Karine Harel
Puisqu’il s’agit d’elle…
Il y a ceux qui savent écrire le français, et puis il y a ceux qui subliment la langue française. Karine Harel appartient à cette deuxième catégorie. Elle n’écrit pas ; elle jongle avec les mots et joue avec nos maux. Elle vivifie les verbes, caresse les phrases, peint les adjectifs, donne un sens à chaque ponctuation.
Psychologue clinicienne de formation et responsable du département des ressources humaines chez General Construction, Karine a eu la bonne idée de nous inviter à un bouleversant voyage intérieur à travers son blog, “Elle dans tous ses états”, qui mérite le détour. Elle le dit elle-même : c’est une plongée au cœur des émois féminins. “Être femme, ça ne s’apprend pas. C’est une aventure qui se veut courageuse, aussi riche qu’intense, une histoire à mille facettes qui se vit et ne se dit pas assez”, justifie-t-elle dans sa présentation.
Pour sa 63e édition, People a doublement ouvert ses colonnes à Karine Harel. D’abord en lui consacrant notre portrait chinois. Ensuite en reprenant, en ouverture de magazine, un de ses derniers chefs-d’œuvre, “En chair de femme”, une humeur à consommer sans modération.
Par Jean-François LECKNING – Photos : Brady GOORAPPA
UN BLOG. “Elle dans tous ses états !” , qui cristallise cette envie que je porte en moi depuis longtemps, après de multiples rencontres avec tant de femmes à travers mon métier de psychologue, de montrer à quel point nos combats, nos chagrins, nos joies, nos échecs, nos succès sont similaires. L’émotion est universelle, seul le script change. Peu importe d’où l’on vient, ce que l’on fait, qui l’on est, notre histoire mérite d’être racontée.
UN POÈME. “Mignonne, allons voir si la rose.” J’aime les classiques et ce poème de Pierre de Ronsard m’a touchée par la justesse et la beauté de sa métaphore. Le thème me parle évidemment encore plus aujourd’hui, avec l’âge.
UN LIVRE. Beaucoup de livres m’ont marquée. Je les dévore comme des carrés de chocolat ! Si je ne devais en citer qu’un, ce serait “Le journal d’Anne Frank.” J’étais très jeune quand je l’ai lu et mes yeux encore naïfs s’étaient ouverts sur une réalité inimaginable. J’avais l’impression d’être enfermée moi aussi dans cette chambre. La légèreté et l’insouciance de ses mots d’enfant nous racontant son quotidien effrayant m’avaient profondément troublée.
UN ÉCRIVAIN. Paulo Coelho. A la fois pour son écriture aérienne, profonde et tellement juste, mais aussi pour ce qu’il exprime. Il touche au sens intime de l’Homme, à ses failles les plus béantes, mais aussi à la richesse immense de ce qui nous définit vraiment en tant qu’être humain.
UN VERBE. Penser. Dans ma tête, mes pensées font le bal, jour et nuit. Même si parfois elles me fatiguent, j’avoue aimer leur compagnie. Tant qu’elles ne font pas la loi… (Rires)
UN MOT. Mouvement. Pas au sens de l’activité mais plutôt celui d’où il puise sa racine, celui qui désigne une motion, une avancée. Je déteste rester statique. L’important, pour moi, c’est de toujours faire un pas, même petit, et ne jamais m’arrêter. On a toute la mort pour se reposer, n’est-ce pas ?
UNE LANGUE. Je suis une passionnée de la langue française. J’adore ses subtilités, sa complexité, ses exceptions, ses interprétations, sa finesse et sa richesse. Le français est un voyage infini.
UNE CITATION. “Lorsque tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens.” Ce magnifique proverbe africain – attribué à l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma – met en avant l’importance de notre propre chemin. On se compare souvent aux autres, mais personne n’a le même point de départ. Et lorsque l’on s’égare, il nous faut revenir à nos racines et à nos valeurs.
UN MAGAZINE. J’ai beaucoup lu Psychologies Magazine. Pas seulement parce que c’est mon domaine, mais parce que certains concepts parfois très théoriques étaient formulés d’une façon plus simple, plus accessible. Cela m’aidait dans ma pratique à sortir de mon jargon de psy !
UNE ÉMOTION. La joie. C’est l’émotion la plus contagieuse, celle qui porte, qui transcende. C’est l’émotion la plus humble qui soit aussi, car elle ne demande pas grand-chose pour exister, mais son impact est immense.
UNE PHOBIE. C’est idiot mais, depuis toujours, j’ai une phobie des … crabes ! Même les tous petits (Rires).
UN RÊVE. Celui que je porte en moi, depuis toujours, c’est de publier un livre et qu’il traverse les océans. Ça viendra ! Pour le moment, je n’ai choisi ni le sujet, ni le genre… J’hésite entre le roman et l’histoire vécue. Il y a plein d’idées qui se bousculent dans ma tête, plein de choses que je voudrais écrire, mais je ne sais par où commencer.
UN REGRET. La liste est longue ! Je dirais que c’est plutôt de la nostalgie, comme un sentiment de ne pas avoir suffisamment profité de certains moments que je ne devinais pas si précieux sur le coup. Je repense aux conversations avec ma grand-mère, à ses fameux gâteaux coco. Il y a aussi les moments câlins avec mes deux ainés, Clément et Victor, lorsqu’ils étaient bébés. Heureusement que je peux me rattraper avec le dernier, Jules, un an.
UNE ÉPOQUE. Celle de mon enfance, avant les téléphones portables et les écrans. Celle où l’on se parlait encore les yeux dans les yeux. Celle où les enfants puisaient dans leur imagination infinie pour jouer à faire semblant. Celle où l’on écrivait encore sur un papier, au stylo. Celle où nos lettres prenaient l’avion avant d’être lues quelque part d’autre dans le monde.
UN LIEU. Il n’y a qu’un lieu où je me suis sentie profondément enracinée, où je puisais ma force dans les éléments naturels, les roches, le sable, le vent, le soleil, la mer… Un lieu où l’on sent le passage de nos ancêtres, la vie qu’ils y menaient avant, plus simple, plus vraie. Roches-Noires, perchée sur le haut d’une petite ile rocheuse, face à la mer immense, aux filaos qui dansent, aux vagues qui s’écrasent mais qui renaissent toujours…
UN OBJET. J’adore les cahiers. Je n’en ai jamais assez. Petite, je voulais travailler dans une papèterie !
UNE ODEUR. Celle du café que l’on fait couler le matin. Il symbolise tous ces possibles que la journée nous réserve. C’est mon point de départ chaque jour.
UN BRUIT. Le bruit du silence lorsque mes enfants dorment.
UNE FEMME CÉLÈBRE. Sœur Emmanuelle, la rebelle au grand cœur. Je l’ai toujours admirée. Je suis fascinée par la joie et la force que ce petit bout de femme dégageait à travers ce don total de soi. On se sent si petit à côté…
UN COMBAT. Si je pouvais tout abandonner et me consacrer à une seule cause et, bien sûr, si j’avais les moyens financiers nécessaires, je construirais des dizaines de foyers pour abriter des mères et leurs enfants afin de les sortir du cauchemar de la violence et de la misère psychologique, leur redonner leur dignité, les aider à se reconstruire. J’ai rencontré trop de femmes qui ne savaient même plus qu’elles avaient le droit d’être respectées et aimées. Les dégâts sont parfois intenses et profonds.