Michel Cordani

Le mentor !

Cofondateur, avec Denis Lacour, et directeur de l’incubateur-accélérateur La Plage Factory, Michel Cordani consacre l’essentiel de son temps à l’innovation et à l’entrepreneuriat. Celui qui était jadis l’homme des projets spéciaux de Microsoft France met à la disposition de startuppers ambitieux qui répondent à son cahier de charges un écosystème dynamique et un plan d’accompagnement sur mesure.   

Entretien réalisé par Jean-François LECKNING

On dit de La Plage Factory que c’est la couveuse idéale des startups à Maurice. Quel est son rôle ?

Nous accompagnons des porteurs de projets innovants qui intègrent la technologie pour le bien commun et qui ont des visées d’expansion au minimum en Afrique. Si le projet est pertinent dans sa finalité comme dans son modèle économique, s’il intéresse un des sept mentors affiliés à LPF, on leur propose une cooptation. L’incubation, c’est le début du cycle, l’étape de la création de la startup. Si tout se passe bien, on enchaîne avec l’accélération, qui intègre le développement commercial de la start-up. Nous proposons un accompagnement sous toutes ses formes : administratif, économique, en services… A travers Coworking Port-Louis, que nous opérons, nous mettons aussi à leur disposition un environnement de travail agréable.

“Conçue par des entrepreneurs, pour des entrepreneurs.” C’est ce qu’on peut lire sur votre brochure. Une façon de nous rappeler que LPF est, elle-même, une start-up ?

On peut dire ça… Nous consacrons en ce moment beaucoup d’énergie à modéliser le projet pour en faire un incubateur de référence, susceptible d’être répliqué ailleurs. Pour ça, il faudrait que nous trouvions nous-mêmes des partenaires financiers. Comme ça la boucle sera bouclée. (Rires)

L’originalité de votre incubateur, c’est le mentorat…

Qu’il ne faut pas confondre avec coaching. Ce sont deux choses différentes. Le mentorat c’est un vrai transfert d’expérience. Nous avons sept mentors qui ont du vécu, avec des parcours et des expertises différentes. Ils savent ce que c’est qu’entreprendre ; ils sont passés par là. Chez nous, le mentor c’est le chef de projet principal de la startup en gestation. Le coaching, c’est plus une aide à l’atteinte d’un objectif au travers d’une relation de confiance.

Pourquoi avoir fait de la technologie votre critère de base ?

Pour nous, la technologie est un levier, pas la finalité. Nous nous intéressons aux startuppers qui se reconnaissent dans la dynamique “Tech For Good”, ceux qui sont porteurs de projets à travers lesquels la technologie aura un impact positif en emmenant des solutions pour le bien commun. Le bon usage de la technologie peut contribuer à un modèle d’affaire vertueux.

Depuis 2019, combien d’entrepreneurs ont défilé à La Plage Factory ?

Ce n’est pas un défilé justement. Nous sommes sélectifs. Jusqu’ici, on a accompagné entre 20 et 25 projets. Quelques acteurs de notre écosystème sont aujourd’hui bien lancées, y compris à l’international.

Seules des startups peuvent bénéficier de votre expertise ? Ou envisagez-vous d’ouvrir votre incubateur-accélérateur à des PME qui ont du vécu ? 

Ça peut arriver, encore faut-il que le projet qu’on nous présente coche toutes les cases. Il faudrait, idéalement, qu’on puisse intégrer une innovation qui rende le nouveau modèle d’affaires sexy. Ou éventuellement réinventer l’entreprise si nécessaire. Il y a plusieurs combinaisons possibles. Ça peut même être un avantage puisqu’une activité qui existe déjà a plus facilement accès aux prêts.

Si un entrepreneur n’a pas de visée d’expansion sur le continent mais est porteur d’un projet bien ficelé et viable, vous le laisseriez quand même sur la touche ?

Le problème, c’est qu’on ne risque pas d’intéresser un investisseur si le projet n’a pas d’ambition à l’internationale. Le jeu s’arrêterait tout de suite. Donc, oui… Il ne faut pas cracher sur la finance, c’est le sang de l’économie.

Qu’est-ce qui fait un bon entrepreneur ?

C’est assez difficile à dire, ça varie. C’est un peu comme si vous demandiez qu’est-ce qui fait un honnête homme (Rires). La ténacité et la résilience, certes, mais il faut surtout être résistant à la frustration, avoir un égo fort mais pas centré, une personnalité bien posée, être curieux, ouvert à la concurrence, aux gens et aux procédés.

Avoir le sens de l’innovation aussi, j’imagine ?

Il y a des entrepreneurs qui réussissent sans innover, en s’appliquant à rendre une copie bien faite. Mais, pour un startup, oui, c’est indispensable. On ne peut pas espérer créer un modèle d’affaire vertueux si on n’est pas innovant. Pour ça, il faut être un minimum cultivé, se nourrir d’un tas de choses… Encore qu’on pourrait tomber sur des exemples de startuppers qui ont réussi sans briller d’intelligence.

Serait-ce plus facile de définir les traits de caractère qui mènent à l’échec ?

Sans doute. Celui qui se décourage à la moindre contrariété, qui est pessimiste de nature, qui a un terrain dépressif ou dont l’humeur varie au jour le jour, au gré du temps ; celui-là n’a pas le bon profil, c’est certain.

Un entrepreneur met tellement d’énergie, de temps et de passion dans son projet qu’il a beaucoup de mal à accepter l’échec…

C’est difficile, l’égo prend un coup. Mais après, l’échec est relatif. Ça reste un parcours de vie, une expérience forte. D’un point de vue apprentissage, c’est du muscle ! Sur un CV, ça compte. Les recruteurs aiment voir arriver quelqu’un qui a essayé.

La persévérance est une qualité, mais ça peut déboucher sur de l’obstination.

Justement, il faut savoir faire la différence entre ténacité, persévérance et acharnement. Un startupper doit avoir la lucidité et la sagesse d’admettre que son projet ne marche pas, qu’il doit passer à autre chose. On aime bien raconter l’histoire du mec qui a essayé cinquante fois avant de réussir. Valoriser des exceptions comme Edison, moi ça m’agace. Un mentor a la responsabilité de de dire : “Désolé mon gars, ton projet ne marchera pas !”

Est-ce qu’une startup doit savoir s’inspirer de ce que font des multinationales ou, au contraire, il doit emprunter une avenue totalement différente ?

Les gens crachent souvent sur les multinationales. C’est vrai qu’il y a un aspect bureaucratique, un côté prédateur, mais il y a aussi beaucoup de savoir-faire, notamment dans la structuration des départements, dans la mise en place de processus efficaces, dans la capacité de gérer les ressources humaines par rapport aux ressources matérielles. On veut que La Plage soit un lieu où les startuppers trouvent un savoir-faire très pointu en termes de capacité à croitre, d’organisation et de gestion de processus, bref tout le corpus méthodologique des grandes entreprises, tout en offrant une dimension humaine et personnalisée de l’accompagnement…

Diriez-vous que l’Etat fait ce qu’il faut pour encourager l’entrepreneuriat à Maurice ?

L’Etat a mis en place plusieurs dispositifs d’aide pour accompagner les acteurs de l’innovation. Le programme NSIS a bénéficié à plusieurs centaines d’entrepreneurs, jeunes et moins jeunes.

Est-ce qu’il y a une culture d’entreprendre à Maurice ?

C’est un peu paradoxal. D’un côté, sous l’impulsion du ministère des Finances, on constate effectivement accélération, on voit se développer un écosystème dynamique. Mais, ce qui semble prédominer pourtant, c’est la culture d’aversion au risque. La tendance c’est de s’orienter vers des carrières sûres. L’influence des parents est importante. Ils investissent lourdement dans les études de leurs enfants pour qu’ils deviennent cadres d’entreprise ou professionnels. Il faut une carte de visite qui tienne la route. La notion de sécurité est très forte à Maurice. Et startupper, ça fait peur. L’éducation mauricienne est trop figée, trop structurée et n’incite pas à la prise de risque, à la curiosité, à la découverte.

Recommanderiez-vous à un jeune qui veut entreprendre de passer par l’étape classique de l’emploi, histoire de faire ses muscles ?

Si, c’est la bonne chose à faire. Des études l’attestent. Les entrepreneurs qui réussissent ont souvent du vécu. Parce qu’ils ont au préalable construit un réseau, un savoir-faire, une crédibilité. Il est recommandé d’apprendre ses points forts et travailler ses points faibles en entreprise avant de se lancer. Mais il y a évidemment des exceptions.

Vous-même vous êtes passé par la case Microsoft France avant de devenir entrepreneur…

J’ai intégré Microsoft France en 1997, avant la grande vague internet. A l’intérieur d’une entreprise très portée vers l’intrapreneuriat, je suis devenu l’homme des projets spéciaux. J’ai piloté plusieurs = créations d’activités, allant des expérimentations en marketing à de l’événementiel. Après sept ans, j’ai voulu aller à l’international et on m’a proposé Maurice, que je ne connaissais pas. J’ai d’abord été directeur régional, puis responsable du projet Microsoft for Africa. On avait carte blanche pour développer des services pour l’éducation, les PME et l’innovation notamment. On opérait comme une start-up de l’intérieur. Quand Microsoft m’a demandé de rentrer au bercail après sept ans à Maurice, j’ai compris qu’on était arrivé à la fin d’un cycle. J’ai choisi de sortir du circuit et de rester ici. La suite vous la connaissez.