Christelle Jean
Retour aux sources
Fonceuse et déterminée, Christelle Jean est à la tête de l’Univers des Sages, un établissement pédagogique de Sodnac qui s’inspire de la méthode finlandaise, aujourd’hui citée en exemple et référencée par plusieurs professionnels de l’éducation. Son école mise sur une méthode différente, inclusive, basée sur le respect de l’enfance. Chez elle, les enfants apprennent en s’amusant, en observant, en multipliant les expériences. L’objectif est de les stimuler, de les aider à gagner en autonomie, en confiance en soi. Pour faire face à une demande de plus en plus pressante de parents désireux d’éloigner leurs enfants d’une pédagogie souvent oppressante et abusive, l’Univers des Sages de Christelle s’installera dans des locaux flambants neufs dès 2024. Rencontre avec une passionnée.
Texte : Axelle GAILLARD – Photos : Brady GOORAPPA
“Qui peut bien avoir l’idée d’ouvrir une école en pleine pandémie ? Eh bien moi !” Le ton est posé, le rire suffisamment contagieux pour qu’on n’y reste pas insensible. Christelle Jean s’assume. Elle est parfois à contre-courant. Et puis, surtout, elle n’a pas froid aux yeux et sait se donner les moyens d’aller au bout de ses rêves. Quoi qu’il advienne. C’est dans sa nature. Sans doute, aussi, sa façon à elle de montrer sa différence.
En 2021, alors que le pays est suspendu aux lèvres du Dr Gujadhur, docteur-ès-Covid, la jeune femme nourrit l’idée de lancer une école primaire à système alternatif, l’Univers des Sages. Un projet qu’elle a longtemps mûri et qui se veut la suite logique de La Cabane des Apprentis Sages, crèche ouverte en 2013, et Les P’tits Sages, la maternelle qui a suivi. L’ensemble de ces établissement se situe à Sodnac, en périphérie de Quatre-Bornes, et accueille des enfants de trois mois à 12 ans.
“En fait, il n’était pas dans mes intentions d’ouvrir une école primaire, explique Christelle. Mais quand je recroisais mes anciens élèves de maternelle, je ne les reconnaissais pas. Il me semblait qu’ils avaient perdu leur sens créatif, leur instantanéité. Il n’y avait plus d’étincelles dans leurs yeux…” Ce constant a donc été le point de départ de son grand projet. Et c’est ainsi que la machine s’est enclenchée. La jeune femme s’est mise à assembler, une à une, les pièces de ce grand puzzle menant au lancement de l’Univers des Sages, en février 2022. “Les trois mois qui ont précédé l’ouverture ont été terriblement stressants. Heureusement que mon travail me booste.”
Avant d’en arriver là, Christelle a pris le soin de mettre “les filles” au cœur du projet. Les filles, c’est comme ça qu’elle surnomme affectueusement les enseignantes sous sa tutelle. Elle leur a exposé ses idées, son concept, son rêve d’une école différente. Une qui prend à contrepied les traditions établies. Une école où il fait bon passer ses journées et dans laquelle les enfants apprennent en s’amusant, en touchant les matières, en multipliant les expériences, en observant… L’objectif est de les stimuler, de les aider à se sentir libre, à gagner en autonomie, en confiance en soi. Le tout dans le respect des valeurs citoyennes pour qu’ils puissent, une fois adulte, accomplir leurs rêves et leurs ambitions. Cette méthode pédagogique a une source, la Finlande, un pays considéré en avance dans le secteur de l’éducation.
Créer un cadre adapté
“Dans un premier temps, il a fallu identifier puis convaincre la bonne personne, celle qui adhérerait à ma pensée, à mon fonctionnement, à ma vision des choses”, explique Christelle Jean, qui avoue avoir eu la main heureuse en tombant sur Sandrine Razaze, avec qui ça a tout de suite cliqué. “Elle a eu suffisamment confiance dans ce projet pour prendre le risque de quitter sa carrière au ministère de l’Education et nous rejoindre en tant que gérante et responsable de département. Elle est assistée de Géraldine Raimbert, qui était autrefois à la maternelle.”
L’Univers des Sages a accueilli, depuis janvier, une vingtaine d’élèves. “Je suis contente de la façon dont les parents ont accueilli ce projet. Il y a clairement une demande pour une approche pédagogique différente, mais les places sont pour le moment limitées. Je ne peux malheureusement pas repousser les murs, je n’ai pas de baguette magique”, regrette Christelle.
Qu’à cela ne tienne, la quadragénaire a déjà la solution. Dès janvier 2024, son établissement va déménager pour s’installer un peu plus loin à Sodnac, dans de nouveaux locaux plus spacieux et plus adaptés. Le plan architectural validé tient compte du besoin de créer un cadre et un environnement propices à l’épanouissement de l’enfant. L’école sera un lieu de vie de qualité, elle y tient.
Si l’Univers des Sages suit le programme du ministère mauricien de l’Education conformément au cahier de charges de tout établissement scolaire du pays, l’approche est toutefois différente. “On mise davantage sur les activités périscolaires, les jeux, les sorties pédagogiques”, précise cette pédagogue à l’énergie débordante, qui parle avec les yeux et le cœur. Mais, attention, il ne s’agit pas, pour autant, d’un système hybride où l’enfant fait ce qu’il veut. Le programme est établi de façon rigoureuse et la discipline reste le premier socle de valeurs.
A l’Univers des Sages, les enfants étudient les matières classiques comme les mathématiques, l’histoire et la géographie. Ils s’épanouissent aussi à travers l’art, la musique, la poterie, le jardinage ou encore l’initiation de langues étrangères : l’espagnol et l’hindi pour commencer et, dès l’année prochaine, l’allemand.
Attention toutefois à ne pas confondre cette nouvelle école alternative à celles pour enfants à besoins particuliers, comme les enfants à spectres autistiques. “Nous avons effectivement beaucoup de demandes dans ce sens, alors que ce n’est pas du tout notre spécialité. L’Univers des Sages est une école normale, suivant le cursus mauricien classique, mais qui propose juste une méthode d’enseignement différente”, insiste sa fondatrice.
“Ma méthode marche !”
Celle-ci est plutôt fière du nouveau positionnement de l’Univers des Sages sur le marché. “Avant, les parents n’avaient pas le choix. Ils faisaient la queue devant les Lorettes et d’autres établissements privés sans même être sûrs de pouvoir trouver de la place pour leurs enfants. Je leur propose aujourd’hui une solution adaptée avec la certitude que ma méthode marche ! On s’inspire d’un système finlandais qui a fait ses preuves, qui est reconnu.”
Cette méthode, c’est d’abord un apprentissage de la vie, des bases et des valeurs élémentaires, du savoir-vivre en communauté. C’est aller à la source en mettant l’accent sur les bonnes manières, la bienveillance, le respect des autres, la gentillesse, la compassion… A l’école de Christelle, deux et deux ne font pas toujours quatre. Parce qu’avant de savoir compter, il faut savoir vivre.
Pas étonnant, dès lors, qu’on apprenne aux élèves à préparer leur petit-déjeuner, à cuire une omelette, à faire la vaisselle… Une façon de développer peu à peu leur autonomie, ce qui, dans tous les cas, leur sera utile quand ils seront confrontés à la responsabilité de bien gérer leur cursus scolaire plus tard. “C’est vrai que nous sommes différents et je n’en suis pas peu fière. Quand je regarde mes élèves, je sais aujourd’hui pourquoi je fais ce métier”, poursuit-elle.
Il y a cinq ans, alors qu’on commençait à parler de plus en plus d’écologie, de biodiversité, de recyclage, Christelle Jean a eu la bonne idée d’introduire le potager dans le programme de la maternelle. Pour faire comprendre aux enfants d’où cela vient, que ce n’est pas l’argent de papa et de maman qui fait tomber la pomme du ciel. “On plante, on arrose, on récolte et on cuisine les légumes du potager. Retourner à la source, c’est bien là l’essentiel.”
Autre moment important du quotidien de l’Univers des Sages c’est le circle-time. Il s’agit d’apprendre aux enfants à accueillir leurs émotions sans craintes ni peur. “Comment vas-tu aujourd’hui ? Pourquoi es-tu en colère ? Pourquoi tu pleures ? On se parle, on se pose, on prend le temps…”
Christelle parle aussi du travail effectué lors d’ateliers tripartite réunissant enseignants, parents et enfants. C’est souvent l’occasion, pour elle, de faire comprendre aux parents que ce n’est pas parce qu’un enfant affiche des limites sur le plan académique qu’il ne deviendra pas plus tard un adulte valable et responsable. “Donnons à nos enfants des outils pour réussir. S’il aime la musique, guidons-le pour qu’il choisisse l’instrument qui lui permettra de briller et de s’épanouir !”
Issue du secteur financier, Christelle n’était pas prédestinée à une carrière dans l’éducation. C’est à la suite d’une mauvaise expérience vécue à la crèche quand sa fille avait trois ans qu’elle a pris le pari de lancer La Cabane des Apprentis Sages. Autodidacte au sens le plus large du terme, elle s’est beaucoup documentée et a appris sur le tas avant de se lancer avec assurance et détermination. “Ma formation c’est moi en tant que maman et moi en tant que directrice”, assume-t-elle. “Qu’est-ce qu’un parent souhaite voir en venant déposer son enfant à l’école et qu’est-ce qu’il souhaite voir en débarquant sans prévenir ?” Pas de doute, les clés de l’école idéale se trouvent bien dans ces deux questions. C’est parce qu’elle l’a compris peut-être avant les autres que son projet retient l’attention.