PEOPLE, édition 50, Septembre 2018

KREOL !

Par JEAN-FRANCOIS LECKNING

Faut-il, oui ou non, introduire le créole à l’école ? La question divise, même les plus grands pédagogues… Ceux qui y sont favorables font valoir des arguments non négligeables. Notamment que le créole est la langue maternelle d’une grande majorité de Mauriciens et que, de facto, son utilisation comme médium d’enseignement aiderait l’élève en difficulté à mieux construire sa base. Pas faux !

Un temps responsable de la culture générale, de l’expression et de la communication à la Chambre de commerce et d’industrie, Daniella Bastien est peut-être celle qui, jusqu’ici, a trouvé les mots les plus forts et les plus justes pour résumer l’état d’esprit des créolophones : « Li lezitim ki mo aprann ekrir ek ena enn reflexion dans langaz ki monn servi kan mo finn koumans reprezant lemond. »

Mais ceux qui sont contre ne viennent pas pour autant la fleur au fusil. Pour eux, le créole n’est pas une langue mais un dialecte. Presque un accident linguistique. Et officialiser son entrée à l’école, d’une façon ou d’une autre, serait prendre le risque d’enfermer nos enfants dans un ghetto, les éloigner encore un peu plus des langues officielles qu’ils ont déjà du mal à apprivoiser, notamment l’anglais, véritable ouverture sur le monde.

Ils avancent aussi comme arguments le fait que le créole n’est toujours pas structuré et que son graphisme ne répond à aucune logique si ce n’est de s’éloigner le plus possible du français, langue dont elle puise pourtant ses racines.

Les divers débats sur le sujet , notamment sur Facebook, déchaînent les passions depuis quelques années. Ils nous permettent, de surcroît, de comprendre une chose : c’est un sujet tellement sensible que l’émotionnel en arrive à surpasser le rationnel.

Plus que l’enjeu pédagogique lui-même, très vite relégué au second plan, on a surtout l’impression, au fil des commentaires, d’assister à une sorte de règlement de compte entre francophones et… francophobes. Un clash frontal qui témoigne, à sa façon, de la complexité de la société mauricienne et qui expose à nu le mal-être des uns et des autres dans un pays où les barrières sociales, culturelles et même linguistiques sont plus tenaces qu’on ne le pense.

Le chef-d’œuvre du mauvais goût aura été, à n’en point douter, ce commentaire d’un haut cadre du ministère de l’Environnement, il y a quelques années, se permettant de qualifier la communauté francophone de Maurice de « bann ze swi ze la » !

Tant que le débat se contentera d’utiliser des raccourcis aussi méprisants et haineux, il est fort à parier que l’essentiel sera toujours négligé : l’intérêt réel de l’enfant.