Anuradha Nunkoo

Empower to win !

A la tête de Women in Networking depuis trois ans, Anuradha Nunkoo se bat pour l’émancipation des femmes dans la société mauricienne. De WIN, elle fonde “WeEmpower”, une ONG qui aide les femmes et les jeunes à se lancer sur le marché du travail. Une lutte engagée avec courage et ambition, qui trouve ses sources dans son enfance. Parce qu’elle sait qu’une femme peut tout accomplir pour peu qu’elle soit déterminée.

Texte : Mireille MARTIN – Photo : Manoj NAWOOR

> Anuradha, parlez-nous d’un fait marquant de votre enfance…

C’est un tournant qui a décidé de ma vie. Je devais avoir sept ans à l’époque quand j’ai entendu ma mère dire, lors d’une conversation entre adultes, qu’elle n’avait jamais eu envie d’avoir un quatrième enfant, surtout une fille ! Voyez-vous, ma mère m’a eue sur le tard, à l’âge de 54 ans. Je suis la dernière d’une famille de quatre enfants, trois filles et un garçon. Cette conversation m’a marquée. Je pense que c’est à partir de là que j’ai décidé que je me battrai pour être reconnue et acceptée.

> Et cette bataille, vous pensez l’avoir gagnée ?

Oui ! Je suis aujourd’hui une professionnelle reconnue dans mon domaine (Ndlr : elle a pris en 2017 une retraite anticipée après 32 ans à Air Mauritius). Parce que j’ai toujours eu envie de m’améliorer, de progresser, j’ai suivi des cours avec le Toastmasters Club ainsi que des programmes de leadership au British Council, qui m’ont permis de développer mes capacités et m’ont fait comprendre la vraie définition d’une femme leader.

Je suis mariée et mère de deux garçons. Mon époux Ajay et moi les avons éduqués pour qu’ils comprennent que la femme est un être qui doit être considérée et respectée pour ses capacités et non discriminée à cause de son sexe. Et, aujourd’hui, je suis la présidente de l’association féministe qui regroupe le plus grand nombre de femmes à Maurice. (Ndlr : Plus de cinq milles femmes sont répertoriées dans la base de données de WIN.)

> En rétrospective, ce parcours, vous le voyez comment ?

Je pense que j’ai réussi parce que, dès l’enfance, j’ai décidé de me battre pour mes rêves. J’ai toujours été curieuse de tout et j’ai toujours voulu apprendre. Mon père, infirmier en chef à l’hôpital Victoria, voyait bien que j’étais une fille audacieuse mais, à la maison, c’est mon frère qui passait toujours en premier. Je n’ai aucune amertume par rapport à mes parents : ils vivaient à une époque où l’on véhiculait beaucoup de préjugés à l’égard des filles.

Etre boursière au primaire m’a ouvert des perspectives et offert la possibilité d’être admise au Mahatma Gandhi Institute. Mais après ma HSC, la question des études tertiaires ne se posait même pas à la maison. J’y ai renoncé et pris un emploi à la Banque de Maurice, puis postulé en cachette pour devenir hôtesse de l’air à Air Mauritius. Quand j’ai obtenu ce travail, mon père a refusé net, mais j’ai persisté. Ce qui a changé ma vie. Voyager m’a ouvert des horizons insoupçonnés. Toute ma famille en a bénéficié. Mes parents ont pu visiter de nombreux pays.  Tout cela a été possible parce que j’ai toujours refusé d’accepter la notion erronée qu’une fille est inférieure. 

> En tant que présidente de WIN, quel est votre constat de l’évolution de cette organisation ?

Je fais partie de cette ONG depuis sa création en 2006. Sa vision corrobore avec la manière dont je conçois ma vie. WIN est le type d’organisation qui croit en le développement et la consolidation des capacités de la femme. Nous préférons apprendre à nos membres comment pêcher plutôt que de leur acheter du poisson. J’ai été une des formatrices du programme Women in Leadership (WLP) En dix ans, plus de 700 femmes ont bénéficié de ce cours. Certaines sont dans des positions de leaders aujourd’hui. C’est notre fierté.

Conçu et développé sur quatre axes, WIN s’est attelé à développer les capacités des femmes en politique, en leadership, à consolider leur système de réseautage et à former des hommes pour contrecarrer la violence domestique. Certains de ces programmes ont pris de l’ampleur, d’autres ont été abandonnés ou réorientés.

> Pourquoi abandonner des programmes ?

Certains programmes ont été mal interprétés. Par exemple la branche “Women in Politics” a été abandonnée parce que certains pensaient que nous voulions devenir un parti politique en formant des femmes politiciennes. Et le programme “Men Against Violence”, axé sur la conscientisation des hommes, a été réorienté car, clairement, le message que nous voulions véhiculer ne passait pas correctement, en particulier dans les écoles. Il a été transformé en une campagne de conscientisation sur le genre (“Gender Awareness Campaign”), qui touche aussi bien les hommes que les femmes.

> Justement, qu’avez-vous fait concrètement pour contribuer à faire avancer la cause de l’égalité ?

Je pense que l’une des causes principales de l’inégalité est que la femme se perçoit elle-même comme étant inférieure à l’homme. C’est difficile à croire, mais je le vois dans de nombreux cas. Beaucoup de femmes se sentent faibles et incapables de se sortir d’une situation difficile ou du dictat familial. Je fais de la formation pour le personnel de l’aviation et je rencontre souvent parmi mes élèves des filles qui ne peuvent elles-mêmes choisir leur carrière. Ce sont leurs parents qui décident pour elles. Personnellement, elles ont très peu d’ambition et c’est dommage.

Durant mes trois ans à la tête de WIN, avec l’équipe dirigeante, nous nous sommes remises en question. C’est ainsi qu’on est arrivé à la conclusion que l’organisation, sous sa forme actuelle, a fait son temps. De ce fait, nous avons entamé un processus de suppression graduelle de nos activités habituelles et mis sur pied WeEmpower, une ONG axée sur des cours de leadership et de formation aux femmes et aux jeunes qui cherchent à entrer dans le monde du travail. L’avènement du Covid-19 nous a incitées à revoir notre modus operandi et à offrir toute une série de soutiens à la catégorie de personnes que nous touchons, cela à travers des ateliers de travail. Parce que nous voulons que les femmes et les jeunes puissent s’adapter plus facilement au nouveau contexte et à la manière de faire du business qui, de nos jours, a radicalement changé.