YOLANDE & FRANCE KWOK
L’astrologue et le magicien
Yolande Kwok, aussi appelée Madame Kwok, est l’astrologue la plus convoitée de l’île. A 73 ans, elle partage sa vie avec France, de seize ans son aîné, un ancien magicien qui fait toujours usage de ses doigts de fée quand l’occasion se présente. Dans leur petit appartement de Chinatown, ils ont raconté leur histoire à PEOPLE.
Texte : Yianna AMODINE – Photo : Brady GOORAPPA
Je pousse discrètement la porte qui mène au bureau de Madame Kwok, afin de discuter de la possibilité de faire un papier sur son couple. Elle me lance son traditionnel “Enlevez vos chaussures”, pensant que je viens pour une consultation. Je m’exécute, tout en lui expliquant les véritables raisons de ma présence. Sans question ni hésitation, elle ouvre la porte qui donne sur son salon, me présente son époux et lui dit : “La journaliste veut parler de notre histoire dans son magazine !” Tout sourire, il me salue avant de continuer son travail.
Madame Kwok commence alors à narrer. Ils se sont rencontrés alors qu’elle n’avait que 16 ans. Lui en avait 32. Il a quitté la Chine dès ses 18 ans pour venir rejoindre sa sœur et travailler dans la boutique de son beau-frère. L’on pourrait croire que c’était un mariage arrangé, mais, en réalité, France et Yolande ont fait connaissance au sein d’un club où lui était magicien et elle comédienne. Un an plus tard, ils étaient mariés et prêts à fonder une famille. Les temps étaient durs alors. Après quelques mois à “la campagne”, à bouger de boutique en boutique, ils se sont installés à Port-Louis, la ville de France, afin d’y élever leurs quatre enfants. Cela n’a pas été de tout repos car ils ont dû louer plusieurs maisons avant de finalement devenir propriétaires.
“Nous faisions toutes sortes de petits boulots pour joindre les deux bouts. Nous travaillions très dur”, raconte Yolande. France avait ramené de Chine un savoir-faire unique, qu’il tenait de son père et qui le tenait lui-même de son grand-père. Ensemble, ils fabriquaient des objets en papier – chapeaux, maisons, voitures – à brûler pour les Dieux et les ancêtres chinois lors de cérémonies religieuses. C’est d’ailleurs ce à quoi s’attelle France pendant que nous discutons. Malgré son âge avancé et ses limites physiques, séquelles d’un infarctus, il accepte toujours les commandes de ses clients fidèles pour les occasions spéciales. Cette fois, il s’agit de la Fête du Printemps.
En 56 ans de mariage, France et Yolande en ont vu de toutes les couleurs. Il a fallu s’occuper des enfants, acheter la maison, la voiture, puis monter des affaires pour plus d’autonomie. Après plusieurs années à travailler comme vendeuse dans des magasins, elle s’est occupée de leurs commerces familiaux – notamment la vente d’aquariums et de papier. “On ne peut pas parler de bons et de mauvais souvenirs. C’est la vie. Si tu prends les choses mal, tout se passera mal, mais si tu vois le bon côté des choses, tu pourras toujours avancer”, résume celle qui est aujourd’hui l’astrologue la plus connue du pays.
Pour faire fonctionner un mariage dans la durée, il est important de faire des concessions, selon eux. Chacun doit travailler pour le bien-être de la famille. “Maintenant, les gens manquent de patience. La pression vient de partout – les enfants, le travail, la famille”, constate Yolande. Le pardon est, pour le couple Kwok, la meilleure des solutions. Et lorsque les deux sont de mauvaise humeur, l’un doit savoir reculer ! “La rancune, c’est la pire des maladies”, affirme Yolande, pour qui il est primordial de faire les choses bien, afin d’avoir des bons souvenirs, plutôt que des regrets.
C’est avec une lueur dans les yeux que Yolande se remémore son enfance, entourée de parents commerçants, où pauvreté rimait avec sacrifices. “Lorsque j’ai rencontré quelqu’un qui avait la vertu du travail, comme eux, ils ne pouvaient que l’accepter. Moi-même je n’ai été à l’école que pendant quatre ans – de la seconde à la Form 1, en sautant plusieurs classes !”, se souvient-elle, nostalgique. C’est au sein d’une famille unie qu’évolue aujourd’hui le couple. “Nous pouvons dire que nous avons tous réussi, ainsi que nos frères et sœurs et leurs enfants”, s’exclame notre interlocutrice avec conviction. Ils ont sept petits-enfants. Leurs trois enfants, dont deux à Maurice et un à l’étranger – le quatrième étant décédé – sont désormais bien installés dans leurs vies et leurs commerces sont florissants. France et Yolande ont, eux, sillonné le monde. Ils sont allés plusieurs fois en Chine pour leurs commerces, mais aussi à Singapour, en Malaisie, en Thaïlande, au Japon et aux États-Unis pour la remise de diplômes d’un de leurs fils.
Encore aujourd’hui, monsieur et madame Kwok ont une vie bien remplie. Elle se consacre à son métier d’astrologue, un don qu’elle a développé depuis 32 ans déjà aux côtés de professeurs dans plusieurs pays d’Asie. Chaque matin, elle se rend au Champs-de-Mars, à bord de sa Qashqai, pour une séance de sport. Lui, malgré la maladie, peut toujours exercer le travail de précision hérité de ses ancêtres de temps à autres. Les week-ends, après les prières, ils s’en vont faire les courses, flâner dans les centres commerciaux et se poser dans un café. Mais cela seulement quand les petits-enfants ne sont pas en visite. Pendant la semaine, lorsqu’elle travaille, il va parfois voir ses amis du club de troisième âge. Yolande, elle, préfère côtoyer les jeunes et apprendre d’eux !