ALAIN SEBBAN :
“Chez Vatel, on forme d’abord des hommes !”
Fondateur du groupe Vatel, leader mondial de l’enseignement de l’hôtellerie-tourisme, Alain Sebban est à la tête d’une soixantaine d’écoles à travers le monde, dont une à Maurice. Depuis 1981, ils sont 35,000 diplômés à être sortis des bancs de Vatel pour exercer dans les plus prestigieux établissements hôteliers et restaurants du monde. En visite chez nous dans le cadre des dix ans de la filiale mauricienne, il a bienveillamment accepté de s’entretenir avec nous.
Entretien réalisé par Jean-François LECKNING
Vos parents étaient les gérants du Verdun, un établissement hôtelier de Lyon. Le tourisme, l’hôtellerie, vous avez grandi dedans. Vous avez toujours su que vous y feriez carrière ?
C’est une histoire de famille chez nous, c’est vrai. Dès l’âge de 13 ans, j’ai vécu dans cet hôtel que mes parents avaient repris en 1958 à leur retour d’Algérie. Si mon frère et ma sœur ont préféré prendre des voies différentes, moi j’ai suivi celle de mes parents.
Par obligation ?
Ah non, j’adorais ça… J’aimais recevoir les clients, les servir, discuter avec eux. Je n’avais pas 15 ans que je dirigeais déjà l’hôtel quand mes parents s’absentaient. Certes, je ne prenais pas beaucoup d’initiatives, mais quand même…
Qu’est-ce que vous aimiez dans l’hôtellerie ?
Le tout ! Le contact des gens, le service, la cuisine… Quand il fallait flamber des crêpes Suzette ou découper un canard, j’étais là ! J’adorais le faire devant les clients. J’avais appris tout ça à l’école hôtelière de Thonon. Quand on a ouvert Vatel Lyon, j’ai été maître d’hôtel les deux premières années. Et j’étais heureux.
Quand on transmet son savoir, ses connaissances, on se sent utile ?
Et comment ! Il n’y a rien de plus gratifiant que la transmission. Au début, j’allais dans les classes pour partager aux élèves mes expériences, mon vécu. Je leur montrais comment découper un cuisseau de veau, comment flamber une banane, comment se comporter en service… Chez Vatel, on emploie des enseignants de théories, mais aussi de techniques. Ceux-là, on s’assure qu’ils aient du vécu. Les élèves sont ébahis quand on leur raconte à quoi ressemblent les grands services, comme à l’Elysée par exemple. Ça les motive, ça les donne envie de continuer.
Le premier Vatel a ouvert ses portes en 1981 à Paris. A l’époque, aviez-vous anticipé que votre enseigne deviendrait la référence qu’elle est aujourd’hui en matière de formation hôtelière ?
Non, pas du tout, ce n’était pas dans les plans de grandir autant. Lyon, après Paris, oui, c’était prévu. Parce que j’y habite, parce que c’est ma ville de cœur. Il fallait qu’on s’y implante. Paris, c’était expérimental. Ce qui était important pour nous à nos débuts, c’était de recruter de bons profs, structurer les cours, organiser la pédagogie la plus adaptée qui soit. Quand on a ouvert Lyon, on était rodé, on avait l’expérience. En peu de temps, on est passé à 300 étudiants. Quand les hôteliers ont vu que ça marchait bien, qu’on était sérieux et crédibles, que la formation qu’on proposait correspondait aux besoins de la profession, ils ont adhéré à notre projet et se sont arrachés nos étudiants. Ce contrat de confiance, puisque c’en est un, nous a aidés à construire notre réputation, à nous développer. Les écoles de Nîmes et de Bordeaux ont suivi. Puis il y a eu le Mexique, la première enseigne Vatel à l’international.
Vatel, aujourd’hui, c’est une soixantaine d’écoles à travers le monde. L’expansion va-t-elle se poursuivre ?
C’est sûr ! Nous sommes déjà implantés aux quatre coins du monde… A Maurice, à Rodrigues, à La Réunion, mais aussi à Buenos Aires, Tunis, Moscou, Manille, Bruxelles, Kazan, Madrid, Singapour, Istanbul, Dakar, Kuala Lumpur, Bangkok, Kigali, Bahreïn, Casablanca, Abidjan, Tbilissi et j’en passe… Dans cinq ans, Vatel ce sera déjà plus de cent écoles. Les choses s’enchaînent, ça va très vite. J’étais récemment à Shangai avec le président Macron et j’ai finalisé l’ouverture d’une quatrième école rien qu’en Chine.
Ne craignez-vous pas qu’une extension accélérée, peut-être même démesurée, de l’enseigne Vatel entraînerait, à terme, une perte d’identité ? Ce n’est pas facile de contrôler cent écoles. La méthode Alain Sebban ne risque-t-elle pas de se diluer ?
Le plus compliqué quand on possède plusieurs écoles, c’est de controler la qualité, c’est un fait. Et la qualité, c’est le point essentiel. Il faut que les formations dispensées à Bangkok ou à Buenos Aires soient les mêmes, avec la même philosophie d’enseignement, la même approche, le même programme, les mêmes uniformes, les mêmes valeurs, le même sourire. Pour ça, nous avons des systèmes de contrôles, un cahier de charges très strictes et surtout beaucoup de compétences humaines. Ça ne me fait pas peur.
Qu’est-ce qui fait la force de Vatel et vous différencie des autres écoles hôtelières ?
C’est notre philosophie de formation, qui n’a pas changé en quarante ans. Nous formons d’abord des hommes. L’humain est au cœur de notre projet. La dynamique des écoles Vatel, ce sont nos rapports avec les autres, enseignants comme élèves. Nous sommes très proches d’eux, nous communiquons avec eux, nous essayons de les comprendre, de cerner leurs difficultés, de les accompagner. Et puis, il y a cette alternance que nous proposons entre la théorie et la pratique. Elle est extrêmement importante et fait la différence. En Amérique, par exemple, ils forment des spécialistes en marketing qui pourraient aussi travailler dans une usine ou une entreprise. Nous, on forme des hôteliers. Ce n’est pas pareil !
Nous avons aujourd’hui 35,000 anciens élèves à travers le monde qui font carrière dans l’industrie, et qui sont restés proches de Vatel. Quelque part, ce sont nos premiers ambassadeurs, ils portent encore l’uniforme. Ils sont fiers de cette identité, qu’ils cultivent et transmettent…
Vatel Maurice vient de fêter ses dix ans. C’est un sacré parcours. Vous en êtes fier ?
Oui, très fier. Maurice c’est une histoire et une réussite particulières. C’est une école qui a rassemblé des étudiants venant de La Réunion, de Madagascar, d’Afrique, d’Europe… Il y a, chez Vatel Maurice, un mélange interculturel qu’on ne retrouve pas ailleurs et qui est assez exceptionnel. Ça donne à l’étudiant une perspective internationale indispensable à l’hôtellerie.
Peut-on dire que Vatel Maurice est un des meilleurs élèves de la classe ?
Moi je les aime tous. Je reviens d’une visite à Vatel Rodrigues. C’est une petite école sympa, atypique, qui donne sur l’océan. On aurait dit une famille. Il y a vingt étudiants, ils ont peu de moyens, mais ils auront une carrière magnifique dans l’hôtellerie, je le sens. Je les ai adorés ces gamins.
A tel point que vous vous êtes pris pour le Père Noël…
On vous a dit ça ? (Rires). Oui, j’ai décidé de financer leur voyage dans le cadre du programme Marco Polo, en deuxième année. Sinon, je sais qu’ils n’iront pas. Ils n’en n’ont pas les moyens. Et s’ils choisissent de venir à Nîmes, ils seront également hébergés et nourris. C’est notre rôle d’aider et d’accompagner, quand c’est nécessaire et quand ça a un sens. J’aimerai que ces étudiants rodriguais aient la possibilité d’avoir une expérience à l’étranger. Ça les fera grandir.
Quelle relation entretenez-vous avec Renaud Azema, le directeur de Vatel Maurice, que vous avez masterfranchisé ?
En tant que professionnels, en tant qu’hommes, on se connaît, on s’apprécie. C’est une relation de confiance qui s’inscrit dans la durée. On s’est connus deux ans avant l’ouverture de Vatel Maurice. Il a fallu se battre pour avoir les licences. J’apprécie son dynamisme, sa façon de gérer son école, qui tourne formidablement bien. Renaud a cette compétence, cette volonté d’aller installer Vatel dans d’autres pays, ce qui favorise notre développement. C’est grâce à des gens comme lui que ça va si vite.
Qu’est-ce qui fait la force de Renaud Azema ?
Il est serein. On s’en rend compte quand il parle. Il sait ce qu’il fait, il connait parfaitement bien la formation hôtelière. C’est un atout important quand on prétend diriger une école Vatel. Et puis il a cette volonté de grandir, ce qui en fait un bon partenaire pour nous.
Apprendre ce métier exigeant qu’est l’hôtellerie n’est pas qu’un procédé académique. Il faut bien plus qu’un diplôme pour s’imposer…
C’est former un homme, un professionnel. C’est lui apporter quelque chose qu’on n’apprend pas dans les livres, qui est le savoir-être, indispensable dans ce métier. Le savoir-être, c’est un sourire, une tenue, une approche, une attitude. C’est savoir que le client a besoin de quelque chose avant même qu’il ne le demande. La relation avec le client, c’est ce qui fait la différence dans les hôtels aujourd’hui. Il faut dire que c’est un savoir-faire très français, parce que le tourisme, faut-il le rappeler, est né dans le bassin méditerranéen il y a vingt siècles. Nous avons donc un peu d’expérience à ce niveau. Chez Vatel, on a hérité de cette culture.
Quel regard jetez-vous sur l’industrie du tourisme à l’île Maurice ? A-t-elle su évoluer ?
C’est une industrie qui a été maitrisée. Maurice a su ne pas céder à la tentation de l’ouverture, contrairement à Marrakech, au Maroc. Le low-cost entraîne le tourisme de masse, mais à quel prix ? L’esprit d’origine, axé vers l’excellence, s’en trouve détruit. Ici, on tient bien les rênes et il ne faut pas céder. Il y a une merveilleuse hôtellerie élitiste ici.
Finalement, c’est un peu ça le défi du tourisme mauricien ? Garder le cap ?
Oui, il faudra surtout conserver la spécificité du pays en toutes circonstances. C’est ce que recherche en premier lieu le client.