Par Jean-François LECKNING

L’indice du bonheur

Pendant longtemps, on a pensé, à tort, que le bonheur d’une nation se résumait à sa capacité à générer de la richesse et à se hisser au sommet du plus palpable des indicateurs économiques, le Produit intérieur brut.

Il est aujourd’hui accepté que ce seul critère ne peut suffire et qu’il faut brasser beaucoup plus large pour comprendre pourquoi, par exemple, on est nettement plus heureux au Danemark qu’en Guinée Equatoriale, où le PIB est pourtant de 20,000 dollars par tête d’habitants grâce au pétrole, mais où le taux de mortalité infantile est de 122 pour mille naissances.

C’est ainsi qu’a été introduit il y a quelques années l’Indice du bonheur mondial, l’IBM, une façon plus efficace et réaliste d’évaluer l’état d’esprit des populations à travers le monde. Cet indice intègre ce que les statistiques économiques ne peuvent pas voir. Entre autres : la place de l’éthique dans la vie publique ; la liberté des individus dans leurs choix de vie ; la perception de la corruption étatique ; la qualité de l’aide sociale ; la liberté de la presse ; le pouvoir d’achat ; l’accès à la santé, au travail, à l’éducation et au transport ; la qualité des services essentiels comme l’eau, l’électricité et la voirie ; le respect et la protection de l’environnement ; l’engagement citoyen dans la vie publique ; l’espérance de vie ; la générosité collective… Une liste non-exhaustive !

Vous voyez où je veux en venir ? Au dernier classement de l’IBM, l’île Maurice occupait une 50e place ni flatteuse, ni alarmante. Mais ça, c’était avant. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et l’humeur générale de la nation a vacillé.

Le Mauricien, c’est un fait, a perdu le sourire en 2021 et, surtout, il a peur de demain. Son pouvoir d’achat s’est effrité à cause de la dépréciation accélérée de la roupie et, au supermarché, tout lui semble désormais inaccessible. Au plus fort de la pandémie, il a vu mourir tantôt un parent, tantôt un ami, tantôt un voisin. Et il a compris à quel point nos services de santé sont dépassés, largués, aux abois… Bien que la vie semble avoir repris son cour normal ailleurs, lui continue d’étouffer son masque même en plein air par peur d’une police zêlée et vicieuse qui s’amuse à multiplier les contraventions. 

Pire encore, il se pose aujourd’hui des questions légitimes sur l’état de la démocratie dans son pays après avoir constaté, médusé, que des bulletins de vote pouvaient disparaitre du jour au lendemain de boîtes scellées et censées être sous la protection de l’armée… Et je ne vous parle même pas d’autres peccadilles comme ces routes défoncées sur lesquelles il abîme chaque jour un peu plus sa voiture ou encore de ces arbres centenaires qu’on abat sous ses yeux parce que le bétonnage est devenu un sport national…

Le bonheur est une quête. Individuelle et citoyenne. Quand on a l’impression de ne plus y avoir droit dans son propre pays, c’est qu’il n’y fait plus bon vivre. Reste alors deux choix : l’exil ou la colère.