Ian Buckoreelall
Sensibilité soignée
Pionnier de l’industrie de la cuisine équipée à Maurice, Ian Buckoreelall ne fait jamais les choses à moitié. Après Schmidt, qui l’avait franchisé en 2008, il s’est cette fois associé à la prestigieuse enseigne française Arthur Bonnet, qu’il représente sur l’île depuis trois ans. Et ça ne s’arrête pas là puisque, bientôt, Nobilia et Comera viendront s’ajouter à la liste de ce redoutable chasseur de franchises. Homme passionnant et passionné, il assume une sensibilité soignée qui l’a toujours attiré vers le beau et qui le mène à diriger son équipe à l’instinct et à l’affect. A bientôt 48 ans, cet ancien steward d’Air Mauritius qui a baigné dans le sport depuis toujours aspire maintenant à un devoir de transmission.
✍ Jean-François LECKNING
📷 Sanjay SONARAM
Quand il parle d’Arthur Bonnet, l’enseigne qu’il représente à Maurice, Ian Buckoreelall a le verbe facile et les yeux qui pétillent. Normal, c’est un passionné. “Après Schmidt, que j’ai quitté il y a quatre ans, il fallait que je me repositionne sur une marque prestigieuse et qualitative, une marque qui a du coffre… Mon choix s’est porté sur Arthur Bonnet, qui cochait toutes les cases.”
Il faut dire que l’enseigne nantaise, bientôt centenaire, a un ADN fort et émerge au premier rang des moteurs de recherche. Présent depuis 1927, Arthur Bonnet n’est pas seulement une marque historique. Elle incarne surtout un certain art de vivre à la française.
Pionnier de l’industrie de la cuisine équipée à Maurice, Ian Buckoreelall est ému quand il évoque le chemin parcouru depuis qu’il a installé Arthur Bonnet à Floréal en 2021. Le cahier de charges était costaud. Trois ans, quinze employés et cinq-cents commandes plus tard, il parle déjà d’une success story. Et explique ce qui fait la force de son enseigne. “Nous avons misé sur l’ultra personnalisation de la cuisine, et ça va de la couleur et aux dimensions. Nous sommes ce qu’on peut appeler des artisans industriels.”
Quadragénaire au sourire craquant et à la tchatche facile, Ian Buckoreelall a toujours su cultiver son sens du relationnel et placer le client au centre de toutes ses priorités. “Ce qui m’a sans doute valu de conclure quelques ventes”, rigole celui qui, plus jeune, accompagnait son père, représentant d’équipements industriels de textile, dans ses tournées. “Je l’ai vu faire et j’ai appris de lui. C’était un super commercial, quelqu’un de très charismatique qui n’a jamais eu besoin de forcer sur le verbe pour convaincre. C’était naturel chez lui. Je lui dois ce que je suis.”
Comme n’importe quel entrepreneur, Ian aspire à faire de bonnes affaires, à diriger une société saine. “Mais il n’est pas question que je m’égare chemin faisant, que je me laisse engloutir par l’ambition et la quête de profits excessifs.” Son entreprise, il l’a toujours voulu à taille humaine. Il la dirige à l’affect et à l’instinct, en favorisant la créativité.
Quant à son métier de cuisiniste, il en a fait une vocation. “Il nous permet d’accéder à ce que les gens ont de plus intime, le cœur de leur maison. Quand on livre une cuisine, le client a souvent les larmes aux yeux. C’est un précieux instant de vie qu’on a la chance de partager avec lui”, témoigne celui que ses amis surnomment affectueusement Buck, diminutif de Buckoreelall, devenu sa signature officielle et sa marque de fabrique depuis.
Ian revendique avoir toujours été attiré par le beau, par le bien fait. “Avant la déco et la cuisine, c’étaient les fringues, les voitures et… les jolies filles”, rigole ce playboy qui s’ignore, bien qu’il avoue “n’avoir pas été malheureux en conquêtes autrefois.” Voilà qui nous ramène à son adolescence, un pan important de sa vie.
Passion Sport
Au collège du Saint-Esprit, sur les bancs desquels il a usé ses fonds de culotte, Ian passait pour le garçon bien sous tous les rapports, attachant et jovial. Loyal aussi. Cette popularité, il l’étrennait aux intercollèges d’athlétisme sur les pistes cendrées d’un stade de Rose-Hill toujours plein à craquer. Maillot blanc à bandes rouges sur le dos, il y a raflé quelques courses mémorables, tous des sprints. C’était la fusée Buck. Une explosivité qui aurait dû lui permettre de rivaliser avec un certain Stéphan Buckland s’il n’avait pas fait le choix, à un moment donné, de s’orienter vers le football et le Centre national de formation.
“A l’époque, représenter le Saint-Esprit aux intercollèges était une quête. Une sorte d’objectif ultime. La meilleure façon, en tous cas, de se sentir aimé et apprécié, de gagner en popularité aussi. Le succès était contagieux”, explique Ian Buckoreelall, qui a été profondément marqué par un homme, l’incontournable Paul Randabel. Prof de français et accessoirement entraîneur d’athlétisme. “Un mentor à la pédagogie sans faille qui a su tirer le meilleur de nous. Paul c’était les valeurs, la rigueur, la méthode et l’identité à l’écusson. Un grand monsieur.”
Le sport, il faut dire, a été le fil rouge des jeunes années de Ian Buck. Digne neveu de Rajesh Ramdenee, multiple champion de Maurice des rallyes, il a fait deux saisons pleines au volant d’une 309 un peu crachoteuse mais toujours bien préparée. Pas de succès, mais beaucoup d’émotions. Il y a eu ensuite le snooker où, associé à Ajay Beegoo en double, il a défié en finale des Masters la paire Khalil Hossen-Saleem Moosa. Partie retransmise en direct à la télévision. Mais la marche était malheureusement trop haute. Pour finir, il y a eu le squash, discipline où il était numéro 5 national, ratant de peu une sélection pour les Jeux des îles.
Au sortir de ses années de collège, Ian Buckoreelall rêvait d’être journaliste sportif, “un métier formidable.” Il a bien essayé de se faire embaucher comme pigiste au quotidien l’express, mais ça ne s’est pas fait. Il a donc fini par prendre de l’emploi à Air Mauritius comme steward. “J’avais vingt ans et des envies de voyages. C’était le job hyper stylé et glamour qui ne se refusait pas, sans oublier la valorisation sociale qui va avec. J’ai kiffé, même si ce n’était pas tous les jours facile.” Il poursuit : “Voyager c’est apprendre et grandir. C’est une exposition aux cultures. Ça forme l’homme. Une université de la vie.”
Mais Ian sait que ça ne va durer qu’un temps. Il ne se voit pas faire carrière comme personnel de cabine. Et puis, il y a la pression de la société bien-pensante. Il le sait, il faut cocher les bonnes cases. Aussi pense-t-il à son plan de sortie et croit trouver sa voie en optant pour des études en ressources humaines. “J’ai toujours aimé tout ce qui touche à l’être humain. Il n’y avait que ça ou la psychologie comme options. Coach de vie ça m’aurait plu, mais ce n’était pas envisageable à l’époque.”
Mais le hasard se chargera de le mettre sur un autre chemin. Inattendu celui-là. Ian Buck raconte : “Avec des collègues d’Air Mauritius, on était à se promener dans le froid d’une nuit parisienne quand, au hasard d’une rue, je suis tombé sur la vitrine d’un magasin de meubles, La Maison Coloniale. Je me suis arrêté net, saisi par la beauté de la déco. Ça a été pour moi un déclic, un éveil…” Il est tellement fasciné qu’il ne voit pas repartir ses amis.
Le jeune homme a de la suite dans les idées. Il quitte Air Mauritius et monte avec son épouse d’alors, Valérie, un petit atelier. Il l’incorpore sous le nom de Maison Déco. Le capital de départ est dérisoire : Rs 10,000. “L’histoire retiendra qu’on a commencé comme ça, à l’ombre d’un arbre à Quatre-Bornes”, raconte Ian. “J’avais des idées de design plein la tête mais aucune expérience. J’ai su compter sur le savoir-faire d’un menuisier d’expérience, Eddy, qui m’a appris le métier, les outils, les matières, la production…”
Place vacante
Maison Déco est une petite structure et produire en masse n’est pas une option. Aussi décide-t-il de privilégier la qualité à la quantité. De son atelier sortent tables, chaises, lits, étagères… Mais aussi des cuisines, pour lesquelles il fait face à une grosse demande. Normal, la place de cuisiniste est vacante à Maurice. On y trouve seulement des artisans. Très vite, l’entrepreneur se sent limité par les ressources à sa disposition, tant financières qu’humaines. Il ne peut produire en temps et en heures et a du mal à respecter les délais de livraison.
C’est là que lui vient l’idée d’écrire à une dizaine de franchises européennes pour en obtenir la représentation à Maurice. Il échange plusieurs mails avec Schmidt, une enseigne alsacienne de réputation. Un jour, le téléphone sonne. Au bout du fil, le patron de la marque, qui l’invite à venir plaider sa cause à Lièpvre, au siège de la compagnie. Problème, le jeune homme n’a pas assez d’argent pour s’acheter un billet d’avion. Neuf mois s’écoulent avant qu’il ne se retrouve enfin à la table des négociations. Il joue son avenir sur quarante-cinq minutes. Une mi-temps en football.
Ian Buckoreelall le sent, tout joue contre lui. Surtout qu’en face, ils ont eu l’air amusés quand il les a renseignés sur le salaire moyen à Maurice. Quand Fabien Schott, le directeur export de Schmidt, lui propose d’être un intermédiaire plutôt qu’un franchisé, en attendant de voir comment les choses évoluent, notre compatriote sort le grand jeu. “Au football, quand on veut récupérer le ballon, il faut tacler fort. Sinon, on se blesse.” En d’autres mots la franchise ou rien.” Jeu, set et match !
“Aujourd’hui encore, quand j’y repense, malgré le recul, j’en ai la chair de poule. J’ai eu du flair, j’ai trouvé les bons mots. J’ai été immensément fier de repartir d’Alsace avec la franchise Schmidt dans mes valises”, se félicite notre interlocuteur, qui a eu la chance, à un moment donné dans sa carrière, de croiser la route de Pierre Vatel. “Il avait la représentation de la marque Espalux à Maurice. Il m’a partagé ses connaissances et m’a appris le métier de cuisiniste.”
Au final, l’aventure Schmidt aura duré douze ans. Elle a été, dans un premier temps, purement familiale. Avec Suzy, la maman, puis Kris, le papa, comme associés des première et deuxième heures. L’actionnariat a ensuite été ouvert et un nouvel investisseur est arrivé. “C’était un client qui connaissait et aimait le produit. Il a emmené son dynamisme, de nouvelles idées et de nouvelles perspectives. Moi j’avais fait ma part. Je ressentais le besoin de prendre un nouveau challenge et je lui ai donc revendu mes parts.”
Ce challenge s’appellera Arthur Bonnet. La suite vous la connaissez déjà