes les couches de la société, et avec qui je suis restée en contact.
Vous avez deux jeunes enfants, Ananya et Kian, qui seront bientôt des ados. Comme d’autres parents, vous serez sans doute confrontée aux conflits intergénérationnels. Ça vous fait peur ?
Ananya a douze ans, Kian bientôt dix. Nous formons une famille heureuse et unie. Bien sûr, je suis concernée par la prochaine étape de leur développement et je me prépare à ça. Pour être honnête, je ne sais pas trop à quoi m’attendre. J’espère juste qu’on restera proches et qu’on continuera à partager des bons moments. Avec Stefan, mon époux, nous continuerons à supporter et à guider nos enfants du mieux que nous pouvons, en tant que parents responsables et avenants.