Najah Ahmed
Principes et droiture
Najah Ahmed, la trentaine, fait partie de cette génération d’avocats qui aspire à voir la justice se réinventer à Maurice. A sa façon, elle voudrait être une ouvrière des changements à venir et qui impliqueraient, notamment, la révision de certaines lois désuètes.
✍ Shareenah KALLA | 📷 Fabien DUBESSAY
Ne vous fiez surtout pas à son allure d’adolescente dans le vent. Les apparences sont trompeuses dans le cas de Najah Ahmed, jeune avocate à son compte, attachée à l’étude de Me Richard Rault. Sous ses airs ingénus et sa silhouette filiforme se cache une professionnelle déterminée, toujours prête à défendre ses convictions. D’ailleurs, elle martèle : “Notre système judiciaire a ses failles, certes, mais si je n’y croyais pas, je ne serais pas là aujourd’hui.” Voilà qui est dit.
Baccalauréat en poche, c’est à Birmingham, dans les Midlands anglais, que Najah a entamé ses études universitaires en 2012. D’abord une licence en gestion des affaires, puis un diplôme de droit et enfin le barreau. Après six années passées loin des siens, elle est rentrée à Maurice en 2018 et a prêté serment deux ans plus tard.
Il convient de dire que le droit s’est imposé comme un choix naturel pour cette jeune femme qui a baigné dans la marmite depuis l’enfance. “Je viens en effet d’une famille d’avocats et d’avoués”, dit-elle, la voix teintée de fierté. C’est suffisant pour qu’elle idéalise une profession qu’elle considère noble et sacrée. Les yeux pétillants, Najah évoque ainsi la force et la beauté d’une plaidoirie. “Ce qui me frappait le plus à l’époque, c’est le respect qu’inspiraient les avocats.”
Justement, puisqu’on parle de respect, les femmes sont-elles suffisamment prises au sérieux dans cette fosse aux lions qu’est la profession d’avocat ? Cette question fait émerger une nouvelle Najah Ahmed, une femme confiante qui ne mâche pas ses mots. Elle va même droit au but : quand il s’agit de la filière du contentieux, la femme doit s’imposer et s’affirmer. Elle doit absolument développer cette carapace de dure à cuire. C’est seulement à cette condition qu’elle aura le respect de ses clients, de ses confrères et aussi des membres de la force policière, avec qui elle est appelée à traiter régulièrement dans l’exercice de ses fonctions.
Sans se départir, Najah aborde un sujet épineux qui touche la plupart des métiers à Maurice, celui du rapport homme-femme et du harcèlement sexuel dans la vie professionnelle. Le métier d’avocat n’y fait pas exception. “Les jeunes avocates sont souvent les cibles de confrères masculins plus expérimentés, qui veulent exercer une certaine emprise sur elles.” A cela on pourrait ajouter une forme de bullying.
Pour Najah, qui ne souffre pas de pusillanimité, le problème est autre. “La difficulté, pour nous, est de nous faire connaître.” Dans un pays où l’on compte plus d’avocats au kilomètre carré qu’à Londres ou à Paris et dans une profession où l’éthique interdit le marketing, elles dépendent uniquement “de ce bon vieux bouche à oreille” pour construire leur clientèle.
Bien qu’elle ait un certain penchant pour le pénal, la jeune femme avoue qu’elle s’essaie à toutes les sphères du droit. En d’autres mots, elle est polyvalente et touche-à-tout en attendant, éventuellement, de se spécialiser un jour. Néanmoins, elle traite davantage des dossiers de violence domestique, un sujet dans l’ère du temps qui ne cesse de défrayer les chroniques et qui révèle le comportement bestial de certains hommes.
Il faut dire que la parole se délie de plus en plus et que les femmes sortent du silence. Celle qui côtoie au quotidien des victimes désabusées défend ardemment ses convictions sur la question. Il est grand temps, insiste-t-elle, qu’on change de discours vis-à-vis des femmes qui subissent la violence domestique. Elle dénonce par exemple l’attitude désinvolte pour ne pas dire désintéressée de certains policiers. “Plus d’une cliente sur deux m’affirment avoir été refoulées par des policiers à la station. Pourquoi ? Parce qu’ils ne veulent pas s’immiscer dans ce qu’ils considèrent des affaires de couples !” En se lavant les mains, ils les renvoient directement dans la gueule du loup. Et l’issue, malheureusement, est souvent tragique.
Plus de justice pour les femmes
La femme n’est pas la seule victime de violence domestique, précise l’avocate. Le problème à Maurice est que les hommes qui subissent ont honte de venir de l’avant. La faute, sans doute, au qu’en dira-t-on, au machisme de la société et au culte voué à la légendaire virilité masculine. “La vulnérabilité demeure taboue chez les hommes ici. L’homme a le devoir de paraître fort, la société l’exige. Et c’est à cause de ce stigmate qu’il préfère souffrir en silence”, déplore l’avocate. Une des aspirations de Najah Ahmed est de contribuer à démolir ce tabou.
Résolument progressiste et moderniste, un tantinet féministe quand le besoin se fait sentir, la jeune avocate aspire à un renouvellement du système judiciaire mauricien. A sa façon, elle voudrait être une ouvrière du changement. En premier lieu, clame-t-elle, il faudrait que la justice protège davantage le plus le beau sexe. Des lois archaïques implantées au temps d’une société phallocrate et patriarcale doivent absolument être revues. Elle cite, par exemple, la médiation au sein du couple, une solution peu efficace. “S’il y a eu violence conjugale une fois, elle se répètera. C’est comme une drogue.”
On n’arrête plus Najah. Ses idées fusent. Certaines vieilles lois sont dénoncées, à l’instar de cette obligation faite à tout ancien détenu de fournir un certificat de moralité au moment de postuler pour un emploi. L’erreur est humaine, mais ne semble pas s’appliquer aux ex-prisonniers. “La prison est une expérience difficile et les détenus, pour la plupart, en tirent de précieuses leçons. Il faut leur donner la possibilité de se réinsérer dans la société et d’entamer une nouvelle vie. Et non pas les exclure.”
Et loin de la cour, qui est Najah Ahmed ? Une épicurienne, clame-t-elle. Sa philosophie est carpe diem. Elle croque le présent à pleines dents, sans se soucier de l’avenir. “On ne sait pas de quoi demain sera fait. Alors, pourquoi se projeter dans dix ans ?” Pour la jeune femme, la vie est comme un grand huit. Il faut donc la savourer en bonne compagnie.