Gérard Guidi

La sagesse de l’aîné

✍ Par Jean-François LECKNING

Elle est garée là, comme convenu, devant sa maison. Une petite Nissan Micra d’un gris discret, censée nous servir de repère. Le genre de voiture qui a accumulé les années, les kilomètres et les rendez-vous sans qu’on s’en rende vraiment compte. Un peu comme son propriétaire d’ailleurs.

S’il l’avait voulu, Gérard Guidi aurait certainement pu s’offrir le confort d’une berline. A 73 ans, il a suffisamment réussi sa vie d’entrepreneur pour que personne n’ait rien à redire. Mais ça ne lui ressemble pas. « Mes employés s’étonnaient toujours de me voir débarquer dedans et me demandaient sans cesse quand je comptais la changer. Mais pourquoi faire ? Celle-là me va très bien. En tous cas, elle m’a toujours emmené à l’heure à mes rendez-vous », s’amuse-t-il à dire. Son pragmatisme est déroutant. Son rapport à l’argent moins. « Avec ce que j’ai pu mettre de côté tout au long de ma carrière, je préfère voyager, recevoir des amis à dîner, aider ceux que j’aime… C’est tellement plus agréable. »

Discret, Gérard Guidi l’a été toute sa vie. Même sur les terrains de rugby. Sous le maillot de la redoutable équipe d’Agen, avec lequel il a soulevé le Bouclier de Brennus en 1976, celui qu’on surnommait alors “Le Petit” savait se faire oublier pour mieux surprendre. La polyvalence était l’un de ses principaux atouts : « J’ai joué arrière, ailier, centre… J’étais léger, j’allais vite et surtout j’avais la vista. » De quoi dérouter bien des adversaires. Demandez aux Biterrois, ils s’en souviennent encore.

Le rugby, il faut le dire, a été le fil conducteur de sa vie. « J’ai puisé de ce sport toutes les valeurs essentielles de la vie : le respect, la solidarité, la discipline, la rigueur, l’effort… Quand vous êtes sur un terrain, vous ne pouvez pas tricher, sinon c’est toute le groupe vous rejette », explique Gérard Guidi. « L’ovalie m’a permis de vivre des moments extraordinaires, des émotions intenses et rares qui vous changent un homme. Mais, plus que tout, j’y ai surtout noué des relations fortes et vraies qui m’ont servi plus tard dans ma vie d’entrepreneur. »

Entreprendre. Une autre constante dans sa vie. Mais avec toujours ce besoin pressant de sortir des sentiers battus, de marquer sa différence. « Ce qui me plaisait le plus, c’était ce besoin de concevoir des projets qui sortaient de l’ordinaire, de réfléchir à des concepts et des services qu’on ne retrouvait pas ailleurs. » Autrement dit ce besoin de sortir du rang des CTM – les comme tout le monde – pour se ranger dans celui des TDA – les totalement différents des autres. « Cette devise, je l’ai toujours gardée dans un coin de ma tête. Elle m’a permis d’emmener une valeur ajoutée inestimable à tout ce que j’ai entrepris. »

Fils d’un coiffeur italien venu chercher une meilleure vie en France, Gérard roulait à contre-sens des normes et des convenances sociales dès l’adolescence. C’est ainsi qu’il préférait l’école buissonnière aux bancs de son lycée de Castelsarrasin, dans le Tarn-et-Garonne, ce qui ne l’empêchait pourtant pas d’avoir soif d’apprendre, soif de connaissances… Mais quand il a définitivement abandonné ses études à l’âge de 14 ans, il savait déjà que la passion, plus que le savoir, allait être le moteur de ses réussites futures. « Dans la vie comme dans les affaires, c’est la première des clés. Sans passion, on ne va pas bien loin. Il faut aimer ce qu’on fait, il faut porter ses projets dans le cœur et dans les tripes… » Mais, précise-t-il, « il faut aussi savoir se remettre en question et tourner la page quand le moment est venu. » Parce qu’après l’heure, de toute façon, ce n’est plus l’heure.

C’est, du reste, ce qui l’a sans doute poussé, l’année dernière, à mettre un terme définitif à son incroyable aventure à la tête du Centre de Chirurgie Esthétique de l’océan Indien. L’œuvre de sa vie. Si on lui avait dit, il y a vingt-cinq ans, à son arrivée à Maurice, qu’il en ferait une référence mondiale de la greffe de cheveux, il n’aurait probablement pas cru. « Je suis fier du chemin parcouru, fier de ce que nous avons accompli. Mais je savais que le moment était arrivé pour moi de tourner la page. Évidemment, ça n’a pas été simple. Émotionnellement, je savais ça laisserait des traces », confie notre bonhomme. Et d’ajouter : « J’étais terriblement attaché à cette entreprise, à mes employés. On avait créé une famille, noué des liens affectifs forts, ce qui, d’ailleurs, ne m’a pas toujours servi. Mais je suis comme ça, j’aime profondément les gens, on ne me changera pas. J’ai toujours mieux porté la casquette du papa que celle du patron. »

Ce qui est certain, c’est que son rapport à l’autre, clients comme employés, a de tout temps été au centre des ses préoccupations d’entrepreneur. Sans doute parce qu’il a toujours su qu’il ne peut y avoir de progrès professionnels sans progrès humains. « Si vous ne respectez pas vos employés, si vous ne les aimez pas, si vous ne leur donnez pas la possibilité de grandir et de s’épanouir à l’intérieur de votre projet entrepreneurial, le château ne tiendra pas debout longtemps », prévient Gérard Guidi. Lui a tellement donné que ça s’est parfois retourné contre lui. « Je ne peux pas tout vous raconter, mais il m’est effectivement arrivé de ramasser des gens à la petite cuillère, de sortir de mon chemin pour les aider et de ne récolter que leur indifférence au final. On se trompe parfois, c’est comme ça, c’est la vie, tant pis… Mais je ne changerai pas d’approche pour autant. C’est ma méthode et ça m’a plutôt bien réussi dans l’ensemble. »

Comme à l’île de La Réunion, où il avait confié à ses employés la suite de ses trois entreprises au moment de s’envoler pour Maurice, Gérard s’est naturellement tourné vers ses proches collaborateurs pour continuer l’aventure CCEOI. « Je pense leur avoir laissé une entreprise sereine et pérenne. C’est maintenant à eux d’apporter leur touche personnelle, d’imposer leurs méthodes, ce qu’ils n’osaient faire en ma présence. Sans doute parce que j’avais trop d’emprise. »

Mais ceux qui connaissent Gérard Guidi savaient pertinemment bien qu’il finirait très vite par se lasser de cette retraite. « Le plus dur, au début, a été de rompre avec les habitudes. Chaque matin, dès 6h30, j’ouvrais les portes de la clinique et j’accueillais les premiers employés. Là, je me sentais inutile, je ne me comprenais plus. J’avais l’impression de tourner en rond. Heureusement qu’il y avait le sport et les tournées de cafés pour compenser…» Gérard Bréhier, un ami du rugby avec il a joué à Montauban, ne croyait pas si bien dire : « Toi, retraité ? Mais tu vas t’emmerder ! Ce n’est pas fait pour toi ça… »

L’option de rentrer en France ne l’a jamais tenté. « J’aime bien repartir aux sources, histoire de renouer avec mes amis et ma famille. Mais au bout de trois semaines, Maurice me manque et il me presse de rentrer », explique l’ancien directeur du CCEOI. « C’est devenue mon île. Ma vie est ici, je m’y sens bien. Ce pays, je l’ai adopté et il m’a adopté. Il y a, ici, une sérénité, une tranquillité et un savoir-vivre qu’on ne retrouve pas ailleurs. Maurice est une île chaleureuse, ensoleillée, colorée que je recommande aujourd’hui à beaucoup de Français grâce à ma nouvelle activité… »

Parce qu’on ne vous l’a pas dit, celui que d’aucuns considèrent comme le pionner du tourisme de santé sur l’île n’a évidemment pas tardé à se trouver un nouveau challenge professionnel. Il gère aujourd’hui Richelieu Maurice, une entreprise spécialisée dans l’investissement. C’est d’une autre connaissance de l’ovalie, Olivier Diaz, qu’il avait autrefois entraîné à La Réunion, qu’est venue l’ouverture.

Français basé en Colombie mais désireux de percer sur le marché mauricien, il était à la recherche de quelqu’un de confiance pour être son trait d’union ici. Dans un secteur où les requins ne manquent pas, les fausses-promesses non-plus d’ailleurs, Gérard Guidi offrait ce profil rassurant de l’homme au-dessus de tout soupçon qui a passé sa vie à construire sa réputation et sa crédibilité.

S’il a hésité un instant, estimant n’avoir pas le profil de l’emploi, Gérard a fini par accepter le challenge. Dans un premier temps, il a mis en relation Olivier Diaz et Sendylen Soobrayen, l’homme fort de Colbert Holdings, une société ayant fait ses preuves dans le domaine de l’investissement. Elle propose des structures juridiques sécurisées et optimisées pour accompagner des étrangers, principalement des Français, désireux d’investir à Maurice, que ce soit en termes de placements financiers, de création d’entreprises ou d’achat immobilier. Le courant entre les deux hommes est passé tout de suite.

Au milieu de ces deux mastodontes de l’investissement, celui qui avait été l’homme-pont du projet Entrepreneur’s Breakfast au lendemain de la pandémie du Covid, sait qu’il a encore du chemin à faire pour maitriser tous les rouages et les lexiques du métier. Mais n’est-ce pas en forgeant qu’on devient forgeron ? Là où il n’a rien à envier à ses nouveaux camarades de jeu, c’est au niveau du carnet d’adresses. Car des contacts, Gérard Guidi en a. Et il profite de ses nombreux voyages en France pour leur présenter à la fois le catalogue de Richelieu et la destination Maurice.

« Ça me plait bien comme challenge. J’avais besoin de me sentir utile, de donner encore de ma personne. Je suis très à l’aise à l’idée de mettre en relation des gens, de vanter la destination Maurice, de proposer des solutions sûres et avantageuses à des Français qui sont souvent engorgés par une fiscalité pénible et qui ne savent pas qu’il existe, ici, une vraie porte de sortie », explique l’ancien joueur du SU Agen. « Comme je suis de nature curieuse et que j’aime fouiller, me renseigner, j’ai vite appris à me familiariser avec ce nouveau secteur, à comprendre les besoins et les envies des clients, à leur proposer des solutions de placements sûres et productives. Ça ne fait pas de moi un expert financier, je laisse ça aux autres, mais je sais avancer mes pions. »

Avec Olivier Diaz, c’est une relation de confiance que Gérard Guidi a bâtie au fil du temps. « C’est un garçon que je connais depuis longtemps et que j’apprécie. Il s’est construit sur le terrain et connait bien son affaire, ayant travaillé sur de gros placements dans le passé. Il est carré dans ce qu’il fait et n’est pas du genre à vendre des châteaux en Espagne. Il a ma confiance et il le sait. » Cette confiance est d’autant plus importante que de grosses sommes d’argent, parfois les économies d’une vie, sont en jeu et que notre invité y engage forcément sa crédibilité. « J’ai pris du temps à bâtir ma réputation, à gagner la confiance des autres, ce qui m’a toujours permis de les regarder droit dans les yeux. Je veux pouvoir le faire jusqu’à la fin de mes jours. Ce n’est pas à mon âge que ça va changer… »

Si la gestion de Richelieu Maurice repose aujourd’hui sur ses épaules, Gérard Guidi revendique davantage la casquette du consultant et de l’électron libre. Il se plait à penser qu’il est surtout là pour s’amuser, relier des ponts, calmer les esprits quand nécessaire redéfinir les approches. « Je n’ai pas d’ambitions personnelles. Disons que j’ai le recul des années et la sagesse de l’aîné… »