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Vague à l’âme

Par Jean-François Leckning

On vit quand même dans un drôle de monde, avouez-le.

Un monde où l’on préfère les exubérances de Tacha Ti Lamour sur TikTok à la profondeur d’un roman d’Ananda Devi.

Un monde où l’influence, surtout à Maurice, se mesure désormais au compteur des likes plutôt qu’à la pertinence du message.

Un monde où l’on scrolle des kilomètres sur son portable jusqu’à en perdre son âme.

Un monde qui nous oblige à aller tellement vite qu’on en arrive à écrire “tkt” plutôt que “T’inquiète pas”, “tvb” plutôt que “Tout va bien”…

Un monde pressé, indiscipliné, de plus en plus dépourvu de valeurs. Où le paraître a surclassé l’être.

Un monde qui banalise la violence, plébiscite la corruption, récompense les bandits et laisse à genoux d’honnêtes citoyens.

Ne m’en voulez pas de brasser du noir. Je ne fais pas exprès. C’est une vague à l’âme.

J’aurais voulu sourire à la vie. Me contenter des bonheurs simples qu’elle nous offre. Aspirer à être aimé pour ce que je suis et non pour ce que j’ai. Mais je n’y arrive plus.

Je vois le temps passer, les années s’enchaîner et une part de moi ne peux s’empêcher de penser que le bilan n’est pas flatteur. Et si le chemin de vertus que m’avait jadis montré mon père n’était pas le bon ? Et si, pour être heureux, il fallait désormais s’en écarter ?

Comment penser le contraire quand, malgré tous les efforts, tous les sacrifices et la qualité créative qu’on s’est imposé au fil des années, on en arrive à ne même pas savoir comment boucler ses fins de mois ?

Il fut un temps où l’effort, la résilience, le courage, la qualité, la méritocratie étaient des baromètres essentiels. Ils ne le sont plus. Aujourd’hui, c’est une affaire de réseaux, d’affinités politiques…

A quel moment au juste la société a basculé ? A quel moment le culte de l’argent facile a pris le dessus sur tout le reste ?

A quel moment a-t-on décidé qu’exhiber sa BMW, son sac Gucci, son Cane Corso, son voyage en classe affaires, coupe de champagne à la main, validait le bonheur et l’accomplissement ?

A quel moment a-t-on décidé que devenir médecin, expert-comptable ou ingénieur était mieux que de devenir artiste, écrivain ou enseignant ?

Dans ce monde où décidemment tout tourne autour de l’argent et des faux-semblants, d’irréductibles libre-penseurs ont longtemps essayé d’imposer la contrebalance de l’essentiel, du beau, du créatif, du valeureux en espérant le point de rééquilibrage. En vain. Il n’est jamais arrivé. Il n’arrivera jamais.

Sans doute faut-il se resigner à accepter qu’on a changé d’époque. Que la société mauricienne 2.0 a entamé sa déshumanisation en toute sérénité. Pour faire plus “in”. Quelle tristesse !