Marie-Annick Savripène

Exemplaire unique !

Depuis qu’elle signe dans les colonnes de l’express, c’est-à-dire depuis toujours, Marie-Annick Savripène n’a eu de cesse mettre en lumière, dans un style qui la distingue, des centaines de compatriotes venant de milieux différents, avec des parcours et des vécus différents. Quand un drame humain ou un parcours de vie est raconté par celle qui se contente parfois de signer MAS – ses fameuses initiales – , l’émotion est toujours au rendez-vous. Si ses textes s’étirent souvent en longueur, ce qui fait voir de toutes les couleurs à ses collègues du secrétariat de rédaction, ces derniers le lui pardonnent volontiers. Au moins, avec elle, ils savent que la qualité sera au rendez-vous. Ce qui n’est malheureusement plus une norme dans notre métier.

Propos recueillis par Mireille MARTIN | Photos : Brady GOORAPPA

D’habitude, c’est vous qui interviewez les gens. Quel effet cela vous fait d’être, pour une fois, de l’autre côté de la barrière ?

> C’est gênant. Je n’aime pas être à l’avant-plan. J’ai toujours pensé qu’un journaliste doit être le témoin de son temps, s’effacer pour mettre en avant ceux et celles qui le méritent, qu’il doit aussi être le porte-voix des démunis et des petites gens, attirer l’attention sur le sort des minorités qui font l’objet de discrimination.

Vous avez toujours voulu être journaliste ? Qu’est-ce qui vous a attiré vers ce métier ?

> Non, au départ, c’est la psychologie qui m’intéressait. Sauf qu’en me rendant en France, il aurait fallu que j’attende des mois avant de pouvoir passer le concours d’entrée. J’étais pressée de commencer et ma mère m’a suggéré le journalisme. Je me suis alors inscrite à l’Ecole Supérieure de Journalisme de Paris. J’y ai été admise sur présentation de dossier. Cette école accueillait énormément d’étrangers. Je ne me suis pas sentie trop dépaysée.

Parlez-nous de vos débuts…

> Je suis entrée à l’express le 15 mai 1988. Comme Week-End, le journal où j’avais fait mon stage d’études, n’embauchait pas à l’époque, j’ai travaillé pendant six mois avec ma mère jusqu’à ce qu’Alain Gordon-Gentil, avec qui je venais de démarrer une collaboration dans le magazine Le Nouveau Virginie, m’informe qu’il y avait une vacance à l’express. Le rédacteur-en-chef de l’époque, Yvan Martial, n’étant pas au pays, j’ai donc brièvement rencontré Edgar Adolphe senior, qui m’a demandé de laisser mon dossier au secrétariat.

A son retour, Yvan Martial m’a appelée. Il m’a fait passer un entretien et j’ai été embauchée. J’appréciais beaucoup Yvan : sa gentillesse, son humanité, son sens de l’humour… Si je maîtrisais les techniques journalistiques, je n’étais pas encore au fait des réalités du pays. Je dois beaucoup à mes voisins de table d’alors, Lindsay Prosper et feu Gilles Forget, qui se faisaient un plaisir de me renseigner. J’ai beaucoup appris également de Luc Olivier, alors premier secrétaire de rédaction, notamment de sa rigueur professionnelle. Jean-Joseph Permal a aussi joué un rôle dans mon parcours. En lançant Young Ones, un supplément pour les jeunes, il a offert aux jeunes journalistes que feu Stéphane Saminaden et moi étions un boulevard pour nous exprimer. C’est aussi lui qui m’a mis le pied à l’étrier de l’activisme du genre – à l’époque on disait les affaires féminines –, lorsqu’il a lancé le supplément féminin Expressions.

Vous avez un style et une plume reconnaissables, comment avez-vous fait pour l’imposer au fil des années ?

> Je l’ignore. A mes débuts, la plupart des articles n’étaient pas signés. C’est à partir de 1995, à l’arrivée de Jean-Claude de l’Estrac comme directeur-général, que la signature des textes est devenue la règle à l’express. On dit que l’on écrit comme on parle. Je suppose que c’est vrai. J’aime le français et, fatiguée ou pas, avant d’aller au lit, je me fais un devoir de lire, le plus souvent un roman, rien que pour garder contact avec la langue et essayer de trouver le mot juste lorsque j’écris.

Quelle est la méthode journalistique qui vous plaît le plus?

> Après six ans de “news” à mes débuts, je me suis naturellement orientée vers les reportages. J’aime être le témoin d’un moment précis dans le temps, comme une photo instantanée. J’aime aussi beaucoup les papiers de fond comme les histoires humaines et les portraits. Ils me permettent de mieux entrer dans la vie des gens, de connaître et partager un pan de leur histoire, d’essayer de les cerner.

Pendant quelques années, j’ai été responsable des faits divers. J’aimais ça car j’entrais de plain-pied dans la vie des gens, mais souvent aussi dans leur chagrin et leur douleur. J’avais du mal à rester détachée en écoutant les récits. Chaque histoire me bouleversait. Si, d’un côté, cela donnait des textes touchants, parfois poignants ; de l’autre, cela m’usait émotionnellement. A un moment, j’en avais même perdu le sommeil. J’ai donc demandé à ne plus être affectée aux faits divers.

Certains de mes collègues et mes confrères regardent les papiers features de haut, estimant que l’actualité a plus de valeur. Sa difficulté bien souvent réside dans la confirmation de l’information obtenue de la première source. Une fois que c’est fait, on s’attèle à la rédaction en respectant les techniques journalistiques. Mais, avec les papiers de fond, il faut non seulement convaincre l’interlocuteur de parler mais il faut aussi soigner l’écriture. Ces deux genres journalistiques se valent et sont complémentaires.

Comment était la presse à vos débuts ? 

> Il y avait peu de femmes… Si mes souvenirs sont exacts, il y avait Josie Lebrasse, Adeline Forget et Marlène Blin à Week-End, Danièle Olivier-Sénèque à Le Mauricien et Monique Dinan à La Vie Catholique… C’est quelques années plus tard que les choses ont commencé à changer. Aujourd’hui, je crois même qu’elles sont majoritaires dans le métier. J’ai été bien accueillie à l’express et par presque tous mes collègues. Je crois que l’on réussit le test informel lorsque l’on montre qu’on est là pour faire sa part de travail, qu’on ne regarde pas sa montre, qu’il n’y a pas de week-end ou de jour férié qui vaille et qu’on n’a pas peur d’aller sur le terrain pour chercher l’information quelle que soit l’heure.

Quel constat faites-vous du journalisme aujourd’hui ?

> Au fil des ans, les salles de rédaction se sont féminisées et c’est tant mieux. Par contre, le manque d’humilité chez certains jeunes journalistes me dérange. Dans leur hâte de se faire un nom, la signature devient un facteur important pour eux. La faute sans doute au web où tout doit être dit et consommé rapidement et où le visuel compte énormément. Ensuite, je trouve qu’il y a un appauvrissement de la langue française, signe que les jeunes ne lisent pas pour soigner leur grammaire, leur orthographe, leurs conjugaisons… Que quelque part, ils s’en lavent un peu les mains, estimant que c’est le travail des secrétaires de rédaction. C’est un manque de respect pour leurs collègues SR. Si c’est effectivement leur rôle de corriger les textes, il appartient avant tout au journaliste de soumettre une épreuve “propre”. Le secrétaire de rédaction ne doit pas devenir l’éboueur du journaliste.

Aujourd’hui, le sensationnalisme fait souvent l’essentiel et la une des journaux…

> Je déteste tout ce qui est sensationnel et sur-vendeur ! Une information importante, bien développée et bien rédigée, attirera forcément les lecteurs. En rajouter juste pour vendre, c’est tromper le lecteur et montrer qu’on ne le respecte pas. Je n’y adhère pas.

La Covid-19 a-t-elle modifié la manière des journalistes de couvrir les événements ? Si oui, comment ?

> Oui, malheureusement. Si les journalistes vont encore aux fonctions, la pandémie a en quelque sorte “institutionnalisé” le métier et beaucoup d’informations s’obtiennent par téléphone ou par mail. Je ne dis pas que c’est mauvais, mais pour moi rien ne remplace le contact direct.

Il y a une grande mobilité dans le monde du travail. Pourtant, toute votre carrière, vous êtes restée fidèle à un corps de presse. L’aventure ailleurs ne vous jamais tentée ?

> Lorsque vous vous sentez bien quelque part, comme en famille, pourquoi aller chercher ailleurs ? A l’express, j’ai trouvé des professionnels passionnés, ayant une culture du travail bien fait et un sens poussé de l’éthique, valeurs que je partage. C’est un lieu où j’ai toujours pu m’exprimer en toute liberté. Ma seule “infidélité” a été faite avec le consentement de ma direction. En 2009, j’ai pris un an de congé sans solde pour rejoindre une ONG d’activistes du genre, qui avait ouvert un bureau francophone à Maurice. J’ai travaillé avec la responsable du bureau, Loga Virahsawmy. J’ai beaucoup aimé et énormément appris, mais l’écriture et le journalisme me manquaient tellement que j’ai préféré y retourner.

Quel regard jetez-vous sur l’évolution du pays ?

> Si, entre 1988 et 2021, le pays s’est développé à pas de géant, ce développement a creusé l’écart entre les très riches et les très pauvres et a entraîné, dans son sillage, le culte de l’argent facile. Le politique s’en est servi pour asseoir son pouvoir. L’avènement des radios libres et des réseaux sociaux a certes libéré la parole, mais lorsque l’on voit et entend certains commentaires, on se demande si nous vivons tous dans le même pays. La Covid-19 est venue brouiller davantage la donne. J’ai des appréhensions pour l’avenir de Maurice et du monde d’ailleurs car nous naviguons à vue.

Et l’avenir de la presse à Maurice dans tout ça ?

> Avec la crise économique qui nous guette, il y aura une compression des titres mais il y aura toujours de la place pour des journaux sérieux, critiques, crédibles et éthiques.