Hommage

Il était une fois Vaco Baissac

Vaco Baissac, qui nous a quittés ce week-end, était une toile, un canevas à lui seul… Une merveilleuse composition de douceur naturelle et de subtilité. Il y a quelques années, ce peintre d’une autre dimension avait ouvert les portes de son atelier à notre collaboratrice Axelle Gaillard. Une recontre tellement forte que nous lui avions consacré notre couverture. Un souvenir émouvant que nous partageons avec vous.

✍ Axelle GAILLARD
📷 Guilherme GOMES DA COSTA

L’ARTICLE QUE VOUS ALLEZ LIRE EST EXTRAIT DE NOS ARCHIVES.

“Venez chez moi, vous y trouverez tout ce que j’aime.” C’est ainsi que s’est résumé notre premier contact avec Vaco Baissac. Chaleureux, spontané et naturel. Lui, tout simplement. Chez lui ? Un savant mélange de recherche et de naturel, d’ombres et de lumières, de cubiques et d’arrondis. Sa maison, son univers, c’est son miroir. Une sorte d’extension de ce qu’il est.

Entre son atelier ouvert dans un coin du jardin, ses oiseaux qu’il nourrit religieusement le matin et l’après-midi, sa grosse tortue Georges, qui se balade dans le jardin au gré de ses pas lents, et sa chienne Piaf, Vaco évolue, se fondant merveilleusement dans le décor. L’harmonie des lieux ne peut être, en effet, qu’à l’image de celle régnant chez Vaco : un espace ouvert pour rêver le monde.

“Il est 10 h, venez, c’est le moment de donner à manger aux oiseaux… Parfois, il peut y en avoir jusqu’à 400, mais ils viennent surtout l’après-midi.” Des pigeons et des moineaux guettent déjà dans les alentours le lancer de riz. Pendant que Georges se balade et essaie de profiter de l’animation du moment pour pénétrer furtivement dans la maison, que Piaf nous observe pour ensuite s’allonger sagement non loin du maître, Vaco s’installe sur un banc, sous un arbre, contre une petite fontaine. Et voilà que l’homme, l’artiste, ouvre son âme… Moments, instants, privilège…

Imprégné de l’art

L’art fait partie de lui et de sa vie depuis ses premiers pas dans ce monde qu’il peint aujourd’hui. Vaco Baissac s’est imprégné de l’art et l’aime sous toutes ses formes ; les sons, le calme, la volupté, la lumière, le luxe… Petit, les plus grands cadeaux qu’on pouvait lui faire étaient du papier, des crayons, de la peinture, un livre. Son papa étant architecte, il côtoie les pinceaux, les traits, les dessins. Il peint, dessine, croque ce qu’il voit, avec son regard, son ressenti…

“L’enfance ? Merveilleuse période du monde réel. On dit souvent que les enfants vivent dans un monde imaginaire, mais c’est tout à fait le contraire ! Pensez-vous que le fait de vouloir assortir son chemisier à sa jupe, de faire un pied de botte à son pantalon justifie que ce soit le monde réel ? Les enfants y vivent, pas les adultes !” Vaco parle du naturel des enfants, de leur spontanéité, de leur petit monde à eux. Monde que la société forme et forge au fur et à mesure pour les emmener vers l’âge adulte.

L’esprit de Vaco semble ne jamais se reposer. Il écrit, annote, surligne, s’interroge. Il soulève des idées, des pensées. Il se dit perpétuellement influencé par tout ce qu’il côtoie, par tout ce qu’il touche, voit et entend. Par ce qu’il aime et par ce qu’il n’aime pas aussi. Et c’est ainsi que ces influences sont transmises dans sa peinture, dans ses œuvres. “La vie passe et nous sommes perpétuellement exposés à ce qui nous entoure et ceci depuis la naissance. Un jour, on se rend compte qu’à travers toutes nos influences on finit par devenir soi-même et on signe son œuvre.”

Vaco se confie, se dépeint et signe. “L’île Maurice est le pays le plus métissé du monde et l’existence de ce pays c’est d’appartenir au divin mélange de toutes nos communautés. Si seulement on savait ce que l’on perd à ne pas aimer ce que l’on croit détester…” Sans doute par méconnaissance, par manque de volonté de vouloir apprendre et comprendre, par lassitude et résignation, par habitude et indifférence.

Il est logique que les Mauriciens ne rêvent pas d’île comme d’un ailleurs : ils y habitent. L’imaginaire est donc enraciné dans les réalités géographiques et historiques qui constituent l’identité insulaire. Ils oublient peut-être que l’île est un état condensé du monde.

Et c’est à ce moment que les peintures de Vaco rappellent aux Mauriciens ce patrimoine parfois volontairement ignoré, parfois mal connu, tels les visages, les situations, les objets et bien sûr le dodo … Vaco peint le dodo parce que cet oiseau “c’est l’île Maurice”, parce qu’il est le symbole de la faculté de l’homme à pouvoir dévaster la nature, la dépouiller de ses richesses. “La qualité première d’un humain est d’être un humain.”

Refuge à l’intimité

Pour ceux d’ailleurs, par contre, l’image est toute autre. L’île imaginée depuis les continents est inévitablement isolée au milieu de l’océan. Territoire réel pour ceux qui y habitent et territoire rêvé pour les autres. Si elle fait figure de paradis, c’est parce qu’elle est forcément unique, introuvable, petite. C’est alors que les œuvres de Vaco donnent à notre patrie une autre dimension, propose un autre regard, renouvelant sans cesse ses couleurs, ses états, ses visages. Sous ses doigts, l’île Maurice devient ainsi une métaphore universelle.

Vaco sait naturellement renforcer la richesse sémiologique d’un tableau et offre son refuge à l’intimité. C’est en effet vraiment captivant de le voir à l’œuvre, même s’il s’agit d’une séance photo. Aucune simulation, aucun artifice. Vaco se retrouve dans son élément, il est dans son univers. A la limite, nous ne sommes plus là, il est seul face à son tableau qu’il peaufine avec application. Recherche de la bonne couleur, du bon mélange sur sa palette. Recherche du bon angle. Il jauge, rajuste. Chaque touche, chaque couleur est recherchée, a son importance, sa richesse et sa raison d’être.

Vaco se donne, peint son âme, ce qui le fait vibrer, transmet ses bonheurs et ses cris. Pour lui, l’éternité c’est le présent tout le temps. L’éternité, c’est une perte de temps. Temps qu’il comble et remplit d’harmonie, de cette extraordinaire force tranquille qui semble se dégager de lui. Vaco est une toile, un canevas à lui seul, une merveilleuse composition de douceur naturelle et de subtilité. Il est, tout simplement.

 

SON PARCOURS

Vaco Baissac est né en 1940. Il a exposé pour la première fois en 1958. De 1960 à 1963, il a travaillé dans l’atelier de Serge Constantin aux côtés de Siegfried Sammer, de l’académie de Berlin. De 1964 à 1970, il a étudié à Paris et à Bruxelles. Puis il est parti pour l’Afrique où il résidera jusqu’en 1990, date à laquelle il fit le choix de rentrer à l’île Maurice et ouvrir un atelier de peinture. En 1998, la Galerie Vaco Baissac a vu le jour à Grand-Baie.