Linley Michel
Self-made man
Il a commencé seul, ou presque. Quinze ans plus tard, Linley Michel est à la tête d’une équipe 300 personnes et gère un des plus gros portefeuilles clients du secteur de la sécurité aux côtés de son épouse Nathalie et deux de ses filles, Ingrid et Sophie. Security One, son agence, a été le projet d’une vie pour cet ancien policier longtemps affecté à la station de Camp-Levieux et passé par la SSU. Un projet qu’il a mené à la baguette, sans jamais vaciller et se départir de ses valeurs.
Texte : Jean-François LECKNING – Photos : Tristan CHAILLET
Il n’y a pas de hasard dans la vie. Il y a seulement des choix à faire et un destin à provoquer. Linley Michel l’a toujours su. Les siens, en tous cas, il ne les regrette pas. Au point que si c’était à refaire, il ne changerait rien.
Issu d’une famille modeste qui ne dépendait à l’époque que du maigre salaire d’un père fonctionnaire au ministère des Travaux, il avait fait le choix, au sortir de ses années de collège, au MGI, de faire passer ses devoirs et ses responsabilités d’aîné avant ses propres ambitions. Aussi avait-il crû nécessaire de mettre de côté son projet d’études universitaires pour prendre de l’emploi au sein de la force policière.
“Je savais pertinemment que ça allait être compliqué pour mes parents de m’envoyer à l’université tout en ayant à subvenir aux besoins de mes deux plus jeunes frères”, raconte le directeur de Security One, qui se souvient que sa maman avait été tellement déçue de ce choix qu’ils ne s’étaient pas parlés pendant des mois. “Elle avait un plan bien arrêté pour moi et j’étais allé à l’encontre de ce plan, ce qu’elle avait eu bien du mal à accepter. Pour elle, il n’y avait qu’une voie possible vers la réussite : les études.”
Quand il évoque sa mère, Marie-Josée, Linley Michel a les yeux qui brillent. “A la maison, c’était l’armée. La télé, par exemple, c’était seulement les week-ends. Elle nous menait à la baguette, rigole-t-il avec le recul des années. Avec maman, il n’y avait pas de compromis possible. Elle était dans le contrôle. Il fallait coûte que coûte garder le cap d’une éducation rigoureuse. On peut dire que ça a payé.”
Sans ce passage à la police, décidé sur un coup de tête sans l’approbation de la maternelle, qui peut dire si Linley Michel aurait été aujourd’hui assis à la tête d’une des agences de sécurité les plus référencées de Maurice ? “La police a été, à bien voir, ma vraie université, presque une école de la vie. Elle a fait de moi l’homme que je suis aujourd’hui à 51 ans. J’y ai appris la rigueur et la discipline, sans lesquelles il est difficile de réussir dans les affaires”, témoigne celui qui s’assure que ses tenues soient impeccablement repassées et ses chaussures bien propres avant de les porter, convaincu que la première impression laissée à un client est celle qui compte.
D’abord affecté à la SSU, puis au bureau des dessins, avant d’être transféré à la station de Camp-Levieux, à la lisière de plusieurs quartiers chauds où il se passaient toujours quelque chose de jour ou de nuit, Linley ne regrette pas les treize années passées sous l’uniforme. “J’ai appris le métier à la dure en ayant la chance d’être sous la tutelle d’aînés respectables qui ont su me former. Il y a eu des hauts et des bas, certes, mais ce furent de belles années qui, aujourd’hui encore, me servent à avancer dans mon travail et même dans ma vie privée”, reconnait-il.
Constable Michel
Notre interlocuteur poursuit : “Être policier, c’est un des plus beaux métiers du monde. On fait face à la détresse humaine et on a la responsabilité d’assister des hommes et des femmes dans le besoin, parfois en détresse. Je me souviens, une fois, en pleine nuit, avoir eu à emmener d’urgence à l’hôpital une femme sur le point d’accoucher. Elle a perdu ses eaux dans le fourgon de la police. Tout s’est finalement bien passé et j’ai eu le sentiment d’avoir fait mon job”, se souvient ce père de trois filles. “On a tort de penser que c’est seulement le métier de la force et de l’autorité. Ce qui est important quand on est policier, c’est la façon d’approcher les gens. Si l’approche est mauvaise, tout ce qui va suivre sera mauvais. Un mot mal placé peut avoir de fâcheuses conséquences. D’où l’importance de la formation”, insiste Linley, qui regrette par ailleurs que des policiers parfois très compétents ne soient pas à la bonne place alors qu’ils auraient pu contribuer à renforcer l’image d’un corps de métier qui a perdu de sa crédibilité dans l’opinion publique.
En 2003, Linley décide de passer à autre choses. Il quitte la force policière et se convainc que le moment est venu d’accomplir le vieux rêve de sa maman : poursuivre ses études. “Quelque part, c’était une récompense pour elle, mais je dois dire que l’idée me trottait derrière la tête depuis un moment. J’éprouvais le besoin de valider par un certificat tout ce que j’avais appris au sein de la force policière.” Et c’est ainsi qu’il a obtenu son diplôme en gestion de sécurité auprès de l’université de Leicester en Angleterre.
Dans la foulée, il fait le choix de lancer sa propre agence, Security One. Nous sommes en 2007, l’industrie de la sécurité est en pleine ébullition à Maurice et Linley sent qu’il y a une place à prendre moyennant d’y emmener de la valeur ajoutée. A l’époque, le marché est dominé par deux enseignes, Securicor et High Security Guard, qui finiront par fusionner peu de temps après. “J’ai toujours été habité par ce besoin d’avoir mon entreprise. C’était un risque à prendre. Je connaissais bien le secteur, je savais lire la demande, j’avais plein d’idées et je voulais faire les choses à ma façon ”, raconte celui qui a commencé seul et qui est aujourd’hui à la tête d’une équipe de 300 personnes et gère un portefeuille de plus de 120 clients établis dans le commercial, l’industriel, la construction et surtout le résidentiel.
Linley est d’autant plus fier du chemin parcouru qu’il a su fidéliser sa clientèle au fil des années. D’ailleurs, son premier client, le chantier Dragon d’Or, devenu LOTS, lui est toujours fidèle. “J’en parle avec beaucoup d’émotions parce qu’ils m’ont donné ma chance, ils ont pris le risque de me faire confiance. Je leur suis reconnaissant.”
Allez savoir ce qui serait arrivé sans ce premier contrat. Depuis, en tous cas, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Security One s’est agrandi et a su se positionner au fil des années comme une enseigne de référence dans le secteur. Pour y arriver, Linley Michel mise depuis quelque temps sur une structure linéaire au sein de laquelle se distinguent de jeunes professionnels passionnés et dévoués. Au siège de l’entreprise, à Pamplemousses, chacun est à sa place et les responsabilités sont clairement définies, de sorte à pouvoir trouver rapidement des solutions aux problèmes des clients à n’importe quel moment du jour comme de la nuit. “On m’avait dit que j’étais fou de miser sur une équipe si jeune. C’est pourtant la meilleure décision que j’ai pu prendre. Ils ont une motivation incroyable. Cette équipe c’est mon moteur. Je suis tellement fier d’elle”, témoigne le directeur de Security One.
Une affaire de famille ?
A ses côtés, pas tout à fait dans l’ombre, mais à sa place, son épouse Nathalie a su se positionner en lieutenant indispensable et fidèle. “C’est ma ministre des Finances. Les chiffres et moi ça fait deux”, rigole Linley en parlant de celle qui a fini par rejoindre l’entreprise il y a deux ans comme CFO à force d’entendre parler de Security One sur l’oreiller. “Nathalie a emmené avec elle sa rigueur. Comme elle est plus dure que moi en affaires et qu’il me semble qu’on la craint davantage, je pense pouvoir dire qu’elle a emmené un plus à l’entreprise. Nous avons deux façons diamétralement opposées de voir les choses, mais elle arrive à me faire réfléchir.”
L’aînée de leurs trois filles, Ingrid, qui a étudié l’hospitalité à Chicago avant de rentrer à Maurice pour ajouter l’entrepreneuriat et le marketing à ses diplômes, a également su prendre une place importante au sein de l’entreprise. A 29 ans, elle porte la casquette de Compliance Manager avec une détermination sans cesse renouvelée. “Ingrid n’a pas eu ce job parce qu’elle est ma fille, mais parce qu’elle le vaut. Personne dans l’entreprise ne pourra dire le contraire. Elle bosse dure !” Si dur qu’il lui arrive d’envoyer des mails à son directeur de papa à trois heures du matin pour lui rappeler ses rendez-vous du lendemain.
La cadette, Sophie, 24 ans, n’est pas en reste. Elle s’occupe de Access One et de Patrol One, deux applications développées par l’entreprise dans sa quête d’être en marge de son époque et de proposer à ses clients des services digitalisés qui répondent à une demande nouvelle en validant le ticket “plus d’efficacité à moindre coût.”
Reste Léa, la benjamine, qui étudie le droit à Lille et à qui ses parents ont déjà fait savoir qu’il n’y aurait pas de place pour elle au sein de l’entreprise. Ça tombe bien ; elle souhaite devenir avocate. Security One, une entreprise familiale ? La question ne dérange pas Linley, qui apporte toutefois une nuance : “Je ne voudrais pas que mes collaborateurs pensent que mes enfants sont là pour reprendre le business un jour. Ce n’est pas au menu. Elles sont là pour apprendre, pour travailler en équipe et pour apporter leur contribution à l’épanouissement de l’entreprise. Il n’y a pas de place réservée. On ne nait pas leader, on le devient.”
La grande fierté de Linley Michel est d’avoir su développer une vraie relation de proximité avec ses clients. “On est constamment à l’écoute de leurs besoins, on s’adapte à l’évolution de leurs sites, on maîtrise les risques, on comprend leurs opérations. Le retour d’information de nos employés par rapport à ce qu’ils constatent sur le terrain est primordial. Quand un problème survient, nos superviseurs savent quelle décision prendre sans avoir systématiquement à faire remonter l’information jusqu’à moi”, se félicite l’entrepreneur.
Linley s’est toujours refusé à faire de la vente à outrance. “Ça ne m’intéresse pas et ça ne me ressemble pas. Devenir le leader du marché ce n’est pas ma quête. Ce qui compte, c’est la qualité de nos prestations”, insiste celui qui ne s’est jamais positionné pour les contrats de l’Etat parce qu’il souhaite rester libre et ne pas avoir les mains attachés. “Il m’est aussi souvent arrivé de refuser des clients parce qu’il m’avait semblé que nous n’avions pas les moyens d’assurer derrière. Le réalisme, c’est ma force. Je ne m’engage jamais à moitié. Quand je dis oui, ce n’est pas un demi oui.”
Security One a su évoluer avec son temps. D’entreprise de gardiennage il y a quinze ans, elle offre aujourd’hui toute une panoplie de services, à commencer par tout ce qui touche à la sécurité électronique (alarmes, caméras, automatisation). “Il fallait le faire et devenir un one-stop-shop pour s’adapter à la demande d’une clientèle qui, la plupart du temps, préfère avoir affaire à un seul prestataire. Mais on ne vend pas de gadgets chez nous. On a misé sur une technologie de pointe.” A travers son application Access One, qui a passé avec succès le cap des essais, l’entreprise nordiste espère révolutionner le contrôle des accès, notamment dans les résidences privées, où le log book pourrait être remplacé par le passe numérique.
L’Homme reste toutefois au centre des priorités de l’entrepreneur Linley Michel. Parce qu’il est le poumon de chaque projet, que sans lui rien ne peut arriver et qu’il a constamment besoin de se sentir valorisé, sa dignité est donc non-négociable. C’est pour cette raison du reste que chez Security One, on n’utilise jamais le terme de “gardien”, mais plutôt celui d’agent de sécurité. “J’accorde beaucoup d’importance à cette nuance en effet. Il y va de la dignité de mes employés”
Notre interlocuteur dit ne jamais se départir de ses responsabilités vis-à-vis d’eux. “En face de moi, je ne vois jamais qu’un employé, mais un père ou une mère. Aujourd’hui, ce sont 300 familles qui dépendent de nous. Certains employés sont avec nous depuis le début. Je connais leurs enfants, je les ai vu grandir et évoluer, du primaire à l’université pour certains, que nous avons accompagnés. S’il y a une trace que je veux laisser, c’est bien par rapport à la dimension humaine de mon projet entrepreneurial…” Che Dio intende !