Surennaidoo Naiken

Au coeur du combat

La Covid-19 est aujourd’hui encore au centre des préoccupations et tient toute la planète en otage. Le Dr Surennaidoo Naiken est en première ligne au cœur du combat contre ce virus. Directeur médical et médecin-chef de Chirurgie du Pôle Santé de la Vallée de Joux, en Suisse, il est lui-même un survivant de la maladie.

Par MIREILLE MARTIN

Né en 1979 dans ce qui était alors l’Union soviétique, Surennaidoo Naiken a grandi et a étudié à Maurice, d’abord à l’école primaire Notre-Dame des Victoires, puis au collège du Saint-Esprit. La médecine, il a grandi avec. Son père, Bedee, était gynécologue, tandis que sa mère, Sama, d’origine srilankaise, était médecin généraliste. Ce n’était donc une surprise pour personne que Suren décide, à son tour, de suivre la voie de ses parents, imité en cela juste après par son frère cadet, Deeren.

“Je me suis envolé pour l’Ukraine en 1997. J’y ai étudié la médecine et je m’y suis marié. A mon retour à Maurice en 2004, j’ai été interne à l’hôpital Jeetoo où j’ai commencé, l’année suivante, à exercer comme médecin au sein du département de chirurgie. J’ai ensuite fait un saut à l’hôpital de Rodrigues avant de revenir travailler à Maurice, cette fois au Centre de chirurgie cardiovasculaire de Pamplemousses”, raconte le quadragénaire.

En 2010, l’envie de se spécialiser en chirurgie le pousse à poursuivre une formation à l’étranger. “A Maurice, les perspectives pour avancer et progresser dans mon métier me semblaient limitées. J’ai postulé pour une bourse, mais cela n’a pas abouti. C’est alors que j’ai décidé de tenter ma chance en Suisse”, confie Suren. Bien lui en a pris. “J’ai découvert un nouveau monde là-bas. C’était très important pour moi de trouver un pays au diapason de la médecine ; un pays où ma femme, Katya, et mes fils pourraient avoir une bonne qualité de vie.”

Il poursuit : “J’étais seul à Genève les six premiers mois avant que Katya et les enfants ne me rejoignent. C’était compliqué. J’avais appris la médecine en russe et pratiqué mon métier en anglais à Maurice. Et là, d’un coup, il fallait que je me familiarise avec le français et un nouvel environnement. Sans parler du niveau que la médecine est pratiquée en Suisse. Ç’a n’a rien à voir avec ce que j’avais connu à Maurice. Tout était à refaire !”

Heureusement, avec la versatilité et la facilité d’adaptation proverbiale qui semblent caractériser le Mauricien quand il se retrouve à l’étranger, Suren ne baisse pas les bras. Il retrousse au contraire ses manches et se met à l’ouvrage. Patiemment, il surmonte les obstacles et gravit les échelons de son métier. “Je dois admettre avoir été beaucoup aidé, notamment par mes collègues et mes professeurs. Ici, il y a une vraie culture du partage. L’erreur ou encore l’ignorance de certains sujets ne sont pas perçues comme une faiblesse ou de l’incompétence, mais plutôt comme une opportunité d’apprentissage pour s’améliorer”, souligne ce père de trois garçons : Ryan, Kiran et Nylan.

Onze ans maintenant que le Dr Suren Naiken vit en Suisse. Il est aujourd’hui le directeur médical et médecin-chef de Chirurgie du Pôle Santé de la Vallée de Joux, dans le canton de Vaud. Il prépare actuellement une maîtrise en administration hospitalière. Notre compatriote est également membre de l’American College of Surgeons et président de “Humanitarian for Empowerment”, une fondation à but non lucratif visant à autonomiser des professionnels de la santé, notamment à travers la transmission de la connaissance et du savoir-faire. “Nous sommes venus à Maurice en 2019 et avons soumis un rapport officiel au gouvernement. Nous avons fait un constat de la situation concernant la chirurgie coelioscopique et fait des recommandations. Mais, à ce jour, il n’y a pas eu de retour”, déplore celui qui est aujourd’hui considéré par ses pairs comme une référence européenne des chirurgies digestive, viscérale, proctologique et colorectale.

Retour sur une année 2020 qu’il n’est pas prêt d’oublier. Quand survient la crise sanitaire, Suren Naiken est très vite sous pression. Les statistiques du canton de Vaud sont alarmantes : 58% de la population est contaminée ! “Au début, nous étions désemparés et manquions d’informations par rapport à comment dépister, gérer et traiter cette pathologie. Il y avait un manque cruel de matériel, notamment pour ce qui est des équipements de protection. Le contexte était difficile et, en tant que médecin en chef et praticien, je me devais d’être en première ligne pour aider à surmonter la crise”, témoigne-t-il.

Covid-19, le choc ! 

Bien vite, hélas, les symptômes de la maladie se manifestent chez lui. Suren raconte : “Je m’étais mis en isolement au sous-sol tandis que ma femme et mes fils vivaient au troisième. Le 18 mars, j’ai commencé à ressentir des troubles respiratoires, mais sans que ça me préoccupe plus que ça. Mon état s’est vite aggravé et, au bout de deux jours, j’avais vraiment du mal à respirer !”

C’est là qu’il fait appel à un ami et confrère médecin. Le diagnostic est rapidement établi et Suren est admis en urgence à l’hôpital. Prenant une profonde inspiration, il raconte : “Ce fut, pour moi, un moment très angoissant. Le problème, quand on est médecin, c’est qu’on pense toujours au pire. Au vu de mes résultats d’analyses, je savais que j’étais mal en point, que ma vie pouvait basculer…” Le plus dur, pour Suren, était d’envisager que son plus jeune fils, qui n’avait que sept ans, allait peut-être devoir grandir sans son père. “Quand on est au plus mal, on se bat pour essayer de s’en sortir, mais puis arrive un moment où on souffre tellement qu’on est résigné, qu’on a envie d’en finir… Dans mon cas, j’étais surtout frustré. Moi, médecin qui me bat au quotidien pour sauver des vies, j’allais peut-être mourir parce que je n’avais pas la connaissance nécessaire pour me sauver moi-même. Un moment terrible !”

Grâce aux soins dispensés en milieu hospitalier par ses confrères et le personnel soignant, Suren a heureusement fini par vaincre la maladie. Avec recul, il considère que la Covid-19 a au moins eu le mérite de déclencher un élan de solidarité sans pareil. “C’est, je pense, la seule pathologie de notre époque qui est parvenue à mobiliser tous les corps de métier sous un seul et même toit d’hôpital ! Chez nous, à la Vallée de Joux, tout le monde était tourné vers un seul objectif. De l’administration à l’intendance en passant par les cuisiniers et les techniciens de terrain, tous s’attelaient à briser la chaîne de transmission et vaincre le virus.”

Avec émotion, le Dr Suren Naiken relate sa propre expérience. “Au plus fort de la maladie, je ne pouvais rien avaler. Quand j’ai commencé à aller mieux, le cuisinier de l’hôpital, qui me connait personnellement, m’a fait parvenir un gentil petit mot, rédigé à la main sur la carte de menu, me disant que cela faisait une semaine que ses plateaux-repas revenaient intacts et que je devais faire un effort pour manger. Et l’intendante qui nettoyait ma chambre me faisait elle parvenir tous les jours de petites vidéos contenant des messages d’encouragement de gens qui me connaissaient et qui me souhaitaient prompt rétablissement. Ce sont ces petits gestes qui m’ont donné du courage.”

Si le Dr Naiken reconnait que le gouvernement mauricien a pris en charge la première vague de la Covid-19 “comme il fallait le faire”, il ajoute néanmoins que “la deuxième vague était malheureusement inévitable” “A Maurice, vous avez accusé du retard dans la prise en main de cette deuxième vague parce que vous étiez dans une petite bulle”, déplore-t-il. “D’un point de vue stratégique, il faudrait d’abord qu’on commence à savoir quelle variante de virus affecte l’île. C’est déterminant pour l’acquisition des vaccins. En Suisse, après une année à porter des masques et à accepter de nombreuses restrictions, les gens commencent maintenant à se lasser. Le même phénomène va inévitablement se produire à Maurice. Mais il faudra faire preuve de patience…”